PAR INGRID DUBACH-LEMAINQUE, CORRESPONDANTE À NEUCHÂTEL (SUISSE) LE 25 OCTOBRE 2020
Un spécialiste des arts populaires a enquêté et identifié le créateur de ces sculptures remarquées par Dubuffet et collectionnées avant lui par Josef Müller. Une petite vingtaine de ces pièces sont présentées au Musée Barbier-Mueller.
Genève. « Ce sont des statues de granit […] de hauteur environ 60 à 70 centimètres, peut-être sculptées dans des bornes arrachées aux chemins. On dirait que plusieurs sont l’œuvre d’un seul homme. Tous éléments d’information sur ces statues font défaut. Aussi bien s’en passent-elles allègrement. Que nous importe si leur auteur était bureaucrate ou vacher, vieux ou jeune ? » C’est avec cette description de figures en pierre de lave naïvement sculptées que Jean Dubuffet publiait son premier numéro des Cahiers de l’Art Brut aux éditions Gallimard en le consacrant aux « Barbus Müller et autres pièces de la statuaire provinciale ». Nous sommes en 1947 et l’artiste parisien, passionné par les créations d’art spontané, venait de découvrir, avant d’en acquérir lui-même, quelques exemplaires de ces figures sculptées – pour certaines portant la barbe – qu’il baptise ainsi en hommage au collectionneur suisse alémanique Josef Müller (1887-1977) qui possédait alors sept d’entre elles. Ce dernier, féru d’« art primitif », avait acheté, pour compléter sa collection d’artefacts, ces pièces à la provenance dite « vendéenne » auprès d’une antiquaire parisienne.
L’épais mystère qui entourait ces créations devenues mythiques a été dissipé par le travail d’enquête réalisé par Bruno Montpied. Peintre et écrivain autodidacte, ce spécialiste des arts populaires restait sous le charme de ces pièces dont l’existence lui avait été révélée quarante ans auparavant. En 2017, alors qu’il s’était attelé à un inventaire des environnements populaires spontanés en France, un ancien tirage photographique représentant un jardin où s’amassaient des statues ressemblant à s’y méprendre aux Barbus Müller le mit sur la piste : « Tout partit de là. On trouve un fil, et on tire dessus – car il fallait tirer dessus, en ne suivant pas l’avis de Dubuffet… Cet avis de Dubuffet me chiffonnait. Je ne trouvais pas que les statues puissent se passer si facilement de leur auteur », relate Montpied.
Une fois le lieu identifié grâce à une chapelle romane présente à l’arrière-plan de la photo – Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme) –, il fallait remonter jusqu’à son auteur. Ce fut chose faite grâce à des recherches au cadastre qui dévoilent le patronyme d’Antoine Rabany comme propriétaire du lopin de terre.« Je découvris à la suite plusieurs documents, textes de témoignages et de débats qui prouvaient que c’était bien ce Rabany-là qui avait sculpté les figures entassées dans ce jardin de Chambon », raconte Bruno Montpied. De cet artiste autodidacte, on apprend que, né en 1844 et décédé en 1919, il s’engagea à l’armée, d’où il tira son surnom « le Zouave » avant de s’installer cultivateur en 1872. « On a une description physique de lui, sur son registre militaire, mais pas de photo : “Cheveux et sourcils : châtain clair ; yeux : gris-bleu ; bouche : moyenne ; menton : rond ; taille : 1,68 m ; visage : ovale ; ne sait ni lire ni écrire”. »
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