Un groupe de parlementaires, de personnalités publiques et d'associatifs appellent à soutenir une proposition de loi, discutée cette semaine à l’Assemblée nationale, visant étendre la prise en charge obligatoire des jeunes placés jusqu’à 21 ans.
Tribune. Longtemps ignorée, souvent critiquée, l’Aide sociale à l’enfance (ASE) sort aujourd’hui de l’invisibilité grâce notamment à la mobilisation sans relâche d’anciens jeunes placés.
Les chiffres nous commandent d’agir. Une personne sans domicile fixe sur quatre née en France est un ancien enfant placé et 70% des jeunes qui sortent de l’Aide sociale à l’enfance sont sans diplôme. Pire, dans la population des jeunes sans domicile fixe de moins de 25 ans, 40% sont des anciens de l’ASE.
Le plus souvent sortis de l’Aide sociale à l’enfance sans diplômes et sans soutien affectif, ils sont particulièrement vulnérables et exposés aux risques addictifs, à la délinquance et aux prédateurs sexuels. Si beaucoup d’anciens jeunes placés se retrouvent sur le trottoir, c’est qu’à leur majorité, ils ont été laissés à eux-mêmes, sommés de devenir soudainement des adultes autonomes. La précarité spécifique des jeunes majeurs brutalement abandonnés par l’ASE n’est pas fatale, elle est la conséquence d’une rupture violente de protection. Un ultime abandon.
Situations de survie
Malgré la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, la prise en charge des jeunes majeurs n’est pas systématiquement accordée, ce dispositif étant dénué de caractère obligatoire et laissé à la libre appréciation des départements.
Pourtant, la catégorie des 16-25 ans est celle de la population qui a le taux de pauvreté le plus élevé : près de 20% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, ce qui entraîne pour ces jeunes sans soutien familial, des situations de survie. Comment accepter que la 5e puissance mondiale ne puisse pas protéger 63000 jeunes déjà fragilisés ?
Suite aux récentes affaires médiatiques, il s’est levé, en France, un vent d’indignation face au sort que la République réserve à ses enfants. L’ASE sauve des vies, mais elle doit faire plus que cela. Face au dysfonctionnement de notre système, nous avons la responsabilité d’agir. Des solutions existent, elles ont fait leur preuve pour beaucoup de jeunes majeurs. Par exemple, certains départements mènent une politique volontariste, en assumant cette responsabilité en prenant en charge au-delà de 18 ans l’accompagnement des jeunes majeurs pour les aider à construire leur avenir. Mais cela ne doit plus être une exception et cela ne peut pas uniquement reposer sur la bonne volonté des départements et à leur seule charge financière. C’est une inégalité à laquelle il faut mettre fin.
«carnage social»
La proposition de loi déposée par Brigitte Bourguignon, la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, visant à renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie, permet d’apporter une réponse concrète à ce que M. Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté, nomme, à juste titre, un «carnage social». Car au-delà de l’injustice qui est faite à ces jeunes, cette proposition de loi s’attaque aussi à une aberration économique majeure. La protection de l’enfance est le deuxième budget social des départements avec 9 milliards d’euros à l’échelle nationale.
Et pourtant, l’économie de court terme que représente l’absence d’accompagnement pour les jeunes majeurs entraîne toujours des dépenses lourdes à long terme pour l’ensemble de la collectivité (RSA, CHRS, AAH, etc.).
Pour garantir une égalité sur l’ensemble du territoire, la proposition de loi, discutée cette semaine à l’Assemblée nationale, vise à rendre obligatoire l’accompagnement personnalisé des enfants placés après 18 ans. Cela mettrait fin à cette incertitude permanente du lendemain chez ces jeunes, déjà fragilisés. Ces jeunes, à qui l’on demande d’être autonomes à̀ 18 ans alors que les autres restent parfois dépendants de leur famille jusqu’à̀ 25 ans, sont paradoxalement les moins armés pour y parvenir. Ils ont souvent subi abandons, violences, ruptures familiales et affectives. Notre société ne peut pas les laisser livrés à eux-mêmes. Leur sac à dos, à 18 ans, est déjà bien chargé.
