Un masque chirurgical, près de l'hôpital Tenon à Paris
en mars. Photo Amaury Cornu. Hans Lucas
Les déclarations venues du corps médical ressemblent à une cacophonie depuis le début de la crise. Il n’est pas trop tard pour porter un discours cohérent, aidant et citoyen.
Tribune. Il y a quelques jours, je traversai au pas de course ma ville d’exercice pour rejoindre une consœur généraliste à son cabinet, après un crochet auprès du Conseil de l’ordre de mon département, qui mettait à disposition de chaque praticien une précieuse boîte d’une cinquantaine de masques FFP1. Au sein du vide intersidéral de munitions qui nous étaient pourtant annoncées – temps de guerre obligent –, cette annonce avait fait effet de manne providentielle. Pourtant, ne voyant guère d’intérêt à user de ces précieuses armes de combat, en tant que psychiatre confiné derrière un écran de téléconsultation, j’avais préféré répondre à l’appel pressant de cette collègue. Que de proximité ai-je ressenti à l’instant où je lui ai délivré ce lot de masques périmés mais pourtant inestimables.
Le hasard m’a plus récemment fait tomber sur l’intervention, médiatique celle-ci, d’une consœur de l’AP-HP qui, avec une assurance qu’il m’est, pour ma part, de plus en plus difficile de conserver depuis début mars, affirmait qu’«il n’y a pas de problèmes d’accès aux masques pour les soignants en hôpitaux». Soit. Propos rassurant, soignant rassuré. Espoir que les confrères du privé, dont je fais partie, puissent suivre – théorie du ruissellement mise en pratique. Tout ceci fut de courte durée, tant les réactions de ce que l’on nomme la base ne se sont point fait attendre : l’évidence du manque criant de matériel était aisément démontrable, témoignages et reportages à l’appui. Enième rupture dans l’harmonie d’une communication médicale à laquelle il est de plus en plus difficile, pour quiconque, d’adhérer.
Cette nuit enfin, pris d’une insomnie peu coutumière, je découvrais l’interprétation du Boléro par une cinquantaine de musiciens de l’Orchestre national de France… en confinement ! Ou comment, de façon séparée, les membres d’un collectif réussissaient la prouesse de garder intacte la transmission de l’œuvre de Ravel. Avec l’émotion surajoutée issue de ce contexte particulier.
Quel fossé entre nos deux corps de métier ! La grâce pour l’un, la cacophonie chez l’autre. Le nôtre, pourtant, est intrinsèquement associé à la gestion de toute crise sanitaire, là où l’autre est condamné à la subir. Cette difficulté ancestrale du corps médical à communiquer entre ses composantes – liée à la spécialisation et à la diversité des modes d’exercice – comme envers toute représentation acquiert une dimension singulièrement problématique ces derniers mois. Notre peuple, confronté aux phénomènes de démocratisation des savoirs, de diversification des sources d’information, voire d’une désinformation addictogène et à présent plus rentable que l’information même, aurait pourtant bien besoin d’une prise de parole unie de notre part. Non pas unique. Non pas monocorde. Mais capable de faire consensus dans sa polyphonie. Oui, l’un des premiers défis de notre profession, et particulièrement de ceux qui la représentent médiatiquement, devrait être dès à présent, ou à défaut à l’issue de cette crise, de réussir à instaurer en son sein une communication réelle.
Réelle dans le sens d’authentique. La parole d’un médecin qui s’adresse à une population, bien entendu lorsqu’il la prend dans le cadre de sa fonction, est soumise à la même exigence d’éthique et de transparence, telles que définies par sa déontologie, que n’importe quel autre de ses actes. A savoir, entre autres, des devoirs d’information de son patient comme du public, mais aussi celui de veiller à l’utilisation qui est faite de son nom, de sa qualité ou de ses dires. Même lorsqu’il parle au nom d’une entreprise, d’un syndicat ou d’un parti, il est extrêmement gênant qu’un médecin omette ou modifie des éléments d’information, dans le but de servir une vision qui lui reste propre et, encore plus, non médicale. On en revient à cette invraisemblable communication autour des masques, dans laquelle trop de confrères se sont engouffrés. Entendre à quel point le port de ces fameux masques pouvait être inutile voire nuisible pour la population, à l’encontre de la plupart des recommandations internationales, «masquait» mal qu’ils étaient accessoires avant tout du fait de leur manque !
Authentique, mais aussi responsable, car notre parole, vectrice de savoir et donc source de pouvoir, porte. Et, dès lors qu’elle s’exprime dans un espace médiatique, il ne s’agit plus uniquement d’un échange avec des journalistes ou entre confrères, mais avant tout de l’émission d’un propos en direction d’un récepteur invisible mais bien réel. Quand un confrère prend la parole, en des temps si cruciaux, il est essentiel qu’elle soit soupesée, réfléchie. Il est bien évidemment indispensable que nous soyons visibles dans de telles circonstances. Mais enfin, lorsque l’on constate la facilité avec laquelle nombre de médecins ont répondu présent à l’appel continu des chaînes info du même nom, souvent pour ouvrir ou alimenter des débats dont les bénéfices restent largement à prouver, cette visibilité prescrite à haute dose risque d’avoir un effet contraire à celui qui était attendu. Que ce soit avant le déclenchement de la crise, quand des médecins médiatiques nous annonçaient une épidémie comparable à une grippe de façon extrêmement spontanée et manifestement peu argumentée, sans précaution aucune quant à l’incertitude que recèle tout phénomène émergent, pour embrayer par la suite et sans difficulté sur un discours inverse ; ou encore lorsque deux éminents confrères débattent en direct, sans filtre et, il faut l’espérer, sans conscience qu’ils s’adressent avant tout à un public non averti, de l’intérêt de tester sauvagement des stratégies thérapeutiques sur des populations africaines, utiles parce que particulièrement vulnérables…
Matin, midi et soir, un micro est tendu à notre profession. Les discours sont parfois si différents sur un même sujet qu’il devient urgent de créer des lieux alternatifs de discussion, d’échanges constructifs et respectueux entre confrères pour aboutir à un minimum de consensus. Bien que chacun chez soi, confiné dans le petit espace qui est le sien, des orchestres ont su créer une harmonie immédiate pour rendre leur partition audible. Il n’est pas trop tard pour que nous portions un discours médical cohérent, aidant et citoyen, dans la clarté et le collectif. Non pas seulement pour ne pas ajouter à la désorganisation générale, mais surtout parce que, à trop persister dans nos dissensions, nous risquons de réaliser que nous en sommes la principale cause.
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