Chronique «Aux petits soins».
Deux livres dissèquent le malaise hospitalier, et en particulier celui des soignants.
C’était en 2010, un suicide au CHU de Montpellier d’un jeune médecin dans un contexte d’erreurs liées aux soins. Ce drame provoque un très violent «orage émotionnel» qui ne va pas rester pas, cette fois-ci, sans suite. Alors que la question de la souffrance du monde hospitalier n’est pas encore très fréquemment abordée, le CHU va mettre en place un groupe des soignants «pour faire face aux erreurs de soins», mais surtout un groupe de médecins qui va travailler sur «le bien-être au travail» de cette profession.
60% des urgentistes en mal-être
Des travaux viennent de sortir dans un livre avec pour titre : Les médecins ont aussi leurs maux à dire (1).
Une autre étude, publiée par un chercheur des Hôpitaux de Marseille, a porté sur des dizaines de travaux incluant 15 000 médecins français. Au final, elle montre que «près de 60% des urgentistes (57%) et plus de la moitié des jeunes médecins (52%) souffrent d’au moins un symptôme caractérisant le burn-out en France, à savoir soit un épuisement émotionnel, soit une déshumanisation, voire une perte de satisfaction professionnelle».
«Emotions négatives»
Retour en arrière. A Montpellier, un groupe de soignants se met donc à interroger 120 praticiens de l’établissement. Le malaise est déjà bien installé : plus d’un tiers des médecins ont estimé «ne pas éprouver de bien-être dans leur travail», et un sur deux seulement dit arriver à concilier vie personnelle et vie professionnelle. Or ce conflit «est le facteur le plus lourd dans le risque de survenue d’un burn-out chez les médecins».
Sur le volet des «émotions négatives» ressenties dans leur travail, reviennent comme un leitmotiv les lourdeurs de l’organisation. Quelques propos : «On perd un temps fou au bloc par manque d’organisation», dit l’un. «On est tous en train de courir, on n’a pas le temps de se parler». Un autre : «L’invitation des médecins à des groupes de travail est un alibi. L’administration en profite pour dire que nous avons cautionné telle décision, sans véritable concertation». Ou enfin : «Il m’arrive d’avoir peur d’oublier certains patients à cause de la surcharge de travail.»
«Des vécus asymétriques»
Des propos qui sont devenus terriblement classiques du malaise hospitalier. Plus troublant est le travail (toujours au CHU de Montpellier), qui a été réalisé autour des relations médecins-administrations, et ce à partir de plus de 20 entretiens avec des membres de la direction. Il en ressort un fossé impressionnant, avec «des vécus asymétriques», comme deux mondes qui ne se comprennent pas. D’un côté, on a des directeurs qui «apprécient de travailler avec les médecins et leurs équipes», et ce serait même la partie «la plus enthousiasmante», et «la plus créative» de leur travail. De l’autre côté, voilà «des médecins qui, eux, éprouvent du mal-être dans leurs relations avec les directeurs».
Ces derniers, par exemple, se plaignent ouvertement de décisions adoptées sans concertation. «Le déficit ou l’échec du partenariat médecins-directeurs n’est pas un facteur isolé dans les causes de mal-être au travail chez les médecins, mais il est paradigmatique des dysfonctionnements de communication et du défaut d’empathie entre les deux mondes professionnels.» Faut-il rappeler que bien souvent les directeurs d’hôpitaux ne restent pas longtemps à leur poste et qu’au final, les enjeux entre la direction et le corps médical ne sont pas les mêmes, en tout cas ne sont pas synchrones ? «Il faut conserver une capacité d’expression critique et de débats contradictoires», note en conclusion de l’ouvrage le directeur du CHU de Montpelllier, Thomas Le Ludec.
Industrialisation du soin
Il a sûrement raison. Mais pourquoi diable aujourd’hui, les directions des hôpitaux comme les Agences régionales de santé ou le ministère de la Santé n’en finissent-ils pas de contrôler toute parole des soignants, en insistant, parfois avec menaces à la clé, sur leurs obligations de réserve ? Cette méfiance qu’ils instaurent n’est pas la meilleure façon pour s’entendre.
Dans la Casse du siècle (2), c’est une autre focale qui est utilisée.
Sont abordées les différentes réformes des vingt dernières années de l’hôpital public. Elles seraient à l’origine de l’effondrement de nos hôpitaux, et par ricochet de la fin du bien-être du personnel. «C’est une véritable casse de ce service public qui est engagé par des réformateurs adeptes de l’acculturation de l’univers médical à des logiques managériales qui contredisent son bon fonctionnement.» Dans ce livre engagé, rédigé par trois sociologues, c’est l’industrialisation à outrance du soin qui serait une des causes principales de ce burn-out généralisé. Une autre version d’une même démoralisation qui se poursuit : on vient d’apprendre que le 2 mai, une interne lyonnaise de la toute dernière promotion s’est suicidée.
(1) Aux éditions Eres, sous la direction de Michèle Maury et Patrice Taourel.
(2) Aux éditions Raisons d’agir, par Pierre-André Juven, Frédéric Pierru, et Fanny Vincent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire