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vendredi 10 mai 2019

Européennes : «les handicapés aussi s'intéressent» à la politique»

Par Kim Hullot-Guiot — 

A l'approche des élections européennes, la mairie de Paris lance un dispositif pour accompagner les personnes handicapées mentales dans l'exercice de leur droit de vote.

Le 26 mai, tous les Français de plus de 18 ans (1) pourront voter pour leurs représentants au Parlement européen. Même les adultes en situation de handicap sous tutelle : depuis la loi promulguée en mars, ils n’ont plus besoin de l’autorisation du juge pour voter. Jusqu’ici, seulement une partie d’entre eux avaient accès à ce droit. Mais si l’accessibilité des bureaux de vote aux handicapés moteur s’est améliorée ces dernières années à Paris, conséquence de la loi de février 2005, avec des rampes mises en place devant les bureaux, des affichettes en braille avec les noms des candidats ou des tablettes abaissées dans les isoloirs pour les rendre plus praticables en fauteuil roulant, il restait beaucoup à faire sur l’accessibilité du vote aux handicapés mentaux.

Jeudi, la mairie de Paris a présenté un plan visant à faciliter l’exercice de la citoyenneté des personnes handicapées, conçu en collaboration avec plusieurs associations (Nous Aussi, Papillons blancs de Paris, Handéo…). Dans la capitale, au total, 150 000 personnes sont handicapées. «La France est très en retard sur la politique du handicap, juge Nicolas Nordman, adjoint de la maire de Paris en charge du sujet. Les personnes en situation de handicap rencontrent des difficultés d’accès au scrutin. Là, on n’est pas dans quelque chose d’innovant démocratiquement, on assure juste aux personnes d’exercer leurs droits.» 
Un droit jugé «important pour faire partie de la société, être reconnu comme citoyen» par Lahcen Er Rajaoui, président de l’association Nous Aussi : «Les gens disent qu’on [les personnes handicapées mentales, ndlr] va être influencé, mais qui n’est pas influencé aujourd’hui ? On l’est tous par quelqu’un, son conjoint, son voisin, les politiciens, les réseaux sociaux, on peut influencer son enfant…» Même idée chez Marie-Amélie, jeune parisienne handicapée, qui n’en sera pas à son premier vote : «On est tous handicapés, j’ai envie de dire. On est tous des êtres humains, on n’est pas parfaits. Ce serait bien d’arrêter nous pointer du doigt, on est pareils que vous.»

«Il faut prendre le temps d’expliquer»

Le plan de la mairie et des associations se décline en trois étapes : d’abord, avant le scrutin, un film expliquant comment se déroule le vote est envoyé à la centaine de structures accueillant du public handicapé, et mis en ligne sur Internet. Il est conçu en français «facile à lire et à comprendre» (Falc), sous-titré et traduit en langue des signes. Des affiches, également rédigées en Falc, sont aussi déployées. «On a travaillé étroitement avec les associations pour que le texte soit compréhensible, précise Nicolas Nordman. On a aussi envoyé une notice simplifiée pour inciter les structures à monter des ateliers en amont, sur "comment on vote".» 
Pour Yvonne Kaspers, mère d’une jeune femme handicapée et présidente de l’association des Papillons blancs, ce travail en amont est fondamental : «Il faut prendre le temps d’expliquer les partis, les orientations, le pour, le contre, expliquer ses opinions mais aussi les autres, au niveau qu’ils peuvent comprendre, avec des exemples extrêmement concrets.» Lahcen Er Rajaoui : «Pour beaucoup, le handicap s’ajoute à la timidité, au fait de ne pas savoir prendre la parole… Ils n’osent plus s’exprimer car les professionnels, les parents, prennent les décisions à leur place. Or ils ont leur libre arbitre.»

Etre accompagné dans l’isoloir est légal

Deuxième étape, le jour du vote. Un second film, destiné lui aux personnels de mairie qui tiendront les bureaux, a été diffusé afin de rappeler les droits des personnes handicapées. «On a déjà eu des retours de gens qui disaient : "Nos enfants se sont fait refuser de voter, on a refusé qu’on les aide dans l’isoloir" etc. La première chose à faire, c’est que les personnes qui tiennent les bureaux connaissent le droit, donc que rejet et refoulement ne puissent plus se produire», estime Yvonne Kaspers.
«Le code électoral permet de se faire assister lorsque l’on vote. C’est souvent méconnu mais les personnes ont le droit de se faire accompagner dans l’isoloir», abonde Nicolas Nordman. Les affiches en Falc, rappelant les modalités du vote, seront également mises en place dans les bureaux et un numéro d’appel spécifique sera mis en place au cas où les agents des 896 bureaux auraient des questions.
Le film est aussi l’occasion de conseiller les agents sur la façon de recevoir les électeurs handicapés. «On évite la condescendance, on s’adresse à la personne et pas à son accompagnant…» liste Nicolas Nordman. «Les personnes à qui on dit "mais vous ne pouvez pas", parfois on leur dit gentiment et parfois moins, même si leur intellect est atteint, qu’ils ont une déficience, ils comprennent très bien que c’est une partie d’eux-mêmes qui est rejetée, ça leur fait mal», prévient aussi Yvonne Kaspers.

«Leur permettre de choisir eux-mêmes»

Enfin, à l’issue du scrutin, une plateforme de retour d’expérience sera mise en place par la Ville. «Rendre public ce dispositif, c’est aussi un moyen d’interpeller l’Intérieur,explique Nicolas Nordman. On veut faire la démonstration qu’il n’en faut finalement pas beaucoup pour étendre davantage l’accessibilité du scrutin. Mais il reste d’autres sujets, qui ne dépendent pas de la mairie.» Dans le viseur de l’élu, le matériel de propagande électorale : «Il faut que les candidats prennent cette question en charge. Les professions de foi en tout petits caractères, sur 4 ou 5 pages, c’est illisible. Le ministère de l’Intérieur aussi a la possibilité via une circulaire de donner des consignes en ce sens aux candidats.»
En attendant, les personnes qui accompagnent les handicapés doivent prendre le temps «de leur expliquer les professions de foi de chaque candidat, car certains ne savent pas lire, afin de leur permettre de choisir eux-mêmes», recommande Lahcen Er Rajaoui. De son côté, Yvonne Kaspers rappelle que «contrairement aux idées qu’on se fait, ces personnes s’intéressent. Dans un établissement pour personnes handicapées mentales, j’en ai vu cinq dans le salon commun regarder le débat présidentiel. La directrice m’a dit qu’ils en discutaient beaucoup, que cela suscitait des questions chez eux…» Et livre cette anecdote : «Une amie m’a raconté qu’elle avait emmené son fils trisomique voter. Elle m’a dit : "si tu avais vu la fierté de mon fils quand il est sorti de l’isoloir, qu’il a signé, c’était fantastique, il était fier de lui".» 
(1) A l’exception des personnes déchues de leurs droits civiques par la justice.

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