THE NEW YORK TIMES - NEW YORK Publié le
Elinore Kaufman
Le New York Times publie le vibrant plaidoyer d’une médecin urgentiste de Philadelphie pour que cesse la violence par arme à feu pendant la pandémie de Covid-19 afin de pas engorger davantage les services d’urgence.
Mon bipper sonne à nouveau : la police est en route. Ils vont déposer une victime par balle aux urgences.
Je reçois ce genre de messages pratiquement tous les soirs dans mon service d’urgences. J’enfile rapidement ma combinaison pour me protéger des projections de sang et autres fluides corporels. Mais, pour la première fois, j’économise les masques propres pour les réutiliser.
À cause du coronavirus, les proches de mes patients ont besoin d’être escortés par la sécurité parce que les visiteurs ne sont plus autorisés à entrer dans la salle d’attente. Je ne peux plus amener une famille au chevet d’une victime par balle dans l’unité de réanimation. Je ne peux plus dire à une mère éplorée qu’elle peut rester aussi longtemps qu’elle le souhaite.
L’autre épidémie
Les médecins comme moi essayent de limiter la pandémie de coronavirus. Mais des milliers de familles en Amérique sont déjà frappées par une autre épidémie qui dure depuis trop longtemps : les violences par arme à feu.
Les blessures par arme à feu font plus de 120 000 victimes chaque année aux États-Unis, avec des conséquences dramatiques pour elles et leurs familles. Mais les conséquences pour notre système de santé sont encore plus graves en période de pandémie.
Nous avons besoin de lits en réanimation, nous avons besoin de respirateurs, nous avons besoin de personnel pour prendre en charge la vague de patients atteints de Covid-19. Mais les victimes de coups de feu accaparent elles aussi les maigres ressources des services d’urgences aux États-Unis.
Cette crise, je la ressens profondément dans mon hôpital. Selon les chiffres de la municipalité, il y a eu plus de 120 fusillades à Philadelphie en mars. Sur les sept derniers jours, notre équipe a pris en charge 11 patients blessés par balle, alors même que l’épidémie de Covid-19 s’intensifie à Philadelphie.
68 558 lits pour adultes en réanimation
Tandis que nos unités de soins intensifs se remplissent de patients qui ont du mal à respirer, nous regardons autour de nous et nous nous demandons : faut-il garder un lit, voire deux, pour les victimes par balles qui vont arriver ? Qui va surveiller ces malades sous respirateur si nous devons appeler des médecins en renfort en salle d’opération ?
Nous ne sommes pas les seuls à connaître ce genre de problèmes. Le maire de Baltimore, Jack Young, a lancé un appel mi-mars : “Rangez vos armes et laissez l’hôpital aux malades atteints de Covid-19.”
Aux États-Unis, plus de 80 000 personnes arrivent chaque année aux urgences pour des blessures de ce type. Environ une personne sur quatre est admise en réanimation et y reste en moyenne trois jours – ce qui occupe une place précieuse dont nous avons désespérément besoin. (Selon les chiffres de la Société de médecine intensive, il n’y a que 68 558 lits en réanimation pour adultes dans le pays.)
Nous ignorons encore quelles répercussions la pandémie de Covid-19 aura sur la délinquance et la violence. Selon la police de Philadelphie, la criminalité est en baisse depuis l’entrée en vigueur des mesures de distanciation sociale. Mais les blessures par arme à feu n’ont pas ralenti, et pourraient même augmenter.
Violence accrue
Les mesures de distanciation sociale pourraient certes réduire les conflits et les disputes qui conduisent à la violence. Mais le stress qu’il induit est également un facteur d’augmentation des violences domestiques. Les suicides représentent déjà 60 % des morts par arme à feu et pourraient augmenter.
J’ai également vu avec inquiétude les gens faire la queue devant les armureries, pour faire des provisions d’armes à feu et de munitions, prétendument pour se protéger. Ils risquent au contraire de se mettre en danger, eux et leurs familles, car les enfants qui s’ennuient peuvent tomber sur ces armes et se blesser ou blesser d’autres personnes.
Les répercussions économiques de cette pandémie risquent de frapper plus durement les plus défavorisés. Les inégalités dans les quartiers déjà exposés à un risque accru de violence en raison du racisme et de la pauvreté systémiques vont se faire plus criantes, et la violence dans ces zones pourrait encore augmenter.
Besoin d’une volonté politique
Si notre mission est de soigner, chaque patient blessé par arme à feu admis aux urgences nous met en colère. Ces admissions en réanimation pourraient être évitées, car toutes ces blessures peuvent être évitées.
Nous avons surmonté des crises de santé publique par le passé. Les politiques de santé publique qui ont permis de réduire de moitié la mortalité sur les routes, même si nous n’avons jamais autant pris la voiture, pourraient être mises en place pour réduire les blessures par arme à feu.
Mais il faudrait des professionnels dévoués, des données exhaustives ainsi qu’une volonté politique pour identifier et mettre en œuvre des solutions probantes. Cela passe par des lois sur la délivrance des permis aux vendeurs et aux acquéreurs d’armes à feu, par des ordonnances de protection contre les risques extrêmes [qui permettent la saisie des armes à feu de personnes pouvant présenter un danger pour elles-mêmes ou pour autrui], par la mise à disposition des données aux chercheurs ou encore par des programmes de prévention ciblés selon les quartiers.
Le Covid-19 va mobiliser la totalité de nos ressources en matière de santé publique, mais cette pandémie est loin d’être la seule crise de santé publique à laquelle nous sommes confrontés. Si nous pouvons nous unir pour lutter contre la pandémie, restons aussi mobilisés contre les armes à feu. S’il vous plaît, rangez vos armes. Nous avons besoin de lits.
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