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lundi 6 avril 2020

« J’ai peur d’être enfermé là-bas, y a trop de cas » : scènes de la justice ordinaire sous coronavirus

Malgré l’épidémie, les procédures continuent, parfois sans avocats, dans des prétoires largement vidés. Non-respect du confinement, trafic de masques… De nouveaux délits émergent, et de nouvelles règles d’audience.
Par  et  Publié le 6 avril 2020
SEVERIN MILLET
Moins d’un mètre sépare la juge et ses deux assesseures dans la trop étroite salle n° 7 du palais de justice de Bobigny. Alors l’audience se déplace, prend ses aises dans la vaste salle des assises, où les magistrates peuvent laisser un fauteuil d’écart entre elles. A Nanterre aussi, on migre vers la salle d’ordinaire réservée aux assises : le dispositif de visioconférence permet d’y faire comparaître certains prévenus confinés sans les extraire de prison. Toute la journée, dans le hall du tribunal de Paris, gigantesque fourmilière en temps normal, on n’entend rien d’autre que le ronron des escalators et les voix des vigiles postés à l’unique porte d’accès ouverte. A Créteil, l’audience s’achève à 20 heures quand, certains soirs avant le confinement, les débats peuvent s’étirer jusqu’à une heure du matin.
Malgré l’épidémie de Covid-19, la justice continue. Au ralenti, tant bien que mal, mais elle continue. Mercredi 1er avril, Le Monde s’est rendu dans quatre tribunaux d’Ile-de-France pour assister aux comparutions immédiates – l’un des rares « contentieux essentiels » que le ministère de la justice n’ait pas mis sur pause. Partout, le même constat : le coronavirus a vidé les prétoires et bouleversé les audiences. Cambrioleurs, pickpockets et petits trafiquants, habitués de ces procès expéditifs, représentent encore la majorité des dossiers. Mais les comparutions immédiates sanctionnent ces jours-ci de nouveaux comportements délictueux estampillés Covid-19 : non-respect du confinement, crachat sur les forces de l’ordre, trafic de masques, ou violences conjugales sur fond de forte promiscuité.

Pour limiter celle qui règne dans les maisons d’arrêt, redoutables foyers infectieux, la garde des sceaux, Nicole Belloubet, a demandé aux procureurs de recourir le moins possible à l’incarcération. Résultat : des magistrats du parquet tiraillés entre la volonté de sanctionner et la crainte d’engorger les prisons. Tendance paradoxale chez les juges également : au nom de la lutte contre la propagation du virus, ils libèrent certains prévenus qui attendent leur procès en détention provisoire avant de pouvoir être jugé en comparution « immédiate ». Mais pour y maintenir certains autres dont les dossiers sont épineux, ils profitent de l’ordonnance prise le 25 mars, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, qui fait passer de deux à quatre mois la durée maximale d’une détention provisoire. Le coronavirus vide les cellules d’un côté et entretient la surpopulation carcérale de l’autre.
Curieuse atmosphère dans ces salles où les flacons de gel hydroalcoolique fleurissent sur les pupitres, et où la vigilance vis-à-vis des gestes barrières décline au fil de l’audience. Bien vite, les prévenus – rarement masqués – comparaissent épaule contre épaule dans le box, les dossiers passent sans précaution de main en main, et personne ne tient huit heures sans se gratter le nez.
Des avocats chuchotent très fort, à un ou deux mètres de distance, les conseils qu’ils glissent habituellement à l’oreille de leurs clients.
Le concept de distanciation sociale varie d’un palais de justice à l’autre. A Créteil, le public – les familles des prévenus – était autorisé dans la salle ; pas à Nanterre, où le huis clos sanitaire avait été décrété. A Paris, aucun policier chargé d’escorter les prévenus dans le box ne portait de masque chirurgical ; à Bobigny, tous en avaient un, l’audience a d’ailleurs failli s’achever car leur stock arrivait à épuisement – de nouveaux masques sont arrivés à temps.
On a vu des avocats contraints de chuchoter très fort, à un ou deux mètres de distance, les conseils qu’ils glissent habituellement à l’oreille de leurs clients ; un président de tribunal rassurer l’assemblée après de multiples quintes de toux ; des policiers suggérer aux prévenus de ne pas s’approcher de la vitre du box, parce que « sur les vitres, ça reste très, très longtemps » ; une audience renvoyée (et une détention provisoire prolongée) parce que le prévenu n’avait pu être soumis à une expertise psychiatrique, l’expert qui devait la pratiquer n’ayant pu se rendre à la maison d’arrêt en raison du confinement. Et tout un tas de scènes inédites que l’on ne reverra plus jamais une fois l’épidémie achevée.