Par ailleurs, la protection de l’enfance est le deuxième budget social des départements avec 9 milliards d’euros à l’échelle nationale. Il y a une aberration économique à investir tant pour que tout s’arrête au couperet des 18 ans et risquer des dépenses futures liées au coût social que représente la précarisation de jeunes adultes. Comment accepter que ces jeunes soient abandonnés de nouveau, à 18 ans, censés être prêts à affronter une société de plus en plus exigeante, alors que dans le même temps, l’âge d’accès au premier emploi stable est de 28 ans ?
Dépasser les clivages traditionnels
C’est pourquoi cette proposition de loi est attendue par l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance de notre pays : les jeunes eux-mêmes, mais aussi les professionnels de l’aide sociale à l’enfance - les Départements en premier lieu, soucieux de l’avenir des jeunes qui leur sont confiés et les acteurs de l’insertion, qui se démènent pour les sortir de la marginalité.
Il n’y a pas de fatalité à fabriquer des sans domicile fixe. Les chantiers évoqués ici, s’ils sont portés par un consensus politique, soutenus par les Français qui pensent souvent de bonne foi (mais à tort) que cette mission est assurée, peuvent changer l’avenir de ces nombreux enfants.
Nous refusons que la proposition de Loi soit vidée de ses mesures essentielles : notamment son article premier qui rend obligatoire pour les départements la contractualisation avec les jeunes majeurs jusqu’à leurs 21 ans. Les Départements doivent au contraire être soutenus financièrement pour ne pas assumer seuls cette mission de solidarité nationale. Cela serait un signal fort donné aux jeunes placés, le signal d’une République qui les protège et garantie leur droit à un avenir.
Il est possible, Mesdames et Messieurs les parlementaires, en maintenant l’obligation de protection des jeunes majeurs, prévue dans la loi, de dépasser les clivages traditionnels en étant plus juste pour la jeunesse de notre pays.
Le temps nous est compté, ne le gâchons pas. Travaillons ensemble pour que ces oubliés de la République ne le soient plus.
Signataires :
Xavier Iacovelli (Sénateur), Perrine Goulet (Députée), Lyes Louffok (Ancien enfant placé, CNPE),Stéphane Troussel (Président CD93), Emmanuelle Ajon (Vice-Présidente Conseil départemental 33), Dominique Versini (Adjointe au Maire de Paris, Ancienne Défenseure des enfants), Christian Favier (Président CD94), Isabelle Santiago (Vice-Présidente CD94), Marc Labbey (Vice-président CD29), Xavier Fortinon (Président CD40) ;
Le collectif #LaRueÀ18ans (Anciens enfants placés) : Fouzy Mathey kikadidi (Vice-Présidente Repairs94), Nouri Meriyem (Ancien placé), Yamina Djanti (Vice-Présidente ADEPAPE33), Robert Thibault (Repairs 75), Stéphanie Callet (Ancienne enfant placée), Sonia Nour (Ancienne enfant placée), Leeroy Mbengue (Repairs75), Elina Dumont (Comédienne), Sonya Nour, Coelho Michaël (Repairs), Amanda Toupy (ADEPAPE 33) ;
Un groupe de parlementaires : Gisèle Biemouret (Députée), Laurence Rossignol (Sénatrice, ancienne Ministre), Nassima Dindar (Sénatrice, Ancienne Présidente de la Réunion), Patricia Schillinger (Sénatrice), Florence Provendier (Députée), Michelle Greaume (Sénatrice), Luc Carvounas (Député), Sonia de la Prevoté (Sénatrice), Bertrand SORRE (Député), Fabien Matras (Député), Catherine Conconne (Sénatrice), Michelle Meunier (Sénatrice), Rémi Féraud (Sénateur), Victoire Jasmin (Sénatrice), Marc Daunis (Sénateur), Gisèle Jourda (Sénatrice), Pascal Savoldelli (Sénateur), Hélène Conway Mouret (Vice-présidente du Sénat), André Vallini (Sénateur, Ancien président département de l’Isère), Martial Bourquin (Sénateur), Nadine Grelet Certenais (Sénatrice), Lionel Causse (Député), Daniele Obono (Députée), Patricia Adam (Ancienne Députée), Benoit Potterie (Député), Maud Petit (Députée), Frédérique Dumas (Députée), Patrick Kanner (Sénateur), Loic Hervé (Sénateur), Maurice Antiste (Sénateur), Michèle Peyron (Députée), Boris Vallaud (Député) ;
Autre personnalités et associatifs : Najat Vallaud-Belkacem (Ancienne Ministre), Ingrid Chauvin (actrice), Olivier Delacroix (Journaliste), Françoise Laborde (Journaliste/Ecrivain), Leo Mathey (Président de Repairs 75), Manuel Domergue (Directeur des études de la Fondation Abbé Pierre), Caroline DE HAAS (Militante féministe), Dominique Attias (Avocate, Ancienne vice Bâtonnière Barreau Paris), Pauline Delpech (écrivain, actrice), Danielle Simmonet (Conseillère de Paris), Nicolas Noguier (Président Le Refuge), Catherine Durand (rédactrice en chef adjointe - Marie Claire), Salvatore STELLA (Président CNAEMO), Daniel Yannick (Président Fédération du Scoutisme Français), Coton Pascale (Vice-Présidente du CESE), Sabeur Siham (Journ-Activiste), Salmona Muriel (psychiatre, présidente Mémoire Traumatique et Victimologie), Mie Kohiyama (Journaliste MoiAussiAmnesie), Michèle Creoff (Vice présidente CNPE), Sellier Homayra (Fondatrice et présidente Innocence en Danger), Patricia Chalon (présidente Enfance Majuscule), Alizée Casagrande (Présidente Association VIP), Georges Labazee (Ancien sénateur, CNPE), Catherine Bonnet (Psychiatre d’enfants et d’adolescents), Céline Boussié (lanceuse d’alerte), Céline Greco (CNPE, APHP), , Marie-Pierre Colombel (Présidente Enfance et Partage), Olivier Bereziat (Secrétaire général Coup de pouce - Protection de l’enfance), Geneviève Payet (Présidente Réseau VIF La Réunion), Anne-Marie Lemoigne (Vice-présidente MTR), Isabelle Aubry (Présidente Association internationale des victimes de l’inceste), Roger Abalain (Président La Sauvegarde de l’enfance du Finistère), Simon Herri (vice-président ADSEA 29), Aude Fiévet (Vice-Présidente Le Monde à Travers un Regard), Pascale Favé, Jean-Louis Potier (Directeur Général Association d’Iroise pour le Logement l’Emploi et les Solidarités), René Moullec (Trésorier Sauvegarde du Finistère), Marie-Christine Colombo (Médecin départemental PMI, CNPE), Joran Le gall (Président Association Nationale des Assistants de Service Social), Michelle Babin (Présidente FNAF), Marc SOLE (CNPE, Association Nationale des Assistants de Service Social), Sabine Carme (Syndicat SAF Solidaires), Dris Malika (Presidente Adepape59), Simon Chantal (ancienne Vice Présidente de Département), LECOMTE Nadia (collectif de Soutiens à la protection de l’enfance 49), Antoine Dulin (Membre du CESE) ; Descombes Catherine (Humaine), Raphaël Bourrigan (Éducateur spécialisé), Marty Hakan (Éducateur spécialisé), Loic De pontual (Pédiatre), Yseline Fourtic (Militante féministe), Camille Thill, Denis Clarisse, Chantal Calvisio, Julien Capelle (Educateur spécialisé) Souria Kahoul (Assistante familiale), Martine Comte (Formatrice), Cindy Lafon (Ass fam), Hortensia Toribio (Assistante Familiale), Guilain Isabelle (Assistante Familiale), Abiven yvon, Sandrine Carretero (Assfam), Anne Priolo (AssFam), Prigent Rene ;
Défenseure des enfants : Claire Brisset (2000- 2006), Dominique Versini (2006-2011), Marie Derain (2011-2014)
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