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jeudi 29 octobre 2020

Deuxième vague : l'exécutif avait (en partie) de quoi tirer des leçons de la première

Olivier Véran, ministre de la Santé, avant une conférence de presse sur le Covid-19 le 22 octobre.

Olivier Véran, ministre de la Santé, avant une conférence 

de presse sur le Covid-19 le 22 octobre. 

Photo Marc Chaumeil pour Libération

«Libération» a eu accès au rapport du général Lizurey sur la «gestion» par l'exécutif de la première vague de l'épidémie de Covid-19. Si l'ex-patron de la gendarmerie estime que la «réponse de l'Etat» a été «à la hauteur de l'enjeu», il pointe des «faiblesses» et un «manque d'outils».

Un «engagement individuel exceptionnel» mais une «organisation encore perfectible». Voilà la principale conclusion de Richard Lizurey, ancien patron de la gendarmerie nationale, qu’Edouard Philippe avait missionné début avril pour effectuer un «contrôle qualité de la gestion de crise sanitaire». Celle du printemps. Libération a pu consulter ce rapport de 71 pages, resté confidentiel depuis sa remise en juin aux hautes sphères de l’exécutif, et révélé ce mercredi par le Canard enchaîné : il contient vingt-six recommandations à la disposition du gouvernement Castex depuis le début de l’été pour aider l’Etat en cas de nouvelle épidémie à gagner en efficacité et en «anticipation». Compte tenu de l’annonce, probable, ce mercredi soir par Emmanuel Macron, d’un nouveau confinement pour stopper le rebond actuel de l’épidémie de Covid-19, pas sûr que l’ex-«Monsieur déconfinement» ait eu le temps ou la volonté de tout mettre en œuvre.

Attention à la «perte d’expertise»

Que les services de l’Etat soient capables de «conserv[er] l’expertise acquise lors de la première vague», telle était pour le général un «aspect crucial […] en cas de rebond» épidémique. Or, alertait-il, «des renforts ont d’ores et déjà été démobilisés sans que ne soit prévue ni organisée la possibilité d’un retour en cas de deuxième vague». Quatre mois plus tard, cette «deuxième vague» est bien là et le gouvernement Castex va vite devoir remobiliser des personnels : dans son rapport, Lizurey estimait que pour répondre à «l’enjeu de la préservation physique et psychologique» des fonctionnaires, il faudrait «prévoir»«en cas de crise d’ampleur de longue durée […] de doubler systématiquement les responsables dans chaque poste». Et le général de proposer, notamment pour les préfectures dont les «renforts ont été plus longs à mobiliser», «la création d’une "réserve" de hauts fonctionnaires immédiatement mobilisables en cas de gestion de crise».

Le rapport pointe par ailleurs «la difficulté» de l’appareil d’Etat «à faire advenir des organes de gestion de crise réellement interministériels» et fustige le «manque d’outils permettant une circulation fluide de l’information». Passons sur les problèmes vécus par certains préfets qui, «faute de bande passante ou de ponts suffisants […] ont vu leur visioconférence annulée et ont dû se reporter vers des outils de visioconférence civils ou d’audioconférence». Avec les risques de piratage que cela comporte… Lizurey exhorte le gouvernement, dans son rapport, à travailler en «priorité» à la mise en œuvre d’une «plateforme de partage de données», baptisée «Atalante», «afin de bénéficier d’une alerte rapide puis d’un outil opérationnel en cas de rebond de l’épidémie»«Or, poursuit le général, ces travaux semblent souffrir […] d’un manque important de proactivité de la part de plusieurs ministères en termes de partage de données, qui peut mettre en péril la conduite de ce projet.»

L’axe Beauvau-Santé source de «conflits»

Premiers visés dans ces difficultés à s’entendre entre ministères : l’Intérieur qui pilote la Cellule interministérielle de crise (CIC) et la Santé, avec son propre Centre de crise sanitaire (CCS). «Cette situation a créé des doublons, des incompréhensions et des conflits de compétence», peut-on lire dans le rapport. D’un côté, «la CIC n’a pas réussi à suffisamment jouer son rôle de coordination interministérielle»«Perçue comme davantage "intérieur" qu’interministérielle», car logée dans les sous-sols puis dans la salle des fêtes de Beauvau, elle «a conduit les autres ministères à ne pas y participer ou à n’envoyer que des profils "junior"», est-il écrit. De l’autre côté, le ministère de la Santé, qui avait donc son propre centre de crise, n’a pas participé à cette CIC avant… fin mai. Soit au moment du déconfinement.

Durant la crise, il fallait donc une intervention finale, quotidienne, du directeur de cabinet d’Edouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas, pour faire la «synthèse» des «productions de la CIC et celle du CCS». Conclusion cinglante de Lizurey : «La gestion de crise a ainsi donné lieu à de très nombreuses réunions, souvent longues et ne traitant pas toujours des sujets du bon niveau.» Pour rendre plus «lisible» et «perfectible» la «chaîne de commandement», le général recommandait dès le mois de juin la mise en place d’un «dispositif de crise nativement interministériel reposant sur une culture interministérielle commune». Sous-entendu qui ne dépende plus seulement de Beauvau et où chaque ministère y mettrait du sien.

D’autres structures critiquées

Il n’y a pas que l’Intérieur et la Santé qui en prennent pour leur grade dans ce rapport. Les fameux Conseil de défense et de sécurité nationale organisés par le chef de l’Etat à l’Elysée «ont ainsi parfois privilégié l’information au détriment de leur rôle de décision stratégique, devenant inutilement chronophages pour les décideurs». Et, par ailleurs, «la forte centralisation des décisions a laissé une plus faible place aux initiatives locales, dans un contexte où l’épidémie connaissait pourtant une forte hétérogénéité territoriale». L’exécutif y a toutefois remédié dans un deuxième temps en laissant plus de place à la «concertation» des élus locaux et en laissant les préfets décider. Jusqu’à ce que le national reprenne le dessus avec la décision probable d’Emmanuel Macron d’appliquer un reconfinement sur l’ensemble du pays.

Les Agences régionales de santé (ARS) sont aussi critiquées. Elles «ont été souvent perçues comme insuffisamment territorialisées, insuffisamment préparées à la gestion d’une crise sanitaire d’ampleur et comme ayant des difficultés à informer ou coordonner les autres acteurs locaux», sermonne Lizurey. Si des élus dans certains départements n’ont pas eu à se plaindre, d’autres ont pointé un «lien insuffisant […] ne permetta[nt] pas d’adapter de manière optimale les modalités de réponse à l’évolution de l’épidémie en fonction de la situation locale»«Le manque de fluidité dans les relations entre acteurs locaux a pu être source d’inefficience», souligne également le rapport.

Lizurey réclamait à l’exécutif un «retour d’expérience» des «décisions opérationnelles de conduite prises» durant cette première vague avant la fin de l’année 2020. Il recommandait également au gouvernement de rédiger une «note d’étape en septembre 2020» avec des pistes d’«amélioration applicables dans l’hypothèse d’une seconde vague». Rattrapés par la seconde vague, pas sûr que Castex et ses équipes aient eu le temps de s’y mettre.



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