Quelles raisons mystérieuses poussent des enfants et des adolescents intelligents et curieux à se montrer réfractaires aux savoirs que leur propose l’école ? Comment faire pour les aider ? C’est l’objectif que s’est fixé depuis 50 ans Serge Boimare (psycho-pédagogue).
Enfants déstabilisés face aux contraintes de l’apprentissage
Serge Boimare a mis en évidence un point de défaillance commun à tous ces enfants en difficulté scolaire. Confrontés aux exigences et aux contraintes d’une situation d’apprentissage à l’école, ces enfants sont psychologiquement déstabilisés.
Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas apprendre, c’est que la situation d’apprentissage déclenche une rupture de leur équilibre psychologique qui les met en difficulté. Ils sont ainsi « empêchés de penser ». La pédagogie classique ne peut pas leur être appliquée.
Ces enfants ont des caractéristiques en commun.
- Ils ne savent pas écouter, c’est à dire qu’ils ne savent pas fabriquer de l’image dans leur tête avec les mots entendus.
- Ils ne savent pas argumenter pour défendre un point de vue, poser une question quand ils n’ont pas bien compris, prendre un exemple pour se faire mieux comprendre, enchaîner deux arguments pour défendre leur point de vue.
- Leur curiosité reste centrée sur des préoccupations infantiles, sexuelles. Cette curiosité est très archaïque : sadisme, voyeurisme, mégalomanie…
Les soutiens et les aides qui ont pour but de combler les lacunes de façon scolaire ne sont pas efficaces. La pédagogie classique est en échec. Les heures d’entraînement scolaire supplémentaires aboutissent au contraire du résultat recherché et renforcent les stratégies anti-apprentissage. De même, la médicalisation de ces enfants ne sert à rien. En effet, ils ne sont ni dyslexiques, ni hyperactifs, ni hypermatures, n’ont pas de véritables problèmes d’attention ou de problèmes moteurs. Ces « symptômes-diagnostics » ne sont que les conséquences de l’absence des compétences psychiques de base nécessaires pour affronter les grandes contraintes de l’apprentissage c’est-à-dire :
- Être capable de reconnaître que l’on manque de quelque chose.
- Être capable d’attendre.
- Être capable de respecter des règles.
- Être capable d’affronter un petit moment de solitude.
Ce manque de compétences a pour conséquence une déstabilisation psychique camouflée derrière des troubles du comportement (de l’agitation à l’endormissement), des idées d’auto-dévalorisation, de persécution (l’inverse de la dévalorisation). Ces camouflages sont une protection contre la déstabilisation ressentie.
Cette déstabilisation n’est cependant pas évidente à repérer.
Ces enfants mettent aussi en place un fonctionnement intellectuel particulier qui se prive du temps réflexif de l’apprentissage (un temps pendant lequel les contraintes sont maximales). Des stratégies intellectuelles sont alors mises en place pour se passer de ce temps réflexif de l’apprentissage.
Ces stratégies sont au nombre de quatre :
- Conformisme de pensée (faire et refaire ce que l’on sait déjà faire).
- Inhibition intellectuelle. Un phénomène méconnu, que l’on prend pour un manque d’intelligence confirmé par un le QI limite qui, en général, s’élève quand l’enfant va mieux. Le QI peut ainsi passer de 90 à 110 !
- Développement d’une impression de vivacité intellectuelle prise pour de l’hyper-maturité, qui se manifeste de façon évidente lors de l’apprentissage de la lecture. Ce sont les champions de l’association immédiate ou phobie du temps de suspension (peur de se poser pour réfléchir).
- Rigidité mentale où l’ado a l’impression que l’entrée dans la réflexion va l’affaiblir. Situation qui entraîne une contestation, plus ou moins violente (l’enseignant n’ayant pas le droit de mettre l’ado devant une question qui l’amène à réfléchir.)
Insuffisances éducatives qui empêchent de penser
L’absence des compétences psychiques nécessaires à l’apprentissage découle d’insuffisances éducatives qui empêchent de penser. Ces enfants n’ont pas été suffisamment tôt initiés à l’épreuve de la frustration. Ainsi, les parents n’arrivent pas à les coucher, à les faire manger normalement, à leur faire quitter les écrans… Ces enfants n’ont pas été suffisamment sollicités au niveau langagier. Or parler provoque la pensée. Enfin, ces enfants n’ont pas été suffisamment initiés à l’autonomie.
Il peut aussi exister une rigidité du discours parental, notamment en cas d’intégrisme religieux qui empêche l’enfant de développer certains points de curiosité, créant un malaise dans certaines situations.
Remettre en route la machine à penser
Pour sortir ces enfants de la peur d’apprendre, l’appel à un spécialiste de psychopédagogie est toujours nécessaire. Celui-ci, essaiera tout d’abord de comprendre le mode de fonctionnement de l’enfant ou de l’ado.
Quand on les questionne, ces enfants savent bien décrire ce qu’ils perçoivent quand ils sont déstabilisés psychiquement.
Pour relancer les capacités à penser, il est nécessaire d’alimenter la machine à penser, en apportant à l’enfant de nouvelles représentations qui vont enrichir les siennes, souvent pauvres et chaotiques. « Lire quotidiennement à haute voix des récits fondateurs de notre culture permet d’y arriver » affirme Serge Boimare. Dans ces récits, comme les contes de Grimm ou des récits mythologiques, courts et faciles à comprendre ou comme ceux écrits par Murielle Szac, on retrouve toujours les grandes préoccupations humaines, mises en mots et en histoires, ce qui intéresse toujours des enfants/ados, car ils peuvent alors s’y identifier. Ce nourrissage culturel quotidien est une méthode performante. En quelques semaines, ils peuvent s’appuyer sur leur (nouveau) monde interne et commencer à penser.
A la suite du récit, l’enfant ou l’ado est amené à s’entraîner à s’exprimer en réagissant avec ses propres mots au récit, guidé par des questions. L’objectif est que l’enfant devienne capable de fabriquer une image mentale à partir d’un mot et finalement de comprendre un récit.
Dr Emmanuel Cuzin
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