Pour les familles enfermées dans des habitations exiguës et insalubres, le confinement s’apparente à une double peine. Témoignages.
La chorégraphie du quotidien, déjà méthodique, est désormais millimétrée. Aux aurores, Lakhdar (tous les prénoms ont été modifiés) et sa femme replient la couche sur laquelle ils dorment avec leur dernier-né. La table basse, renversée contre un mur la veille, reprend sa place, au milieu de la pièce. Sur la banquette d’angle, deux autres enfants, de 7 et 9 ans, se réveillent doucement. Dans le studio de 15 m² où le couple s’est installé en 2013, c’est l’heure du petit déjeuner. Depuis le début du confinement, le 17 mars, la course à l’habillage a été remplacée par un nouveau rituel : l’écoute attentive des leçons de mathématiques diffusées sur France 4. Les 3 m² moyens dévolus à chacun permettent peu de fantaisies.
Selon la dernière enquête Logement menée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) en 2013, 934 000 personnes vivent dans une situation de « surpeuplement accentué » : il manque deux pièces ou plus à leur logement.
En Ile-de-France, où résident quatre familles jointes par Le Monde, la situation est particulièrement alarmante : 20,2 % des foyers modestes occupent un logis surpeuplé. Faute d’obtenir un logement HLM (habitation à loyer modéré), malgré le fait d’avoir été reconnues prioritaires au titre du droit au logement opposable (DALO) il y a plusieurs années, elles traversent le confinement comme des centaines de milliers d’autres mal-logés, dans un espace exigu, souvent insalubre, qu’elles ne peuvent désormais plus quitter à leur guise.
Impossible de s’échapper
Avant le confinement, le studio de la famille de Lakhdar connaissait des moments de calme. Les enfants étaient à l’école toute la journée. Son épouse, Sofia, s’occupait des courses et de l’appartement. Lui, chef d’une équipe dans une société de nettoyage, rentrait de son « shift » commencé à l’aube pour déjeuner en sa compagnie, avant de repartir en fin d’après-midi pour un second service jusqu’à 20 heures.
« C’est la première fois qu’on se retrouve aussi longtemps tous les cinq, explique Lakhdar. Sans tensions jusqu’ici. » Leur immeuble dispose d’une cour intérieure, « alors on joue dehors avec eux, pour oublier le confinement ». Le père de famille, en chômage partiel, continue à nettoyer tous les matins, durant deux heures seulement et adéquatement protégé, les bureaux d’une grande banque dans l’Ouest parisien.
Des « bols d’air » dont ne dispose pas la famille de Yacine. Lui habite avec sa femme et leurs quatre enfants dans un 35 m² délabré. Dans la pièce à vivre, un rat se faufile derrière le canapé. « A cause de la boulangerie en bas. Ça, ça ne change pas », dit en soupirant le père de famille. La moisissure a noirci les murs d’une chambre de 5 m², où est coincé un lit superposé pour deux des enfants. L’appartement résonne des cris de son garçon de 5 ans, qui ne comprend pas pourquoi il ne peut pas aller au parc. Impossible de s’échapper pour le travail : pour l’heure, Yacine, intérimaire, n’en a plus.
« Rester dedans m’épuise »
Lina, qui touche le revenu de solidarité active (RSA) et vit avec sa fille de 11 ans dans 15 m², doit, elle, prendre des cachets pour calmer ses crises d’angoisse. « Avant, on arrivait à tenir à peu près parce qu’on ne restait pas beaucoup à l’intérieur. On ne revenait que le soir, pour dormir. » La quinquagénaire est prise d’un sanglot quand elle évoque le confinement. Chaque jour est porteur de choix cornéliens : le foyer ne dispose que d’un seul ordinateur et la formation de Lina, rémunérée par Pôle emploi pourvu qu’elle y soit assidue, a lieu en ligne aux mêmes heures que les cours de sa fille.
La tombée de la nuit n’apporte aucun soulagement. Des cafards se frayent un chemin entre la table basse et le canapé-lit
La tombée de la nuit n’apporte aucun soulagement. Des cafards se frayent occasionnellement un chemin entre la table basse et le canapé-lit. L’air est si humide qu’elles peinent à respirer et à s’endormir. Par endroits, les murs sont zébrés d’une moisissure verdâtre. L’adolescente a développé une rhinite chronique. Le confinement est une période faste pour les spores, à cause de l’occupation désormais permanente des logements surpeuplés. « La présence humaine, du fait de la respiration et des activités domestiques, telles que le ménage, la toilette ou encore la cuisine, génère des quantités d’eau importantes », notait l’Observatoire régional de santé d’Ile-de-France dans une étude sur les effets sanitaires des moisissures publiée en 2010.
Pour la première fois, l’extérieur n’offre aucune échappatoire. « Rester dedans m’épuise, mais aller dehors m’angoisse », résume Lina.
Des sorties limitées à une fois par semaine
La plupart de ces familles abritent en leur sein au moins une personne particulièrement vulnérable au Covid-19 : l’épouse de Yacine est diabétique, Lina est polyhandicapée, sa fille a des problèmes respiratoires, tout comme Elsa et son bébé, qui partagent avec son époux, Marwane, et la mère de ce dernier un 35 m² où les moisissures persistent.
Alors, de peur de « ramener le virus à la maison », comme dit Yacine, les quatre familles interrogées respectent strictement le confinement. A l’exception de Lakhdar, qui travaille encore à l’extérieur, les sorties sont limitées à une fois par semaine. La personne la moins vulnérable est désignée pour faire les courses.
Marwane, pour qui le confinement « ne change pas trop l’organisation quotidienne », puisqu’il officie depuis quelques années de chez lui comme développeur – son épouse, sa mère et son bébé restant dans l’autre pièce lorsqu’il travaille –, reconnaît qu’il effectue cette « mission » de réapprovisionnement avec « plus d’appréhension qu’autre chose ». « Je ne chasse plus du tout les promos, je le fais le plus vite possible, avec un maximum de précautions », dit-il.
Dans ce contexte, les images de couples déambulant au bord du canal Saint-Martin ou de jeunes bronzant sur des bancs publics, passées en boucle sur les chaînes d’information le week-end dernier, leur paraissent surréalistes. « C’est n’importe quoi, il y en avait même qui avaient sorti le vélo pour leurs enfants ! », gronde Lakhdar. Yacine abonde : « Il faut vraiment que tout le monde reste chez soi pour que cette maladie s’arrête. »
« Le stress est immense pour les ménages à bas revenus. Le moindre incident peut entraîner une incapacité à payer son loyer. »
Angoissés par leur futur incertain, tous espèrent que la fin du confinement sera annoncée par Emmanuel Macron, lors de l’allocution prévue lundi. « Le stress est immense pour les ménages à bas revenus, explique Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Le moindre incident – fin d’un CDD, d’un intérim ou d’un petit boulot pas forcément déclaré – peut entraîner une incapacité à payer son loyer. »
Pour Lina, l’espoir d’un logement décent s’est envolé. Au moins pour un temps. La commission d’attribution des logements sociaux devait étudier son dossier. Un élu local avait promis d’appuyer sa demande, tout comme l’assistante sociale de l’école de sa fille. Elle se voyait déjà quitter le minuscule studio et son humidité poisseuse, offrir à la petite son propre lit et un bureau pour y faire les devoirs. Elle est désormais dans le flou.
Comme pour éviter à sa mère de se laisser suffoquer, la fillette ouvre grand la fenêtre du balcon tous les après-midi. Elle s’y installe parfois pour « regarder la vie en bas » et oublier un temps la vie dedans.
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