L’émergence rapide de la pandémie de Covid-19 et les mesures de contraintes prises pour l’enrayer depuis plusieurs mois ont aggravé les troubles de l’anxiété, du sommeil et les états dépressifs d’une partie de la population.
Au printemps, jusqu’à 4,6 milliards de personnes ont été confinées à leur domicile dans le monde, soit presque 60 % des habitants de la planète. De nombreux pays ont pris des mesures coercitives afin d’imposer un ralentissement de la vie sociale, dans le but d’enrayer la pandémie de Covid-19.
Les conséquences sanitaires et économiques de l’épidémie sont criantes, mais cette crise a également des répercussions psychologiques sur les populations touchées. Plus difficiles à mettre en évidence, mais pas moins importantes, ces conséquences sur la santé mentale des populations inquiètent de plus en plus les professionnels.
« L’une des principales caractéristiques de cette pandémie est la masse d’informations associée à une évolutivité inégalée des informations, que ce soit de la part des experts scientifiques, médicaux, des décideurs ou entre pays », note une équipe française de chercheurs en psychiatrie dans la revue L’Encéphale.
A cela s’ajoutent les troubles psychologiques associés à la perte d’un proche, à la peur d’être contaminé ou de contaminer son entourage, et à la raréfaction des relations sociales (amicales ou familiales). Autant de facteurs qui favorisent la montée des états anxieux, dépressifs, des problèmes de sommeil ou du stress.
Des troubles de l’anxiété plus nombreux
Pour mesurer l’état de la santé mentale de la population française en réaction à l’épidémie de Covid-19, l’agence de sécurité sanitaire Santé publique France (SpF) a très tôt initié un suivi, appelé Coviprev, ciblant principalement les troubles de l’anxiété, ceux de l’addiction et les problèmes de sommeil. En partenariat avec l’institut de sondage BVA, 2 000 personnes ont été sondées en plusieurs vagues, d’abord sur un rythme hebdomadaire, puis bimensuel et mensuel.
Les résultats sont parlants : le premier sondage du 23-25 mars, une semaine après le début du confinement, indique un taux d’anxiété de 26,7 %, soit le double du taux observé en 2017, hors contexte de crise sanitaire. Dans certaines régions plus touchées, comme l’Ile-de-France, le Grand-Est ou la Bourgogne-Franche-Comté, ces taux ont même atteint 30 % (respectivement 30 %, 29,5 % et 33 %).
La prévalence d’états dépressifs a, elle aussi, atteint des niveaux élevés à la fin mars dans certaines régions (25 % dans le Grand-Est, 27,7 % en Centre-Val de Loire).
Les chercheurs de SpF précisent, dans un bulletin épidémiologique publié le 7 mai, qu’un risque plus élevé d’anxiété était associé :
- Au fait d’être une femme, un parent d’enfant(s) de 16 ans ou moins, et de déclarer une situation financière difficile.
- Aux conditions de vie liées à la situation épidémique : télétravailler en période de confinement et avoir un proche malade ou ayant eu des symptômes du Covid-19.
- Aux connaissances, perceptions et comportements face au Covid-19 : le percevoir comme une maladie grave et se sentir vulnérable face à lui. A l’inverse, avoir une bonne connaissance des modes de transmission de la maladie, respecter le confinement, se sentir capable d’adopter les mesures de protection et avoir confiance dans l’action des pouvoirs publics diminuaient le risque d’anxiété.
Les données de ce suivi ont aussi montré que les personnes de plus de 50 ans ont été moins sujettes à l’anxiété. Des résultats cohérents avec une étude chinoise, qui a montré que les individus de 18 à 30 ans étaient ceux parmi lesquels les scores de détresse psychologique étaient les plus importants. « D’après les auteurs, l’angoisse des jeunes adultes pouvait s’expliquer par leur tendance à chercher activement des informations sur la maladie via les réseaux sociaux. Une autre hypothèse peut être également celle d’un biais d’échantillonnage », écrivent ainsi les chercheurs français.
La prévalence des états anxieux a diminué de façon significative dès la seconde semaine du confinement, en chutant de cinq points. Mais, contrairement aux apparences, elle n’a pas diminué pour tout le monde, ce qui traduit une aggravation des inégalités sociales et économiques devant l’épidémie. « C’est le cas des personnes déclarant une situation financière difficile, de celles appartenant aux catégories socioprofessionnelles les moins favorisées ou encore de celles vivant en promiscuité dans leur foyer », observent les auteurs.
Depuis, la prévalence des états anxieux et dépressifs, ainsi que des troubles du sommeil, s’est relativement stabilisée. Mais ils restent à des niveaux nettement supérieurs à ce que l’on observe en temps normal.