« Cela ne rime à rien de poursuivre ces audiences »

Tribunal de Paris. Pas une seule affaire liée au Covid-19 mercredi 1er avril devant la chambre 23-1, qui ne se penchait que sur des dossiers prépandémie renvoyés à ce jour. Cela n’a pas empêché le virus de perturber les débats, et de faire des victimes : les justiciables privés d’avocats. Le bâtonnier de Paris a en effet décidé de ne plus désigner de commis d’office – les avocats payés par l’Etat, mis à disposition de ceux qui n’en ont pas les moyens –, estimant que les conditions ne sont pas réunies pour assurer la sécurité sanitaire des avocats et des justiciables.
« Laisser ces gens sans défense, surtout dans une période aussi anxiogène, ce n’est pas bien », estime un avocat.
Seuls sont présents à cette audience les avocats choisis, et payés, par leurs clients. Unanimes dans leur désarroi, ils sont divisés. « Personne ne devrait se trouver dans cette salle aujourd’hui, s’offusque l’une. Ni magistrats, ni avocats, ni prévenus, ni policiers… ni la presse. C’est scandaleux, ce virus est dangereux, cela ne rime à rien de poursuivre ces audiences. » « Je ne comprends pas l’attitude du bâtonnier, estime un autre. Il y a des solutions pour s’entretenir avec les prévenus dans les geôles en faisant attention aux gestes barrières, même si ce n’est pas idéal. Laisser ces gens sans défense, surtout dans une période aussi anxiogène, ce n’est pas bien. »
Premier dommage collatéral : Yassine (tous les prénoms ont été modifiés). Un mois et demi plus tôt, en pleine grève des avocats, six d’entre eux s’étaient relayés auprès de lui lors d’une action de défense massive destinée à entraver les procédures. Ils avaient déposé six conclusions pour des nullités de procédure et cinq questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Interpellé en flagrant délit dans le métro en train de voler le téléphone portable dans la poche d’une voyageuse, Yassine avait refusé de se soumettre au prélèvement d’empreintes digitales. Pour cette raison, le tribunal avait décidé de le juger plus tard et de le placer en détention provisoire en attendant.
Six semaines à Fleury-Mérogis (Essonne) plus tard, empreintes digitales enregistrées, Yassine est de retour au tribunal, mais les avocats ne sont plus là. Les QPC et nullités que personne n’est venu soutenir sont évacuées. Seul face au juge, les yeux rougis par les larmes, Yassine est condamné à huit mois ferme. Bonne nouvelle pour lui : il sort de prison le soir même, avec une convocation chez le juge de l’application des peines chargé d’aménager la sienne.

« Je descends même plus en promenade »

Tribunal de Bobigny. Walid, 30 ans, se déplace péniblement dans le box avec ses béquilles. En détention provisoire à Fresnes (Val-de-Marne) pour avoir conduit sans permis et sans assurance, mais avec stupéfiants et en récidive, il demande sa mise en liberté dans l’attente de son procès, prévu quelques jours plus tard. Son avocat évoque la promiscuité en prison, et les risques liés aux diverses pathologies de son client, reconnu handicapé.
« J’ai peur d’être enfermé là-bas compte tenu de tout ce qui se passe avec le coronavirus, plaide Walid. J’ai une infection à la jambe, je descends même plus en promenade. Je suis vraiment désolé, je sais que tout est de ma faute, mais j’ai trop peur d’être enfermé là-bas, y a trop de cas de coronavirus. » Demande de mise en liberté acceptée, sous contrôle judiciaire, en attendant le procès.
Arrive Mehdi, lui aussi pour une demande de liberté avant son procès pour « escroquerie en bande organisée ». Debout derrière la vitre en Plexiglas, le prévenu pose allègrement ses mains sur le rebord du box, saisit à pleine paume la tige du micro pour expliquer à la présidente qu’il doit absolument sortir parce qu’il a des problèmes de vue et des problèmes de dents avant, joignant le geste à la parole pour qu’elle comprenne bien, de se frotter les yeux et les gencives avec les doigts. Pendant ce temps, son avocat apporte un certificat médical à la présidente, qui le saisit à l’aide d’un mouchoir pour ne pas le toucher directement.

