Une manifestante lors de la marche organisée à l'occasion de la journée mondiale contre l'endométriose, en mars 2018 à Paris. AFP
Cette maladie qui touche entre 2 et 4 millions de femmes en France peut générer une fatigue chronique et de très fortes douleurs. Difficultés de tenir son poste, arrêts, temps partiels mettent à mal les carrières professionnelles des patientes. Le monde du travail se montre peu adapté.
Son licenciement l’a anéantie. Justine (1), 28 ans, atteinte d’endométriose, était cheffe d’équipe dans un atelier mécanique depuis trois ans, quand le 14 février 2017, elle reçoit une lettre de son employeur. Elle est mise à la porte. Le motif ? Désorganisation de service. «Un faux prétexte», assure la jeune femme, qui vit en Lorraine. Derrière ce licenciement se cache en réalité une situation médicale complexe. A la réception du courrier, Justine était en arrêt maladie depuis quatre mois, après une intervention chirurgicale dont elle s’est difficilement remise. «Je me suis sentie discriminée à cause de ma maladie»,estime Justine, qui a décidé de poursuivre l’entreprise aux prud’hommes. «Parce qu’on est une femme, qu’on est malade, alors on doit se laisser licencier comme une malpropre ? Non». L’audience aura lieu en septembre. Selon les associations de patientes, plusieurs procédures seraient en cours pour des cas similaires.
L’endométriose, qui se caractérise par la présence de cellules d’origine utérine en dehors de l’utérus, concernerait entre 2 et 4 millions de femmes en France, selon les associations de patientes. Elle se développe de façon différente chez les femmes qui en sont atteintes (fatigue chronique, très fortes douleurs, risques d’infertilité…) Parfois asymptomatique, elle peut aussi prendre une forme très handicapante. Une spécificité ne facilitant pas le diagnostic : comptez en moyenne sept à dix ans d’errance médicale.
«J’ai fait un malaise en présence d’un enfant»
L’endométriose a des conséquences directes sur la vie professionnelle de celles qui sont le plus atteintes. Et ce, à différents niveaux. La maladie peut causer, particulièrement en période de règles, des douleurs intenses. Troubles intestinaux, difficultés à marcher, vomissements, malaises sont le lot quotidien de ces femmes en période de crise. Marie-Cécile, 25 ans, a dû arrêter sa profession d’assistante maternelle pour cette raison : «J’ai eu plusieurs fois des soucis en raison de mes douleurs. J’ai fait un malaise en présence d’un enfant. Il fallait que j’arrête ce métier-là car il devenait trop risqué.»
Les difficultés à tenir son poste s’accompagnent souvent d’arrêts de travail réguliers et parfois longs ou de temps partiels pour gérer les douleurs, les examens médicaux ou les opérations. Un marathon médical qui n’est pas sans conséquence sur l’évolution des carrières professionnelles. Yasmine Candau, présidente d’Endofrance et ex-responsable d’un service communication, raconte : «Un matin, j’ai été incapable de me lever, mon corps me faisait trop souffrir. A partir de là, j’ai été en arrêts réguliers et multi-opérée. J’ai dû renoncer à ma carrière et occuper un poste moins intéressant. C’était vraiment dur pour moi de prendre cette décision, mais je n’avais plus le choix, physiquement je n’étais plus capable d’assumer mon poste.» Comme d’autres maladies de longue durée, l’endométriose est une source indéniable de précarité professionnelle. Cécilia, 29 ans, en mi-temps thérapeutique dans le secteur culturel, se bat contre les retards de versements de salaires. Elle attend toujours ceux de janvier et février. Quant à ses indemnités journalières, elles ont été divisées par deux. «Cette baisse de budget tombe mal car je me dois de poursuivre mes soins, dont une pilule spécifique à 67 euros par mois, non prise en charge par la sécurité sociale», s’inquiète-t-elle.
«Une maladie de femmes»
Ces carrières en dents de scie sont plus ou moins bien acceptées par l’entourage professionnel. Plusieurs des femmes atteintes d’endométriose interrogées par Libération décrivent l’incompréhension des collègues, démunis face à une affection qui touche à l’intime, et dont ils n’ont parfois jamais entendu parler. «Certains collègues le vivent bien, d’autres, ça leur fait peur, car ils ne connaissent pas la maladie», témoigne Marie-Rose Galès, employée dans une mairie en région parisienne et auteure du blog Endométriose mon amour. Un manque d’indulgence n’est pas forcément l’apanage des collègues machos : Virginie Durant, auteure de l’ouvrageDes Barbelés dans mon corps(éditions du Rocher), paru en début d’année, raconte avoir été violemment attaquée par une ex-cheffe après avoir annoncé son départ du magazine où elle travaillait. «Elle m’a lancé : "Ce n’est pas moi que tu vas manipuler avec tes maux de ventre. Je suis une femme, je sais très bien que c’est un prétexte pour ne rien faire."»Justine, qui a attaqué son ex-employeur aux prud’hommes, a elle aussi été confrontée à des collègues sans «aucune compassion», face à ce qu’ils considéraient comme «une maladie de femmes». «Ils n’ont pas voulu m’écouter, comprendre ce qu’est l’endométriose, ce que ça implique», regrette l’ex-cheffe d’équipe. «Si ça avait été un homme atteint d’un cancer de la prostate, ils n’auraient pas fait ça», croit la jeune femme, qui estime avoir été victime de préjugés sexistes autour de la maladie. Des préjugés qui peuvent s’assimiler à une double peine pour certaines malades déjà victimes d’autres discriminations (en raison de leur couleur de peau, de leur orientation sexuelle…).
Un dilemme se pose aussi souvent : faut-il ou non dévoiler la nature de sa maladie à son employeur ? Les associations s’accordent à dire qu’il n’y a pas de bonne solution, d’autant qu’il n’y a aucune obligation légale à en parler. «C’est à double tranchant. On est intervenu auprès d’Air France qui a souhaité sensibiliser ses salariés à la question de l’endométriose. Et on s’est rendu compte que les femmes n’osaient pas parler de leur maladie par peur de l’impact sur leur carrière, explique Nathalie Clary présidente de l’association Endomind. Par exemple, une hôtesse de l’air long courrier peut craindre que son rayon d’action soit réduit aux moyens courriers.»
Bouillote en réunion
Face aux risques de mise à l’écart ou de licenciement, ces femmes peuvent avoir recours à diverses aides et demander des aménagements de postes si elles le souhaitent. Yasmine Candau dresse plusieurs cas de figure : «Certaines femmes choisissent de réduire leur temps de travail, passer à temps partiel pour pouvoir s’accorder du temps pour être à l’écoute de leur corps et de leur maladie. D’autres choisissent d’elles-mêmes de changer de poste, voire de métier, pour trouver un emploi plus en phase avec leur maladie.» Une possibilité que certaines se refusent, préférant compter sur les antidouleurs. «Lorsque j’ai des crises, je vais travailler quand même. J’y vais chaque jour avec la douleur, gorge et mâchoire serrées car sinon je passe la journée au lit», détaille Aurélie, 35 ans, administratrice de production dans le milieu culturel. «Je préfère absorber la douleur et continuer à travailler. Je ne veux pas laisser l’endométriose prendre le dessus.» Certaines s’organisent à leur manière, à l’instar de Marie-Rose Galès, employée d’une mairie francilienne, qui assume «d’aller en réunion avec une bouillote sur le ventre» :«Cela ne m’empêche pas de faire ma présentation, ce sont des petites adaptations.»
Le télétravail, pourtant plébiscité par certaines malades, reste encore peu pratiqué. «Je travaille de chez moi et je peux voir la différence, assure Nathalie Clary d’Endomind, qui a travaillé pendant des années en agence de voyage avant de reprendre son activité à domicile. Les employeurs auraient tout intérêt à trouver des aménagements parce que c’est une souffrance pour la personne qui se force à aller physiquement à un bureau, à garder le sourire et à pas montrer qu’elle souffre.» Sarah Zouak, 29 ans, entrepreneure sociale et réalisatrice de documentaires, abonde : «Aujourd’hui, en étant à mon compte, je peux adapter mes horaires à mes douleurs et à mes rendez-vous médicaux. C’était une question de survie pour moi d’avoir cette flexibilité, de pouvoir faire du télétravail. Je me suis fait hospitaliser un bon nombre de fois, et je n’ai pas eu à le dire à l’ensemble de mon équipe, vu que je travaille principalement de chez moi.» Toutes s’accordent sur un point, le monde du travail «n’est pas adapté».
