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Manifestation contre les violences faites aux femmes à Paris, le 23 novembre. Photo Édouard Caupeil pour Libération
Après le rebond constaté lors du premier confinement, les mesures sanitaires annoncées mercredi font redouter une augmentation des violences intrafamiliales. Le dispositif mis en place au printemps reste en vigueur.
«On a toujours les mêmes inquiétudes pour les femmes et enfants qui seraient bloquées avec leur agresseur à leur domicile lors du reconfinement», confie Françoise Brié, directrice de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), qui a créé la ligne nationale d’écoute Violences femmes info 3919 en 1992. «Le confinement est toutefois plus souple. Il y a la possibilité de travailler et les écoles restent ouvertes, ce qui donnera quelques portes de sortie aux femmes victimes de violences conjugales», nuance-t-elle. Ces nouvelles modalités permettent aussi d’organiser plus aisément la poursuite des activités des associations.
Dès mardi, alors qu’il n’était encore question que du couvre-feu, la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno a rappelé dans un communiqué que «les dispositifs destinés à protéger les femmes victimes de violences conjugales demeurent actifs et opérationnels». Contacté par Libération, le ministère indique : «Toutes les permanences téléphoniques le 3919 ou le numéro Viol femmes infos sont déjà outillés et prêts à poursuivre leur activité dès [vendredi] sans interruption.» En mars, le 3919 avaient été inaccessible trois jours pour se réadapter en urgence à cette situation de crise. Le ministère espère que le lancement d’un marché public fin novembre permettra d’ici la fin du printemps de faire fonctionner le numéro 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 comme c’est déjà le cas pour les signalements sur la plateforme gouvernementale «Arrêtons les violences». De son côté, la FNSF «souhaite la poursuite d’une subvention et non la mise en concurrence autour de la ligne d’écoute 3919 qu’elle a créée pour les femmes victimes de violences conjugales.»
«Elles sont libres de pouvoir fuir le domicile»
Elisabeth Moreno invite aussi à téléphoner au 17 ou à envoyer un SMS au 114 pour les urgences. Lors du premier confinement, une augmentation de 30% des signalements de violences conjugales a été enregistrée. De mi-mars au 10 mai, 44 235 appels ont aussi été reçus au 3919 dont 30 000 pour le seul mois d’avril, selon le rapport dédié aux violences conjugales pendant le confinement de la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), publié fin juillet. Une explosion en comparaison des 96 000 reçus sur toute l’année 2019. «Il y avait à la fois des aggravations de situations violentes mais aussi des femmes qui, du fait du confinement, ont réussi à mettre des mots sur les violences conjugales qu’elles vivaient», rapporte Françoise Brié.
Le ministère rappelle : «Les femmes n’ont pas besoin d’attestation pour sortir en cas de violences. Elles sont libres de pouvoir fuir le domicile». Le cabinet d’Elisabeth Moreno constate aussi que la «forte mobilisation des forces de l’ordre et des acteurs de la justice pour traiter de manière prioritaire les faits de violences conjugales ont notamment permis de mieux accompagner les victimes» et annonce que «ces dispositifs seront remis en place avec les ministères de l’Intérieur et de la Justice». Une bonne nouvelle pour la FNSF : «Il est important de garder cette réactivité et de continuer à faire en sorte que les violences faites aux femmes et aux enfants restent la priorité. Il faudrait aussi organiser un renforcement des ordonnances de protection pour permettre aux femmes de rester à leur domicile lors du confinement.» La fédération travaille d’ores et déjà avec ses partenaires privés pour proposer, de nouveau, des nuitées d’hôtel aux victimes.
Les pharmacies toujours mobilisées
Le dispositif de signalement des violences intrafamiliales dans les pharmacies est aussi pérennisé : «Il a vocation à être durable même en dehors des périodes de confinement. Chaque jour, 4 millions de Français rentrent dans nos 22 000 pharmacies, de nombreuses femmes pourraient ainsi être écoutées, orientées et repérées en cas de violences conjugales», souligne le ministère chargé de l’Egalité. S’il n’y a pas de données quantitatives sur le recours à ce «service» depuis avril, «selon un questionnaire envoyé aux officines par le Conseil national des pharmaciens entre 35 et 40% des pharmaciens ont répondu qu’ils souhaitaient qu’il devienne durable. Ils aimeraient également être davantage formés pour repérer les victimes de violences». Quarante points d’accompagnement restent aussi ouverts dans des centres commerciaux.
Après une première expérimentation en avril, un partenariat entre la plateforme de VTC Uber et le 3919 a également été lancé mardi : 2 000 courses gratuites sont mises à disposition de la FNSF. «Sur la première phase où 1 000 trajets étaient proposés pour un mois, une centaine avait été réalisés. On travaille étroitement avec le 3919 pour permettre de les distribuer de façon plus efficace aux personnes ou aux associations en ayant besoin», précise Rym Saker, porte-parole d’Uber France. Concrètement, 2000 «codes promo» sont envoyés par Uber à la FNSF. La fédération peut ensuite les proposer aux femmes contactant la ligne d’écoute, mais compte surtout les redistribuer aux associations de son réseau qui le souhaitent.
Un partenariat discuté
Cette offre a toutefois ses limites. Sur LCI mardi, Elisabeth Moreno avait insisté sur l’utilité de ces trajets «quand vous vivez dans une zone rurale, que vous n’avez pas de véhicule ou que la première borne de taxi est à 15 km». Bémol : Uber n’est disponible que dans 24 métropoles françaises. «La ministre s’est trompée. Uber propose un service de transport urbain et n’est pas présent en milieux ruraux, on l’a précisé au cabinet ensuite», reconnaît Rym Saker. Le ministère rebondi : «Les collectivités territoriales et les mairies en particulier proposent aussi des "bons taxis" aux femmes, notamment avec la centrale de réservations G7. On leur a demandé une cartographie des partenariats pour les mettre en avant.» Pour la FNSF, qui a aussi conclu un partenariat avec le service de VTC Femme au volant, la priorité «est de pouvoir avoir des conductrices dans ces cas-là. Je pense que ça rassure beaucoup les femmes et c’est ce vers quoi on tend».
Le choix d’Uber comme partenaire est parfois discuté. Fin novembre 2019, les récits de victimes de violences sexuelles ou de harcèlement lors d’une course VTC avaient envahi les réseaux sociaux. Le mouvement #UberCestOver avait mis en lumière les failles sécuritaires des plateformes de VTC et particulièrement du leader du secteur. «Malgré les priorités qui ont beaucoup changé sur la sécurité sanitaire, on a continué toute l’année à mener un travail de fond sur ce sujet, revu les procédures mais aussi les messages envoyés aux victimes, tout ça avec des associations», détaille Rym Saker en espérant que «ces mesures, sur lesquelles nous allons davantage communiquer, pourront rassurer les femmes, notamment dans le cadre de ce partenariat». Françoise Brié réagit : «On va rester très vigilants sur ces transports, la sécurité des femmes reste notre priorité. La moindre difficulté sera remontée.» Elle appelle aussi à «une sensibilisation plus globale des chauffeurs», sur laquelle Uber assure travailler.
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