« J’ai craché dessus, je ne sais pas ce qui m’a pris »

Tribunal de Créteil. Ahmed en avait plus qu’assez d’être confiné, ce que le tribunal de Créteil, qui ne l’est pas, pouvait comprendre, sinon approuver. Lorsqu’il est tombé sur un contrôle de police, le 31 mars, à la gare de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), cet Algérien de 53 ans est passé devant tout le monde, s’est collé à cinquante centimètres des policiers et leur a tendu une attestation de sortie toute raturée en leur disant qu’ils « n’avaient rien à faire là ». On lui a demandé ses papiers, il a sorti un titre de séjour et a craché dessus en disant qu’il avait le Covid-19.
Garde à vue, comparution immédiate. Le monsieur est passablement embarrassé. « J’ai craché dessus pour pas qu’il me le prenne, je ne sais pas ce qui m’a pris », explique Ahmed, il était un peu énervé, il venait déjà d’écoper d’une amende de 135 euros. D’ailleurs, il n’a pas le Covid-19, il a une cirrhose. Trois mois de prison avec sursis.
« Un crachat, c’est déjà extrêmement humiliant en période normale, insiste la procureure, mais en période de contamination, c’est odieux. »
Il a de nouveau été question de crachat quelques minutes plus tard avec Demba, grand gaillard de 25 ans qui a frappé son ancienne petite amie à coups de poing et de casque de moto le 30 mars à Saint-Mandé (Val-de-Marne) – elle en porte les stigmates un peu partout sur le visage. Trois agents de la police municipale, appelés par les voisins, sont intervenus et se sont fait insulter, eux et leur mère, de tous les noms. Le jeune homme a été maîtrisé non sans mal, et non sans cracher au visage d’une policière.
« C’est un peu abject ? », demande doucement le président. La policière en tremble encore, et explique qu’elle est maman, qu’elle a deux enfants. « Un crachat, c’est déjà extrêmement humiliant en période normale, insiste la procureure, mais en période de contamination, c’est odieux. » Le prévenu reconnaît quelques coups, s’excuse à peine. En garde à vue, il avait dit : « Si je l’avais tapée, elle serait à l’hôpital. » Dix-huit mois de prison, dont six avec sursis.

« A sept dans 71 m2, une promiscuité »

Tribunal de Bobigny. Le 28 mars, Marvin, 110 kg, a donné un coup de poing à sa conjointe qui lui criait dessus parce qu’il n’avait pas nourri les quatre premiers enfants ni changé la couche du petit dernier pendant qu’elle était sortie faire les courses. La procureure, constatant « une promiscuité difficile avec le confinement à sept dans 71 m2 », requiert du sursis et l’interdiction de retourner au domicile familial pour le prévenu, qui reconnaît les faits.
Le tribunal a fini de délibérer, l’audience reprend, Marvin est censé revenir dans le box pour le jugement, mais se fait attendre. A sa place apparaît un policier masqué qui, par la fente du box vitré, explique à la présidente que Marvin ne peut pas revenir tout de suite à cause d’un sérieux problème digestif, pour le dire poliment. « Je crois qu’on ne va pas le remonter, parce que franchement, il est mal. »
Moment de flottement à l’audience, la présidente ne sait pas trop quoi faire. La jeune greffière n’a pas tout saisi, et voudrait comprendre ce qui se passe pour noter l’incident sur son procès-verbal d’audience. Derrière le Plexiglas et son masque chirurgical, le policier hésite, semble chercher ses mots, puis dit, un peu embarrassé : « On ne peut pas faire remonter le prévenu, il a été pris d’une chiasse soudaine.
– Quoi ?, demande la greffière, qui n’a pas bien entendu, à cause du masque et du Plexiglas qui les séparent.
– Le monsieur a été pris d’une chiasse soudaine, répète le policier, sans se démonter, ni ôter son masque.
– Il a été pris de quoi ?, insiste la greffière, en se levant pour faire le tour du box et se placer devant l’ouverture du plexiglas.
– Euh… Bah d’une chiasse soudaine. »
La greffière rougit et s’excuse d’avoir fait répéter trois fois l’élégante expression au policier, pendant que les magistrats peinent à réprimer un gloussement.
En réalité, ce n’est pas drôle : on craint que le prévenu soit atteint du Covid-19. « C’est un des symptômes », affirme à juste titre le policier masqué. « C’est peut-être juste le stress ? », tente l’avocate. Le policier répond qu’un second prévenu, au dépôt, se sent mal lui aussi, toux et mal au crâne. Il faut appeler un médecin, mais l’huissier n’est pas là : confiné chez lui. C’est donc la procureure elle-même qui descend de son perchoir pour s’en charger. Marvin ne revient pas dans le box. Douze mois de sursis et interdiction d’entrer en contact avec sa conjointe et de retourner au domicile conjugal.

« Maintenant, restez chez vous, sinon, au gnouf ! »

Tribunal de Bobigny. Depuis le 23 mars, les trois premiers défauts d’attestation lors d’un contrôle dans la rue entraînent une contravention. Au bout de quatre fois en moins de trente jours, cela devient un délit jugé au tribunal. Lassana, 18 ans, a été arrêté à Pantin (Seine-Saint-Denis) le 31 mars, c’était la septième fois en une semaine qu’il était contrôlé sans attestation.
« Vous êtes bien conscient que, depuis quinze jours, nous sommes tous confinés ?, demande une assesseure.
– Franchement, j’ai zéro excuse.
– Vous faisiez quoi, vous alliez voir les copains ?
– Oui.
– On vous a retrouvé à chaque fois à un point de deal. Vous en pensez quoi ?
– J’en sais rien.
– Vous dites fumer cinq joints par jour. Vous n’étiez pas en train d’aller récupérer votre consommation de cannabis ?
– Non.
– Maintenant vous allez rester chez vous ?
– Oui.
– Ou sortir dans le cadre prévu par la loi ?
– Oui.
– Vous faites quoi actuellement ?
– Rien du tout.
– Vous avez arrêté l’école depuis deux ans, que faites-vous de vos journées ?
– Je traîne avec des potes. »
Il se trouve que le père de Lassana a la santé fragile. « En sortant, ce sont des gens comme votre père que vous mettez en danger », explique la présidente. L’assesseure enchérit : « Si le gouvernement a mis en place des règles strictes, c’est que ce n’est pas un virus anodin. » « J’ose espérer que ces discours permettront de faire comprendre à monsieur qu’il est grand temps de rentrer dans le rang », ajoute la procureure, qui requiert 240 heures de travaux d’intérêt général (TIG).
L’avocate plaide « l’immaturité » de son tout jeune client, qui brave le confinement parce qu’il se croit « immortel ». Lassana est condamné à 150 heures de TIG. L’avocate reste à deux mètres du garçon pour le sermonner en chuchotant : « Bon, maintenant, vous avez compris, vous arrêtez vos bêtises et vous restez chez vous ! Sinon, au gnouf ! »

« Les policiers partent à la chasse »

Tribunal de Bobigny. Jackson, 21 ans, d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), a été contrôlé cinq fois sans attestation entre le 27 et le 31 mars, il se dirige tout droit vers les travaux d’intérêt général – et risquerait la prison ferme en cas de récidive. Mais son avocate souligne une bizarrerie sur le procès-verbal d’interpellation : le policier qui l’a rédigé précise qu’avant de patrouiller, lui et ses deux collègues ont consulté, au commissariat, une liste d’individus déjà verbalisés plusieurs fois pour non-respect du confinement. Puis ils sont montés dans leur voiture, ont reconnu Jackson au détour d’une rue, savaient qu’il faisait partie de cette liste, et l’ont arrêté. Son attestation, qu’il n’avait pas, ne lui a été demandée qu’une fois en garde à vue.
« Pardon d’avoir à dire ça, mais des gens de votre âge meurent du coronavirus », rappelle la présidente à Jackson, 21 ans.
En clair, affirme l’avocate : au lieu d’effectuer des contrôles aléatoires, des policiers tiennent une liste de personnes susceptibles d’être arrêtées car déjà contrôlées trois fois sans attestation. En encore plus clair, selon elle : des policiers détournent l’infraction de non-respect du confinement pour arrêter ceux qu’ils soupçonnent d’être impliqués dans le trafic de stupéfiants. « Ils partent à la chasse sur les points de deal », explique l’avocate, qui demande que l’interpellation, et donc la procédure, soient considérées comme nulles.
Après délibération, la présidente fait droit à sa demande : « Le motif du contrôle est irrégulier, je n’ai jamais vu un PV d’interpellation aussi mal fait. » Elle précise tout de même à l’attention du jeune homme : « Nous vous remettons en liberté parce qu’il y a un vrai souci d’irrégularité procéduraleMais vous mettez en danger la vie de votre famille, celle des gens que vous croisez, et la vôtre. Pardon d’avoir à dire ça, mais des gens de votre âge meurent du coronavirus. »

« De toute façon, les handicapés, ils sont confinés »

Tribunal de Nanterre. Tommy Junior, 24 ans, doit plier son double mètre dans le box pour arriver à la hauteur du micro. Le 30 mars, aux trois policiers qui lui signifiaient qu’il venait de garer sa Mercedes sur une place pour handicapés, ce gérant d’une société de nettoyage, également étudiant en école de management, a répondu : « De toute façon, les handicapés, j’en ai rien à foutre, ils sont confinés. »
L’interpellation est houleuse, Tommy Junior se débat, les insultes fusent. « Bande de fils de pute », « Me cassez pas les couilles », « Vous êtes des trous de balle », « Sales rats », « Enfants de la DDASS », indique le procès-verbal des policiers, sur lequel on lit encore : « Vous êtes des smicards, vous me contrôlez parce que j’ai une doudoune à 1 000 euros et une Rolex. »
« C’est vrai que lorsque je me suis fait contrôler, je n’ai pas été des plus courtois », convient Tommy Junior, qui nie toutefois les propos grossiers qu’on lui prête. Oui, il a parlé de la doudoune et la Rolex. « Je leur ai dit : “Bande de jaloux.” Par contre, “sales rats” ou “fils de pute”, c’est pas des mots que j’ai dits. »
« Moi je travaille, et je me fais contrôler cinq fois par jour », se défend le jeune homme.
Un coup de Taser, et Tommy Junior s’est retrouvé au sol. Lorsque les policiers ont tenté de lui mettre un masque, il a craché dans leur direction avant de se frotter la bouche contre l’arrière de l’appui-tête face à lui, quelques instants plus tard, dans la voiture qui l’embarquait au commissariat.
« Moi je travaille, et je me fais contrôler cinq fois par jour », se défend le jeune homme, qui explique sa nervosité ce matin-là par le fait qu’il était pressé et qu’une journée compliquée l’attendait au boulot. Et s’il a bien craché après avoir été mis au sol, c’est parce qu’il avait mangé du bitume, et ce n’était pas en direction des policiers. Déjà condamné récemment à du sursis pour outrage et rébellion, il voit ce sursis révoqué. Total : dix mois de prison, 500 euros au titre du préjudice moral pour chacun des trois agents – absents de l’audience, sur conseil de leur avocate, en raison de la situation sanitaire. Pas d’incarcération immédiate, le juge de l’application des peines enverra une convocation. « Vous pourrez essayer de plaider le bracelet », suggère le président.

« J’ai une phobie des masques maintenant ! »

Tribunal de Bobigny. Le dernier dossier du jour sera renvoyé vu son épaisseur et l’heure tardive, mais il faut tout de même se prononcer sur le sort, d’ici là, des deux prévenus, que la présidente invite à s’asseoir, mais « pas juste à côté l’un de l’autre ».
Marwan, masque baissé sur le menton pour pouvoir parler, explique qu’il est un entrepreneur à succès en Algérie, qu’il dirige huit sociétés avec un gros chiffre d’affaires, notamment dans l’import-export, donne une adresse sur les Champs-Elysées, et estime ses revenus à 30 000 euros par mois. La présidente fronce le sourcil : « Dans ce cas, on peut s’interroger sur l’opportunité d’acheter des masques en Chine pour les revendre en période de crise sanitaire. »
« Ils connaissent un fournisseur en Chine, ils pensaient se faire un petit pécule en achetant [les masques] 20 centimes et en les revendant 40 », plaide l’avocate
En l’occurrence, 50 000 masques, que Marwan et son acolyte auraient dû retirer s’ils n’avaient pas été dénoncés et interpellés avant. Or, depuis un décret du 23 mars, les stocks de masques sont réquisitionnés en France. « Ils connaissent un fournisseur en Chine, ils pensaient se faire un petit pécule en les achetant 20 centimes et en les revendant 40, ils le reconnaissent, commence à plaider l’avocate. A l’époque où ils ont commandé ces masques dont ils n’ont jamais vu la couleur, le décret n’était pas passé, c’était légal, ce n’était pas encore l’état d’urgence sanitaire. »
« C’est très important que je reste à l’extérieur, parce que je gère plusieurs sociétés à la fois, explique Marwan. Et c’est trop risqué de rester en prison avec le coronavirus, comme a dit l’avocate. » Lui et son compère sont relâchés, leur procès aura lieu le 2 juin. En attendant, les masques sont saisis, prévient la présidente. « Je m’en fiche des masques !, répond Marwan, tout sourire, et désignant celui qu’il a au menton. Celui-là, je le porte parce qu’on m’a forcé, mais j’ai une phobie des masques maintenant ! »


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