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vendredi 29 mars 2019

Richard Wilkinson «L’inégalité est un problème de santé publique»

Par Virginie Bloch-Lainé — 
Richard Wilkinson.
Richard Wilkinson. DR


Selon Richard Wilkinson, épidémiologiste britannique, pour lutter contre la généralisation de l’anxiété et de la dépression dans une société, il faut avant tout instaurer plus d’égalité.

Une épidémie d’anxiété ravagerait les pays où les inégalités de revenus sont fortes. Par «anxiété», il faut entendre timidité, phobie sociale, et recours à la drogue et à l’alcool pour supporter ces maux. C’est ce qu’avancent l’épidémiologiste britannique Richard Wilkinson et sa consœur, Kate Pickett, dans Pour vivre heureux, vivons égaux !(Les Liens qui libèrent), un livre qui collecte de nombreuses études. Celles menées par les auteurs eux-mêmes confirment une corrélation entre hausse des troubles mentaux et inégalités matérielles. Les citoyens les plus pauvres sont les plus touchés, mais les plus riches, embarqués dans une compétition sociale exténuante, ne sont pas épargnés par le mal-être. Nous avons rencontré Richard Wilkinson à l’occasion de la sortie de la traduction française de son livre. Il constate une vérité désolante : les sociétés développées et prospères ne garantissent pas le bien-être individuel et collectif. La dépression règne. Elle se manifeste non par l’abattement, mais par le stress, la perte d’estime de soi et l’angoisse de ne pas être à la hauteur de ceux qui se hissent au sommet de la hiérarchie sociale.

Pensez-vous que l’angoisse était moindre il y a un siècle ?

Elle était beaucoup moins forte. La mobilité géographique était moindre, les gens passaient toute leur vie dans leur village natal, entourés de ceux qu’ils fréquentaient depuis l’enfance. Aujourd’hui, nous rencontrons sans cesse de nouvelles personnes et nous nous inquiétons de la façon dont elles nous jugent, surtout par le biais de notre apparence. Nous nous évaluons à l’aune de notre statut social. Les déménagements plus fréquents s’accompagnent d’une déliquescence du lien social. Lorsqu’un pays s’enrichit, la mobilité s’accroît, l’entraide diminue et l’estime de soi avec elle.
Comment, pour l’épidémiologiste que vous êtes, se traduit le lien entre l’angoisse et le développement des inégalités ?
Plus une société est inégalitaire, plus sont visibles les positions sociales de chacun, et le sentiment d’être toujours dominé par plus riche que soi. Cela vaut à chaque niveau de la pyramide sociale. Des études montrent que les difficultés émotionnelles ont considérablement augmenté aux Etats-Unis et au Royaume-Uni dans les trente dernières années. Les enfants américains moyens des années 80 se révèlent plus anxieux que ceux traités pour des troubles psychiatriques dans les années 50. La dépression et l’anxiété se généralisent, de même que l’alcoolisme et la toxicomanie. Et le niveau de revenu détermine la prévalence des troubles mentaux : ceux qui sont au bas de l’échelle y sont nettement plus exposés. Une étude britannique de 2007 a montré que c’était encore plus vrai pour les hommes.
Mais si ces taux augmentent, n’est-ce pas en raison de la médicalisation et de la traque croissantes du mal-être ?
C’est l’argument qu’un psychiatre nous a opposé en 2010 après la publication d’une étude sur la corrélation entre écarts de revenus et maladies mentales. Nous montrions qu’une personne sur dix avait souffert d’une maladie mentale au Japon ou en Allemagne, une sur cinq en Australie ou au Royaume-Uni, une sur quatre aux Etats-Unis, pays très inégalitaire. Toutes les données utilisées provenaient de l’OMS. Une enquête de 2017 a confirmé la proportion supérieure de maladies mentales dans les pays à fortes inégalités.
Pourquoi qualifiez-vous la méritocratie d’illusoire ?
La soi-disant méritocratie laisse penser que ceux qui ne s’élèvent pas dans l’échelle sociale sont incompétents, que leur stagnation s’explique par leur faible valeur personnelle. La société serait une pyramide dont les étages inférieurs abriteraient les moins talentueux. C’est faire fi des talents qu’un individu développe précisément selon sa position sociale, faire fi aussi des dégâts cognitifs subis par les enfants vivants dans la misère. Plusieurs études montrent combien la pauvreté s’attaque au développement personnel à travers le stress et l’absence de stimulation mentale.
L’éducation peut-elle favoriser la confiance en soi, quel que soit le milieu social ?
L’éducation et la petite enfance expliquent les écarts de vulnérabilité. Mais les structures sociales sont plus fortes. Même celui qui a confiance en lui, grâce à la façon dont il a été élevé, peut, une fois adulte, être rattrapé par les inégalités structurelles.
Que préconisez-vous ?
La mise en place d’une société nouvelle dont l’objectif sera l’égalité. Cela passe d’abord par la régulation des entreprises : récompenser celles qui affichent des écarts de salaires faibles, comme on le fait déjà en Californie ; favoriser les sociétés dont le capital appartient aux salariés. La réforme du monde du travail n’est pas l’alpha et l’oméga de la réduction des inégalités, mais elle constitue un indispensable préalable. Une société plus égalitaire serait aussi moins coûteuse : les dépenses liées à la prison, à la santé physique et mentale diminueraient. Nous sommes face à un problème de santé publique, et la santé publique a toujours été une affaire politique.
Kate Pickett et Richard Wilkinson Pour vivre heureux, vivons égaux ! LLL, 416 pp

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