Des reconversions nombreuses
Les malades sont nombreuses à changer de voie professionnelle. Les options sont parfois réduites, en raison des contraintes, nombreuses : «Porter des charges lourdes, marcher, c’est compliqué. Je ne peux pas non plus rester dans une position assise ou debout trop longtemps», énumère Michèle Margherite, 32 ans, au chômage, et qui envisage de devenir gardienne d’immeuble. Les reconversions dans le domaine du bien-être sont fréquentes. Sandra Tournadre, ex-équipière commerciale de 42 ans, s’apprête à devenir sophrologue, et ce n’est pas par hasard : «La sophrologie me permet de faire en fonction de mon état de santé, et m’a apprise à vivre avec toutes ses douleurs.»
Du côté de l’assurance maladie, la prise en charge de l’endométriose n’a rien d’automatique. Cette maladie chronique et invalidante ne figure pas sur la liste des Affections de longue durée (ALD). Il est toutefois possible avec son médecin traitant de faire une «demande hors liste», sans garantie de succès. «On se demande même parfois si ce n’est pas à la tête de la patiente, pointe Nathalie Clary, présidente d’Endomind. Des femmes ont des atteintes en stade 4 qui sont prises en charge ALD dans la région Paca par exemple, et la patiente qui aura exactement la même atteinte dans les Hauts-de-France est refusée, on ne sait pas pourquoi.» Autre possibilité pour les femmes atteintes d’endométriose : demander une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) à leur médecin du travail. Une démarche relativement peu connue des principales concernées. «Il y a encore cette vision du handicap forcément visible, physique, lourd. On n’imagine pas toutes les maladies qui peuvent représenter un handicap invisible quotidien», souligne Yasmine Candau. Avant d’obtenir ce statut, octroyé de manière temporaire, les malades se confrontent à des démarches administratives fastidieuses. Un dossier très documenté doit être construit. Les délais de traitement peuvent être très longs et les réponses aléatoires, pointent les associations qui plaident pour l’établissement de «critères nationaux» facilitant le processus.
La RQTH peut apporter une aide précieuse aux femmes n’arrivant plus à concilier travail et maladie. Aide aux financements de formations en cas de reconversion et aménagements de poste sont notamment facilités. «La reconnaissance peut être plus facile que son application dans le domaine du travail, nuance cependant la présidente d’Endomind. C’est pas parce qu’on a la RQTH que l’employeur va accepter d’adapter le poste. Parfois, ils ne peuvent pas, par exemple s’ils ont très peu de salariés», note la présidente d’Endomind, en ajoutant que «d’autres aides existent quand on n’est plus en capacité de travailler, l’allocation adultes handicapés ou la pension d’invalidité».
Actions de sensibilisation
Pour sensibiliser leurs employés à cette maladie, certaines entreprises organisent des actions de sensibilisation en lien avec les associations. A l’initiative de Claire Riolet, 27 ans, en alternance chez Mercedes Trucks et elle-même atteinte d’endométriose, une vente a été organisée en février dernier, dont les bénéfices ont été reversés à l’association Endofrance. Un stand tenu par des bénévoles de l’association était là pour répondre aux questions sur cette maladie. L’occasion pour Claire de découvrir qu’elle n’est pas la seule concernée : «Depuis, j’ai plus de facilité à en parler avec certaines personnes sans me sentir gênée.» Pour Mercedes, ce premier pas devrait en initier d’autres : «Notre infirmière va organiser prochainement une conférence plus formelle sur l’endométriose. On pourrait aussi dans la foulée sensibiliser les équipes de management en disant "attention cette problématique peut toucher vos équipes"», avance Maxime Provent, attaché de direction Mercedes Trucks, qui appelle à «éveiller les consciences».
L’hôtel Mandarin Oriental, à Paris, en est lui déjà à sa deuxième action. La première, en mars 2017, s’était organisée autour de la chanteuse Imany, ambassadrice d’Endomind et l’une des premières personnalités françaises à avoir placé cette maladie dans le débat public. L’occasion pour la direction de découvrir que certaines employées en étaient atteintes. «Cette sensibilisation a eu des effets marquants : l’implication massive de nos collaborateurs, mais également la prise de conscience des RH. L’équipe saura dorénavant s’adapter au statut de ces collaboratrices qui ont fait un premier pas vers "l’acceptation professionnelle" de leur maladie», assure Philippe Philippe Leboeuf, directeur général de l’hôtel Mandarin oriental (Paris). Des actions encore rares dans les entreprises.
(1) Le prénom a été changé.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire