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jeudi 9 mai 2019

« L’échange incroyable avec Claire Nouvian sur CNews montre que le climatoscepticisme a encore de beaux jours devant lui »

Audrey Garric  Publié le 11 mai 2019


Invitée de « L’Heure des pros », lundi, Claire Nouvian, militante écologiste et candidate aux européennes, a été confrontée à une remise en cause du changement climatique, qui n’est pas isolée, estime dans sa chronique notre journaliste Audrey Garric.


CAPTURE D'ECRAN CNEWS

Chronique. C’est une scène que l’on aurait crue réservée à la chaîne américaine ultraconservatrice Fox News. A l’écran, journalistes et interviewés vocifèrent. Des noms d’oiseaux sont échangés (« folle »« dingue »« complètement tarée »), les prises de bec se multiplient (« Vous avez un melon qui ne passe plus les portes du studio ») et on vole allègrement dans les plumes de la science : « Moins trois degrés ce matin dans les Yvelines, moins un degré hier à Troyes. Attention, sujet sensible, on ne rigole pas avec le réchauffement climatique. »
Cette séquence, maintes fois visionnée et commentée sur les réseaux sociaux, se déroule en réalité dans un média français, CNews, lundi 6 mai. On savait « L’Heure des pros » et son animateur, Pascal Praud, amateurs de « clashs ». On ne le connaissait pas friand de thèses climatosceptiques. Le thème du débat donne pourtant la couleur : « Le refroidissement climatique ? »

Provocateur, Pascal Praud interroge : « Est-ce que vous diriez qu’il y a depuis trente ans dans le monde un dérèglement climatique ? Oui ou non ? » L’invitée principale, Claire Nouvian, militante écologiste et candidate aux élections européennes sur la liste Parti socialiste-Place publique, manque s’étrangler, les yeux écarquillés :« Attendez, mais vous en êtes encore là ? Ce n’est pas une émission de climatosceptiques quand même ? » La température monte sur le plateau. Rejoint par Elisabeth Lévy, la directrice de la rédaction du magazine conservateur Causeur, Pascal Praud défend le droit des climatosceptiques à s’exprimer. Dans leurs bouches, la réalité du changement climatique relève de la croyance. « Vous vous comportez comme une croyante qui ne supporte pas d’entendre une contradiction », tance Elisabeth Lévy.

Innombrables contre-feux

Cet échange incroyable montre que le climatoscepticisme a encore de beaux jours devant lui. Bien sûr, il n’a pas la même ampleur en France qu’aux Etats-Unis. Mais comment ne pas penser à Donald Trump, qui, à chaque vague de froid, se demande où est passé le réchauffement du climat ?
Si la France aime à moquer les crispations des conservateurs américains, c’est bien le même mal qui fait des ravages des deux côtés de l’Atlantique. En 2015, le mathématicien Benoît Rittaud jouait la carte de la victimisation sur France Culture : « Aujourd’hui, si on est climatosceptique, on est amoral. On est un méchant. On est dans la criminalisation, on veut interdire la réflexion. » Au même moment, le « M. Météo » de France Télévisions, Philippe Verdier, était mis à piedaprès avoir publié un livre contestant l’idée d’un consensus scientifique sur le réchauffement.
Ces exemples datent de l’année de la COP21 et de l’accord de Paris, premier traité international visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre. On pourrait croire que le climatoscepticisme est, depuis, mort. De fait, depuis les catastrophes climatiques en série à l’été 2018, la prise de conscience de l’urgence et la mobilisation citoyenne n’ont jamais été aussi fortes. Pourtant, les chiffres disent tout autre chose : 36 % des Français âgés de 18 à 24 ans, et 23 % des adultes, ne croiraient pas au réchauffement climatique, selon un sondage OpinionWay pour PrimesEnergie, publié en mars.
En réalité, le climatoscepticisme a muté. Puisque le changement climatique est indéniable, et que son origine humaine l’est tout autant, ses contempteurs contournent, louvoient et changent de pied d’appui. Les militants écologistes, à l’instar de la jeune Suédoise Greta Thunberg, sont personnellement pris pour cible. Les vidéos, détournements et billets se multiplient, dénonçant l’instrumentalisation de la jeune femme par « le capitalisme vert », raillant son « autisme » ou la comparant à une nazie. Les étudiants et lycéens qui se mobilisent ? Trop jeunes pour comprendre. Les écolos ? Trop dogmatiques. Les scientifiques ? Trop techniques. D’innombrables contre-feux sont allumés, alimentant un débat sans fin, à l’heure où celui-ci devrait être clos.

Les médias ont également leur part de responsabilité

Si de telles thèses parviennent à être audibles, c’est d’abord en raison d’un manque de connaissances scientifiques du grand public sur la question. Combien de fois faudra-t-il expliquer la différence entre la météo et le climat ? Que des températures basses à un moment de l’année et à un endroit du globe n’invalident pas le réchauffement de la Terre ? Que ledit réchauffement (+ 1 °C depuis l’ère préindustrielle) n’est que l’une des manifestations du dérèglement climatique, qui se traduit également par la multiplication de phénomènes extrêmes, l’élévation du niveau de la mer ou la fonte des glaces ?
Les médias ont également leur part de responsabilité. En donnant, lors de débats, le même poids ou presque à une minorité d’experts climatosceptiques – le plus souvent non spécialistes du climat – et à l’écrasante majorité de la communauté scientifique compétente démontrant, étude après étude, l’impact de l’humain sur le climat, les journalistes ont contribué à instiller le doute, à donner l’illusion de l’existence de controverses, semant également la confusion entre science et opinion.
Cette pseudo contre-expertise est enfin, et surtout, le fruit d’une manipulation des lobbies. Dans son passionnant ouvrage Perdre la Terre (Seuil, 288 pages, 17,50 euros), le journaliste du New York Times Nathaniel Rich explique comment, en 1979, les scientifiques, l’opinion publique et les politiques de tous bords s’accordaient à reconnaître la réalité du réchauffement et la nécessité d’une action. Ce « conte de fées » perdura jusqu’à la fin des années 1980, quand l’industrie du pétrole et du charbon, menacée, commença à dépenser des milliards de dollars pour mener des campagnes de désinformation et acheter des scientifiques afin de matraquer des contre-vérités.
Ce que sapent ces résurgences régulières du discours climatosceptique, au-delà de la crédibilité de la science, c’est la possibilité même d’une action. Quand, à force d’attendre, il ne sera plus possible de s’adapter à un monde bouleversé, Pascal Praud aura enfin raison : on ne rigolera pas avec le réchauffement climatique.

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