—
Colette chez elle avec son ami François-Didier mercredi
dans le XVIe arrondissement de Paris.
Photo Marie Rouge pour Libération
Entre résignation à l’idée de retrouver les affres de l'isolement, et acceptation de la situation sanitaire délicate, les personnes âgées se préparent à affronter un nouveau confinement.
Quelques heures plus tôt, cette grand-mère péchue reçoit alors ses amis Annie Fumeau et François-Didier Lemoine, respectivement 68 et 72 ans autour d’un café. A les observer discuter avec de grands sourires, que l’on devine malgré les masques, on en aurait presque cru que le spectre du Covid n’était qu’un lointain souvenir pour eux. Drapée de son écharpe sombre à fleurs, les cheveux à peine grisonnants, Colette confesse être laxiste sur les gestes barrières, son masque sombre glissant facilement sous le menton, quand il ne pendouille pas entre ses doigts. «Je ne suis pas toujours très sérieuse, je ne me lave pas tout le temps les mains. Et le gel hydroalcoolique, ça les assèche à la longue», rigole-t-elle, assise dans son salon aux couleurs grisâtres, mâtinées de nuances rose saumon, une vaste double bibliothèque juste dans son dos. «J’ai habité ici toute ma vie», sourit cette chargée de communication pour le CNRS à la retraite. Depuis quatre-vingt-deux ans, précisément. Autant dire que Colette fait figure de monument dans cet immeuble où tout le monde se connaît. D’ailleurs, Annie n’est autre que sa voisine du deuxième. Et la cousine de Colette, Barbara, habite au cinquième. Cette dernière, âgée de 68 ans et encore enseignante en classe préparatoire, ne tarde pas à toquer à la porte. Elle se joint au petit groupe, pour partager l’expresso.
Les mines se font plus sombres lorsque les expressions de «deuxième vague» et de «reconfinement» surgissent dans la conversation. Les seniors ne sont pas dupes : ils savent qu’ils vont retrouver les mauvais jours du début d’année. «On ne vit pas très bien la situation actuelle. La période est anxiogène», glisse Annie, presque emmitouflée dans son pull kaki. De toutes les personnes présentes, cette ex-professeure des écoles originaire de la capitale paraît la plus anxieuse. Asthmatique, et donc à risque, elle avoue se confiner déjà en temps normal : «Je vais juste faire les courses le matin, hormis cela je ne vois personne.» Le 18 octobre, elle s’est accordé un écart en participant au rassemblement place de la République, en hommage à l’enseignant d’histoire-géographie Samuel Paty, tué par un terroriste deux jours plus tôt.
«De toute façon, on n’a pas vraiment le choix»
La réalité du reconfinement ravive certains souvenirs. Doux ou douloureux, c’est selon : tous n’ont pas vécu les mois de mars à mai de la même façon. Alors qu’Annie l’a passé seule à s’occuper en effectuant «différentes tâches ménagères», Colette, elle s’est retirée dans la campagne francilienne, en compagnie de quatre de ses petits-enfants : «En jouant au bridge sur Internet, en lisant pas mal de bouquins, et avec le beau temps et ma famille, je ne l’ai pas vraiment subi.» François-Didier, lui, a beaucoup télétravaillé pour l’association VSart (Volontariat et soutien par l’art) dont il est le président. Sa mission ? Organiser des activités pour les publics fragiles, ce qui inclut les personnes âgées. Colette en est l’une des membres bénévoles. Pendant le déconfinement, ils n’ont eu qu’un seul objectif, ou presque : «Recréer du lien avec ces personnes de notre classe d’âge, et rompre la solitude dans laquelle certains ont pu s’enfermer.» L’isolement est d’ailleurs le mal qui a le plus marqué les seniors durant le premier confinement. Une étude de l’association des Petits frères des pauvres pointent ainsi que 720 0000 personnes âgées n’ont eu aucun contact avec leur famille durant le confinement. Voilà pourquoi début octobre, François-Didier et Colette étaient à l’initiative d’une balade avec leur association, direction le château de Grosbois, à Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne).
Seulement, avec les nouvelles annonces d’Emmanuel Macron, les projets de la sorte s’évanouissent. Que faire, donc, durant les quatre prochaines semaines ? «Pas grand-chose. Je me dis juste que s’il faut le faire, alors je le fais. De toute façon, on n’a pas vraiment le choix», confesse Annie, fataliste. «Ne plus du tout revoir sa famille (sa fille vit notamment dans le XVIIIe, ndlr), je trouve cela dur.» Colette, elle, est plus chanceuse : «Je vais rester ici. Je suis en colocation avec mes deux petits-enfants de 22 ans, qui font leurs études à Paris.» Elle ne semble de toute manière pas bouleversée outre mesure par le Covid : «Je n’ai pas peur, quitte à être malade et mourir s’il le faut. J’ai même marqué que je ne voulais pas être intubée dans mon portefeuille», sourit-elle.
Sur conseil de sa fille, elle a tout de même accepté de se faire vacciner contre la grippe, «pour ne pas encombrer les hôpitaux». Las, la pénurie de vaccins contrecarre pour l’instant ses plans. Selon une enquête de l’Uspo (Union de syndicat de pharmaciens d’officine), entre 70% et 90% des pharmacies françaises n’ont déjà plus de stocks, alors que la campagne vaccinale a démarré il y a une dizaine de jours à peine. Un comble pour elle, qui ne l’a jamais fait. Barbara n’a pas pu faire le sien non plus : «Je voulais le faire début octobre, mais mon médecin traitant m’a dit d’attendre la fin du mois pour qu’il soit efficace. Et là il n’y en a plus dans ma pharmacie», lâche-t-elle avant de remonter pour garder sa petite-fille de 3 ans. Le reste de la troupe se rassure : avec les «gestes barrières du quotidien, la grippe ne devrait pas être aussi coriace» que les autres années.
Les dysfonctionnements et le manque de préparation à l’origine de cette pénurie sont l’occasion pour Annie de tacler la gestion du gouvernement : outre la question du manque de lits et de moyens dans les hôpitaux, ce qu’elle ne digère pas, ce sont «les contradictions persistantes» de l’exécutif. «J’aurais souhaité que l’on me dise la vérité dès le début, que l’Etat soit clair et honnête», regrette la sexagénaire, triturant son masque noir. «En tant qu’ancien fonctionnaire, je n’aurai pas aimé être à leur place», ironise François-Didier. Aux éclats de rire étouffés par les masques, se succèdent soudain les réflexions d’Anne, pensive : «L’avenir, c’est quoi ? On nous parle d’un vaccin d’ici à 2021 mais cela paraît impossible. J’espère que l’on passera au travers de tout ça.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire