Depuis le 17 mars, elle a envoyé sur le terrain près de huit fois moins de personnes que la plate-forme Renforts-Covid montée par l’ARS d’Ile-de-France avec la start-up de santé MedGo.
L’épidémie de grippe H5N1, en 2007, avait convaincu la France d’anticiper d’autres crises en créant un corps de réserve sanitaire, de plusieurs milliers de personnes, capable de venir, en urgence, en soutien de professionnels de santé submergés par l’afflux de malades. Treize ans plus tard, face au Covid-19, la réserve sanitaire peine pourtant à remplir son office. A tel point que l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France a dû créer, le 21 mars, un dispositif de renfort alternatif, Renforts-Covid, monté avec la start-up de santé MedGo.
Ce dispositif a été adopté, par la suite, par sept autres ARS. Depuis le 17 mars, la réserve sanitaire a même envoyé sur le terrain près de huit fois moins de personnes que la plate-forme Renforts-Covid. Pour expliquer ce naufrage, les volontaires comme les ARS estiment que son fonctionnement et ses moyens sont inadaptés à une telle situation d’urgence.
Pourtant, les volontaires ne manquent pas. Depuis le début de la crise, fin janvier, près de 19 000 personnes ont fait acte de candidature pour rejoindre la réserve sanitaire, qui comptait déjà 21 000 membres. Mais selon le décompte fait le 3 avril, seuls 719 réservistes ont été mobilisés jusqu’ici. Pour sa part, au 1er avril, la plate-forme Renforts-Covid lancée le 21 mars avait déjà pourvu plus de 5 500 demandes de renfort. De plus, sur les 16 363 volontaires inscrits sur cette interface numérique, 13 319 volontaires avaient un métier recherché par les établissements de santé, en majorité des infirmières et des aides-soignantes, en réanimation et en gériatrie.
Maud Picaud, 29 ans, infirmière, réside normalement au Qatar. Bloquée en France par le confinement, elle s’est inscrite le 23 mars sur la plate-forme Renforts-Covid. « J’ai hésité avec la réserve sanitaire, mais je savais que je serais “déclenchée” moins vite et que ce serait beaucoup plus bureaucratique. » Son profil est recherché. Disponible, elle a travaillé en réanimation et aux urgences. « J’ai commencé à la clinique Claude-Galien, dans l’Essonne, puis j’ai été au centre de régulation de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges. » Depuis, elle reçoit des centaines de propositions. « Le privé est plus réactif, l’hôpital public de la Salpêtrière, à Paris, ne me faisait venir qu’après avoir fini les tâches administratives, soit plusieurs jours. »
Pannes du serveur informatique
Jean-Luc, 46 ans, originaire de la région Grand-Est, également infirmier, est membre de la réserve sanitaire depuis plusieurs années. « Ils m’ont appelé, mais j’étais déjà sur le pont contre le Covid. » Nathalie, elle, est médecin généraliste. Habitant en Rhône-Alpes, elle s’est portée candidate pour la réserve sanitaire. « Au bout de dix jours, je n’avais toujours pas de réponse, alors j’ai choisi la plate-forme Renforts-Covid, qui permet de choisir la zone de mission. J’ai rejoint une clinique à 20 kilomètres de chez moi. »
Sous-dimensionné, le serveur informatique de la réserve sanitaire est tombé en panne face au nombre de connexions. Même sans cet aléa, c’est le fonctionnement même de la réserve qui pèche. Là où la plate-forme Renforts-Covid met en contact direct les établissements de santé et les volontaires, la réserve sanitaire répond aux demandes des ARS qui, elles-mêmes, font le relais avec les hôpitaux, cliniques ou Ehpad, qui ont besoin d’aide. Par ailleurs, le système Renforts-Covid confie aux établissements de santé la vérification des compétences des volontaires, alors que la réserve sanitaire effectue elle-même le contrôle des dossiers de milliers de volontaires avec… huit personnes.
Isabelle Mouginot n’avait pas exercé son métier d’infirmière depuis trente ans. Elle s’est inscrite sur la plate-forme Renforts-Covid le 26 mars. « La réserve sanitaire n’admet pas les profils comme le mien, ses critères sont trop restrictifs, dit-elle. Dès le lendemain, on m’a appelée pour des gardes de nuit à la clinique Labrousse, à Paris. Quand j’avais des questions, je demandais à un cadre. Depuis, trois autres établissements m’ont contactée. »
« Une grosse structure qui patine »
L’agence Santé publique France, dont dépend la réserve sanitaire, tente de se dédouaner. « La réserve n’est en aucun cas décisionnaire sur les renforts à apporter, mais répond aux demandes des ARS », affirme-t-elle. Résultat, comme le répète à l’envi Catherine Lemorton, ex-députée (PS) à la tête de la réserve sanitaire depuis un an, « beaucoup ne sont plus disponibles quand on les sollicite, parce qu’ils ont déjà été appelés ». Les établissements peuvent également solliciter directement des volontaires.
Il n’existe, en effet, aucune coordination. « Renforts-Covid, explique l’ARS d’Ile-de-France, est une plate-forme indépendante de la réserve sanitaire. » De fait, ce dispositif, pensé comme un complément, est devenu la principale porte d’entrée pour l’envoi de renforts dans le pays. L’ARS de Bourgogne-Franche-Comté, qui l’utilise, le confirme tout en mettant les formes : « Renforts-Covid permet l’expression de solidarités locales, cela ne se fait pas au détriment de la réserve. » Autre abonnée à Renforts-Covid, l’ARS d’Occitanie constate qu’elle est « très opérante et qu’elle fait correspondre la demande et l’offre. Renforts-Covid va sans doute rebattre les cartes ».
Claude Le Pen, professeur à l’université Paris-Dauphine, où il dirige le master économie et gestion de la santé, estime que « la réserve sanitaire paie le refus de l’Etat de lui accorder davantage d’autonomie ». Or, ajoute-t-il, « dans les crises, on se retrouve avec une grosse structure qui patine d’un côté, et de l’autre des professionnels qui n’ont pas d’interlocuteur. La haute administration de la santé en France, très centralisatrice, a beaucoup de mal avec des dispositifs ponctuels et très réactifs. »
« Diplomatie sanitaire »
Née en mars 2007 de la loi sur la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur, la réserve sanitaire avait été confiée à l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus). En 2015, elle compte 2 078 personnes et sa gestion mobilise six personnes, soit deux de moins qu’en 2020. La même année, le sénateur (UMP) Francis Delattre écrit, dans son rapport sur l’Eprus, que seuls 120 réservistes sont alors réellement actifs, car, dit-il, cette réserve, surtout composée de retraités, est avant tout un outil de « diplomatie sanitaire ».
En 2016, dans un climat de pression financière, la petite équipe de l’Eprus et de la réserve sanitaire est absorbée dans la grande agence Santé publique France. « Dans mon rapport, en 2015, se souvient M. Delattre, je militais, au contraire, pour leur accorder plus de liberté. C’était des missionnaires. Au nom de la sécurité sanitaire, la réserve a été noyée dans la bureaucratie et confiée à des gestionnaires à la petite semaine. »
En 2010, la Cour des comptes, dans son rapport sur l’Eprus, estimait déjà que « les difficultés de recrutement [de la réserve] conduisent à envisager une réorientation profonde tendant à une décentralisation des recrutements (…) en situation de crise ». Jusqu’au début des années 2010, ce sont les préfets qui signaient les contrats d’engagement des candidats à la réserve sanitaire.
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