Une consommation d’anxiolytiques en hausse
Une autre manière de documenter l’évolution de la santé mentale des Français est la consommation des médicaments ciblant les troubles psychologiques. Des données que l’on peut retrouver dans les volumineux rapports d’Epi-phare, un groupement d’intérêt scientifique créé à la fin 2018 par l’Agence nationale de sécurité du médicament et l’Assurance-maladie, spécialisé dans la pharmaco-épidémiologie des produits de santé.
Dans son quatrième rapport consacré à l’usage des médicaments face à l’épidémie de Covid-19, publié le 9 octobre, Epi-phare note que « deux classes thérapeutiques de médicaments des troubles mentaux, les anxiolytiques et les hypnotiques, ont vu leur consommation et leur instauration accrues de façon persistante pendant et au décours du confinement ».
De fait, si l’on compare le nombre de personnes ayant eu accès sur ordonnances à des anxiolytiques en 2020 au niveau attendu, on constate une nette surconsommation pendant le confinement : plus de 330 000 patients supplémentaires y ont recouru en à peine deux mois (+ 1,1 million en six mois), alors que le nombre de nouveaux patients (ce qu’on appelle des « instaurations ») est stable par rapport à 2019 (− 0,4 %).
Le pic de consommation est surtout situé au début du confinement, lorsque les niveaux d’anxiété étaient au plus haut, confirmant par ailleurs les résultats obtenus par SpF. On observe à la sortie du confinement une seconde période d’augmentation de la consommation, que l’on peut cette fois-ci attribuer au nombre important d’instaurations, c’est-à-dire le nombre de nouveaux patients recevant un traitement pour des troubles. Après le confinement, ce nombre de nouveaux patients a nettement crû de fin mai à début juillet (+ 17 % par rapport à 2019 sur cette période).
« Cette augmentation reflète probablement l’impact psychologique important de l’épidémie de Covid-19 et de ses conséquences sociales, professionnelles et économiques », en concluent les auteurs du rapport.
Elle ne touche cependant pas toutes les générations de la même façon. Si l’on visualise l’évolution de la consommation des médicaments anxiolytiques ventilée par classe d’âge, on observe que les 40-74 ans sont ceux qui ont eu le plus recours à ce type de traitement au début du confinement. Celle des 20-39 ans est moins marquée, quand celle des 10-19 ans a significativement chuté du début de mars à la fin juillet, jusqu’à retrouver son niveau attendu à partir du mois d’août.
D’autres types de médicaments ciblant les troubles mentaux font également l’objet d’un pic de délivrances au début du confinement. Les antidépresseurs ont connu, par exemple, la même progression que les anxiolytiques dans la seconde quinzaine de mars. Dans une moindre mesure, les hypnotiques (somnifères), ainsi que les traitements liés aux addictions à l’alcool et aux opiacés, ont aussi progressé jusqu’à la fin mars.
Tous ont ensuite chuté pendant le reste du confinement, en raison de la difficulté, ou des réticences, à prendre rendez-vous chez un médecin généraliste. Les substituts nicotiniques ont, en revanche, connu une forte baisse du nombre de délivrances, ce qui peut s’expliquer en partie par le fait que celles-ci ont été limitées par le gouvernement pendant plusieurs semaines (voir arrêté du 23 avril 2020).
Les précaires et les soignants sont les plus exposés
L’aggravation des troubles psychologiques a été documentée dans d’autres pays que la France. Aux Etats-Unis, une étude des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies menée à la fin juin a montré que plus de 40 % de la population américaine a déclaré avoir au moins un trouble mental ou comportemental. La prévalence des états anxieux ou dépressifs (31 %) ou d’un fort état de stress (26 %) est au moins trois ou quatre fois plus élevée qu’elle ne l’était en 2019. Les auteurs ont également noté que la fréquence des idées suicidaires a, elle aussi, augmenté (10,7 %), particulièrement chez les jeunes de 18-24 ans (25,5 %), les minorités ethniques (18,6 % chez les Hispaniques, 15,1 % chez les Noirs), et chez les travailleurs essentiels (21,7 %), qui sont les catégories de population parmi les plus affectées par la pandémie.
Les professionnels de santé sont aussi sujets à plus de troubles mentaux du fait de leur exposition directe aux conséquences sanitaires de l’épidémie.
Des travaux menés parmi les soignants canadiens montrent des taux d’anxiété et de dépression extrêmement élevés (55 % souffrent d’anxiété, 42 % montrent des symptômes dépressifs). Des conséquences qui ont en réalité déjà été observées lors d’épidémies précédentes, particulièrement celles du SRAS en 2003 et de la grippe aviaire H1N1 en 2009. Les soignants de Toronto, au Canada, ont montré des taux d’épuisement professionnel (burnout) et de stress post-traumatique nettement plus élevés dans les hôpitaux ayant traité des patients atteints de SRAS que dans les hôpitaux qui n’en avaient pas reçu.
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