Loan Nguyen 25 Mars 2019
Les syndicats et le ministère du Travail ont recensé douze suicides ou tentatives de suicide en moins de deux ans dans les services de l’inspection. Des enquêtes sont en cours pour établir un éventuel lien avec les conditions de travail.
La tentative de suicide d’un inspecteur élève du travail dans la nuit du 27 au 28 février sur le campus de l’Intefp n’est pas un cas isolé dans la profession. C’est le douzième geste de ce genre – pour la moitié ayant abouti à la mort – enregistré par les services de l’inspection depuis mai 2017. Parmi ceux-ci, deux tentatives de suicide dans les Direccte des Hauts-de-France et de Provence-Alpes-Côte d’Azur auraient été reconnues comme accidents de service, donc en lien direct avec le travail, d’après le bilan dressé par les syndicats. Le 21 juin, à l’occasion d’un CHSCT ministériel, une intersyndicale CGT-SUD-FSU-FO avait alerté sa hiérarchie face à la multiplication de ces funestes manifestations de mal-être des agents. Et pointé les attitudes de blocage de certains responsables de Direccte face au déclenchement d’enquêtes pour mettre en lumière un lien possible entre ces passages à l’acte et les conditions de travail. Sous pression des syndicats, des enquêtes ont depuis été lancées, mais leurs conclusions n’ont pas encore été rendues.
Dans l’attente de ces travaux destinés à faire la lumière sur un éventuel lien entre les conditions de travail et le passage à l’acte, plusieurs indicateurs sur l’ambiance professionnelle semblent en tout cas alarmants. « Quand on fait la synthèse des enquêtes qui ont eu lieu plus largement sur la question des risques psycho-sociaux, on voit une recrudescence des cas de burn-out, de pétages de plombs et de violences en général », estime Gérald Le Corre, membre CGT du CHSCT ministériel. Un malaise que pointe le bilan sur la santé et sécurité au travail établi par les médecins préventeurs du travail qui suivent les agents des Direccte sur l’ensemble du territoire : « Les agents souffrent de plus en plus d’un hyperstress, majoré par le travail au contact du public. Cet état engendre des difficultés psychologiques, comportementales, émotionnelles et mentales mais aussi des troubles métaboliques plus fréquents : diabète et hypertension ou une dégradation de l’hygiène de vie avec le développement d’un surpoids et ses complications. Certains agents vont souffrir d’addictions avec une augmentation de la consommation d’alcools, de médicaments ou de drogues », analyse le médecin coordonnateur national dans sa synthèse. Des pathologies que les praticiens lient bien au travail. « Nous notons que les agents craignent une perte du sens de leur travail, une perte de leurs missions à court ou moyen terme et donc de leur identité professionnelle. Nous pointons une augmentation de la charge de travail importante avec une multiplication des tâches, avec une demande de réalisation de plus en plus pressante », détaillent les médecins préventeurs. « Nous remarquons que certains inspecteurs montrent une forte déception par rapport à l’évolution de leur métier ; leur activité apparaît comme de plus en plus cadrée avec de moins en moins de marges de manœuvre ; la charge de travail augmentant, ils passent moins de temps sur le terrain. (…) De façon générale, les agents sont plus démotivés et désengagés », observent-ils.
Face à ce constat, les Direccte ne sont certes pas restées passives. « Des cellules de veille sont mises en place ainsi qu’un processus de centralisation des informations. Un dispositif d’accompagnement de l’encadrement et des partenaires sociaux est mis en place (guide d’enquête notamment). Deux groupes de travail paritaires sont en train de travailler sur ces questions. Une formation action est en cours dans ce domaine, en lien avec les ISST (inspecteurs de santé et de sécurité au travail – NDLR). Ces mesures s’inscrivent dans un plan d’action national sur les RPS », fait valoir la Direction générale du travail. Mais pour une bonne partie de ces dispositifs, les médecins préventeurs soulignent qu’il ne s’agit que de mesures de « prévention tertiaire ». Autrement dit, des outils visant à atténuer le mal une fois qu’il est déjà fait, sans être de nature à régler les causes profondes du malaise.
« un agent de contrôle pour 10 000 salariés » d’ici à 2022 »
« La question des réorganisations et celle du sous-effectif sont extrêmement importantes dans de nombreuses situations de souffrance au travail », pointe Gérald Le Corre. « On observe aussi beaucoup de tensions avec une hiérarchie intermédiaire pas formée au management, qui se retrouve entre le marteau et l’enclume, à essayer d’appliquer de manière agressive des consignes du ministère sans comprendre le travail réel des agents », poursuit le syndicaliste. Une orientation que le gouvernement ne semble pas prêt à remettre en cause. En début d’année, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, annonçait aux directeurs régionaux de ses services son objectif de réduction de la voilure : « un agent de contrôle pour 10 000 salariés » d’ici à 2022. Soit une suppression de 15 % des postes d’agents de contrôle, ont alerté les syndicats. Une attrition qui va de pair avec un serrage de vis des agents sur leurs pratiques professionnelles et le retour d’objectifs chiffrés individuels (lire notre article page 5). « Un jour, j’ai alerté ma hiérarchie sur le fait que je faisais un début de burn-out : j’avais 38 dossiers en cours. On a tellement de dossiers qu’on doit déjà arbitrer entre des cas de harcèlement et des accidents de travail graves », témoigne Gilles Gourc, représentant CNT à l’inspection du travail, qui redoute que cette réintroduction de la politique du chiffre n’empêche un peu plus les inspecteurs de répondre aux demandes du public, et, in fine, d’aboutir à une perte de sens des missions pour les agents de contrôle.
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