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mardi 27 octobre 2020

Représentations de Mahomet : ce que disent le Coran et les autres textes de l’islam

Si la satire, comme celle de « Charlie Hebdo », est condamnée, l’islam chiite fait preuve d’une certaine tolérance à l’égard des images du Prophète.

Par  Publié le 26 octobre 2020

Nous republions cet article initialement publié en janvier 2015, après l’attentat qui a endeuillé la rédaction de Charlie Hebdo. 

L’attentat de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), dans lequel Samuel Paty, un enseignant de 47 ans, a été assassiné par un terroriste islamiste parce qu’il avait montré des caricatures de Mahomet en classe, a de nouveau déclenché le débat et les critiques sur la représentation du prophète de l’islam. Cette dernière est vue comme strictement interdite par de nombreux musulmans, or les textes et l’histoire de l’art islamique sont moins catégoriques.

Le prophète Mahomet, illustration d'un manuscrit ottoman du XVIIe siècle.

Ce que disent les textes

Le Coran n’interdit pas la représentation du Prophète ni la représentation humaine en général. Ecrit dans une société où l’image est généralement absente (la péninsule arabique au VIIe siècle), le texte ne la mentionne qu’une seule fois : « Le vin, les jeux de hasard, les idoles sont des abominations inventées par Satan. Abstenez-vous en » (Sourate V, verset 90). Ce mot « idoles », littéralement « pierres dressées » (Ansàb), désigne les statues des païens.

La sunna, l’ensemble des paroles et actions de Mahomet, un très large corpus distinct du Coran trié et mis par écrit entre le VIIIe et le IXe siècle, n’interdit pas non plus de représenter le Prophète. Mais elle définit une attitude méfiante vis-à-vis de la représentation des humains et des animaux. Ces images sont suspectes, associées aux idoles. Ainsi, dans le recueil de hadiths (les « dits ») de Mohammed Al-Bukhari (810-870), trois attitudes sont possibles envers elles : les tolérer, mais s’abstenir de les produire, les condamner ou les détruire. Cet article détaille les épisodes de la vie du Prophète tirés des hadiths sur lesquels la tradition se base pour bannir ces images des lieux de culte.

Ce que l’on reproche au faiseur d’images, c’est de singer le travail de Dieu : il prétend insuffler une âme à la matière façonnée. Il forme une création parallèle à celle de Dieu. « C’est ce qui fait qu’au XIXe siècle, à part quelques exceptions wahhabites [une doctrine rigoriste née au XVIIIe siècle, officielle au royaume d’Arabie saoudite], tous les théologiens acceptent la photographie et le cinéma. Elles ne font que reproduire ce que Dieu a déjà créé », précise Silvia Naef, professeure au département des études arabes à l’université de Genève.

Une tradition de représentations hors des mosquées

Le rite exclut donc les images, comme dans le judaïsme ou le calvinisme : on n’en trouve pas dans les mosquées. Mais cela n’empêche pas les gens d’en avoir chez eux ou de les afficher dans la rue, dans l’espace profane.

Les murs des palais des califes omeyyades de Damas (661-750), les résidences aristocratiques et les bains s’ornaient de scènes de chasse, de figures humaines et animales. On trouve par la suite de nombreuses représentations humaines, ainsi que de figures sacrées et même du Prophète dans l’Inde de la période moghole, l’empire Ottoman et en Perse, du XIIIe au XVIIIe siècle. Elles figurent dans des chroniques, des ouvrages littéraires, de la poésie, des ouvrages mystiques…

Le Prophète assis sur un trône, surmonté par les anges et entouré de ses compagnons. Illustration du Livre des rois du poète persan Ferdowsi, probablement exécutée à Chiraz au début du XIVe siècle.

Selon l’historienne de l’art Christiane Gruber, le Prophète apparaît dans la miniature persane dans un certain nombre de configurations stéréotypées. Une représentation classique le montre sur un trône, entouré par les anges et ses compagnons. Il peut être également représenté auprès de prophètes ayant précédé l’avènement de l’islam. Cette image, tirée d’un ouvrage persan du XIVe siècle expliquant la vie des prophètes (qisas al-anbiya), montre ainsi une vision du prophète Isaïe : Jésus (que l’islam considère comme un prophète) et Mahomet chevauchant côte à côte.

Mahomet a pu encore être représenté dans des textes relatant l’assomption du Prophète (mi’râj) de la Mecque à Jérusalem et à travers les sphères célestes : on le voit assis sur le dôme du Rocher, à Jérusalem, sous les prophètes rassemblés.

A partir du XVIe siècle, il commence à être représenté sans visage, qu’un voile blanc recouvre. Il peut également être entouré d’une auréole, d’un pan de flammes, symboles qui soulignent la sacralité de sa figure. Christiane Gruber interprète ces images comme le reflet d’une tendance mystique qui parcourt alors l’islam, associant Mahomet à la « lumière prophétique », plutôt que comme un interdit explicite des théologiens. On retrouve aujourd’hui ce mode de représentation, entre autres exemples, dans des livres d’éducation religieuse illustrés pour les enfants en Iran.

Des images pieuses, populaires, représentent le Prophète en Iran

A partir du XIXe siècle, les images prolifèrent dans l’ensemble du monde musulman. En Iran, chez les chiites (l’une des deux principales branches de l’islam avec le sunnisme, minoritaire dans le monde, majoritaire en Iran), des images pieuses se diffusent. Elles représentent parfois Mahomet, ainsi que les douze imams : Ali, le gendre du Prophète et ses héritiers. Des bannières les représentant sont brandies dans les rues de Bagdad ou de Téhéran le jour de l’Achoura, la commémoration du martyre de l’imam Hussein. Des effigies représentant Hussein sont parfois transportées en procession.

Une représentation de l’imam Ali dans un souk de Nadjaf, en Irak, en octobre 2013.

Cette image surprenante, vendue aujourd’hui un peu partout en Iran, illustre ainsi un épisode de l’adolescence du Prophète, avant qu’il ne commence à divulguer son message. Lors d’un voyage vers la Syrie actuelle, un moine chrétien, Bahira, reconnaît sur l’épaule du jeune homme la marque de la prophétie. Le gouvernement iranien a récemment tenté d’en limiter la diffusion.

« Le clergé chiite tolère ces objets de recueillement, de dévotion populaire. Il interdit cependant de prier face à eux pour les cinq prières quotidiennes ou celle du vendredi », précise Sabrina Mervin, spécialiste du chiisme contemporain à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Ainsi, sur le site Internet du grand ayatollah Ali Al-Sistani, la plus haute autorité du chiisme en Irak, figure une fatwa (un décret religieux) estimant que le Prophète peut être représenté, mais pas de manière insultante.

Le monde sunnite, en revanche, se montre globalement hostile à la représentation figurée de son prophète. Ainsi, la première tentative de le représenter au cinéma, dans les années 1920 en Egypte, s’est heurtée à la condamnation de la mosquée Al-Azar. « Cela venait de la tradition de non-représentation du Prophète, et de la question : qui pourrait jouer son rôle ? », dit Silvia Naef. Le roi Fouad Ier avait menacé de déchoir de sa nationalité l’acteur qui devait incarner Mahomet.

Aujourd’hui, des dessins animés racontant aux enfants les débuts de l’islam sont produits en Egypte, qui ne représentent pas le Prophète et ses compagnons : ils usent d’un narrateur ou de figures symboliques.


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