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vendredi 29 mars 2019

Grand âge : la dépendance moins pénible à domicile

Par Eric Favereau — 
Huguette est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Aimé, son compagnon, est devenu son aidant. Photo tirée de la série «les Bijoux ou l’aidant et l’aidé», d’Antoine Merlet.
Huguette est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Aimé, son compagnon, est devenu son aidant. Photo tirée de la série «les Bijoux ou l’aidant et l’aidé», d’Antoine Merlet. Photo Antoine Merlet


Un an après le mouvement de grève dans les Ehpad, le rapport commandé par le ministère de la Santé a été rendu public jeudi. Trois défis se dégagent : faire rester les personnes âgées le plus longtemps possible chez eux, améliorer les conditions de travail des soignants et développer la prévention.

C’était il y a pile un an. A l’appel de tous les syndicats, un mouvement de grève inédit gagnait les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) afin de dénoncer le manque de personnel et les conditions de travail impossibles dans bien des établissements. Ce que l’on ne voulait pas voir a ressurgi, résumé par ces images de vieux endormis, entassés dans des halls d’accueil de maisons de retraite. La longue saga qu’alimente la problématique de la perte d’autonomie dans nos sociétés qui vieillissent venait d’être relancée.
Deux mois plus tard, le Comité d’éthique rendait un avis sévère sur la façon dont la société française prend en charge la grande vieillesse. «Nous avons le sentiment d’une dénégation collective,écrivaient les sages. Cela révèle une forme latente de maltraitance vis-à-vis des personnes âgées dépendantes à la fois au plan politique, mais d’une façon plus générale au plan social et parfois familial.» Et d’ajouter : «Cette forme de maltraitance, non assumée, peut potentiellement induire une exclusion effective de ces personnes. Dans les conditions actuelles d’organisation de notre système social et de notre système de santé, le respect des personnes les plus vulnérables n’apparaît pourtant plus comme prioritaire.»

Etat des lieux

C’est en juin 2018 que le président de la République a annoncé l’organisation d’un vaste débat public et d’une loi sur le grand âge et l’autonomie. Et en septembre, Dominique Libault, conseiller d’Etat et spécialiste de la protection sociale, était désigné pour mener à bien une concertation avec l’ensemble des acteurs du grand âge et faire des propositions de réforme. Jeudi, après une centaine de débats auxquels plus de 400 000 personnes ont participé et 18 000 propositions ont été formulées, son rapport a été rendu public. Il contient 175 propositions, en 10 thèmes clés. «C’est à partir de ce travail et de ces propositions que le gouvernement va définir le contour de la loi future sur le grand âge et l’autonomie»,explique-t-on au ministère de la Santé. Avec deux axes principaux : faciliter le maintien à domicile, et aider les Ehpad.
C’est une bonne surprise : le rapport de Dominique Libault induit un état des lieux, et il n’est pas si catastrophique que les prévisions tendent à le répéter.
L’évolution démographique est certes impressionnante : en 2030, pour la première fois, les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans en France. Les personnes âgées d’au moins 85 ans vont, elles, voir leur nombre exploser, passant de 1,8 million à 2,6 millions en 2030, 5,6 millions en 2050 et 6,3 millions en 2070.«En 2030, note Dominique Libault, la génération des babyboomers de l’après-guerre aura ainsi plus de 85 ans.» Et le conseiller d’Etat de noter que déjà «40 % des personnes qui sont décédées en 2018 étaient en perte d’autonomie». Bref, on vieillit, et plus on vieillit, plus le risque de perte d’autonomie augmente. Cela fait du monde, beaucoup de monde.
Pour autant, le coût financier n’est pas si énorme que cela : 30 milliards d’euros, telle est la somme globale des dépenses générées par la perte d’autonomie, dont 23,5 milliards de dépenses publiques. Faut-il rappeler que les prestations sociales dans leur totalité représentent, elles, 740 milliards d’euros ? «En France, on dépense beaucoup pour la santé, mais autour des questions de dépendance, on est loin derrière les pays scandinaves, voire d’autres pays européens. Cela fait à peine 1,2 % du PIB.» Bref, si l’autonomie et le grand âge sont un enjeu important, cela ne met pas en péril les comptes de la nation.

Citoyenneté

Bémol immédiat :«Les Français ne sont pas contents. Ils sont inquiets et se montrent insatisfaits,pointe avec force Dominique Libault. Ils ont le sentiment d’une très forte institutionnalisation du grand âge.» De fait, aujourd’hui dans l’Hexagone, autour de 21 % des plus de 85 ans vivent en Ehpad, ce qui représente quelque 600 000 personnes : l’un des plus forts taux d’Europe. «A côté de cela, l’idée de rester chez soi est plébiscitée», poursuit le rapporteur. Toutes les études le montrent et la concertation le confirme. «Il y a le sentiment de perdre sa citoyenneté en allant en Ehpad. En plus, précise Dominique Libault, il y a un vrai problème d’attractivité dans les métiers autour du grand âge. Ils sont peu valorisés et peu attractifs.»Au point que 60 % des Ehpad ont au minimum un poste vacant d’aide-soignant ou d’infirmier. Sachant, faut-il le rappeler, que le prix d’une maison de retraite est perçu comme élevé : en 2015, il atteignait en moyenne 1 850 euros, très au-dessus donc d’une retraite moyenne. Et les maisons de retraite sont mal entretenues. «En 2015, la construction ou la dernière rénovation des bâtiments des Ehpad datait de plus de vingt-cinq ans dans 23 % des cas.»
En écho logique, les Français se prononcent très fortement en faveur du domicile. «En même temps, il y a une attente forte d’amélioration de la qualité en établissements, note le rapport. Les résidents disent pour beaucoup souffrir de leur quotidien, regrettant d’être coupés de leur "vie d’avant".» Ou encore : «40 % des Français qui ont un proche concerné pensent que le processus d’entrée en maison de retraite va se faire contre l’accord de celui-ci et 80 % pensent qu’entrer en Ehpad signifie perdre sa liberté de choix.»

«Très en retard»

In fine, trois défis se dégagent : permettre le plus possible de rester à domicile, améliorer fortement les conditions de travail en Ehpad, et mettre en place une politique active de prévention de la perte d’autonomie. «En France, nous sommes très en retard sur la prévention avec le grand âge», a rappelé Dominique Libault, qui a précisé aussi la nécessité d’un engagement financier fort des pouvoirs publics. Mais cet aspect-là, pour le moins décisif, sera… pour le chapitre suivant.

10 propositions clés du rapport 

• La création d’un guichet unique pour les personnes âgées dans chaque département, avec la mise en place des Maisons des aînés et des aidants.
• Un plan national pour les métiers du grand âge pour lancer une mobilisation, dans la durée, en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge et d’une meilleure structuration de la filière.
• Un soutien financier de 550 millions d’euros pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile afin d’améliorer le service rendu à la personne âgée et de revaloriser les salaires des professionnels.
• Une hausse de 25 % du taux d’encadrement en Ehpad d’ici à 2024 par rapport à 2015, soit 80 000 postes supplémentaires en proximité de la personne âgée, pour une dépense supplémentaire de 1,2 milliard d’euros.
• Un plan de rénovation des locaux de 3 milliards d’euros sur dix ans pour les Ehpad et les résidences autonomie.
• Améliorer la qualité de l’accompagnement et amorcer une restructuration de l’offre, en y consacrant 300 millions par an, vers une plus forte intégration entre domicile et établissement, pour des Ehpad plus ouverts sur leur territoire.
• Une baisse du reste à charge mensuel de 300 euros en établissement pour les personnes modestes gagnant entre 1 000 et 1 600 euros par mois.
• Une mobilisation nationale pour la prévention de la perte d’autonomie, avec la sensibilisation de l’ensemble des professionnels et la mise en place de rendez-vous de prévention pour les publics fragiles.
• L’indemnisation du congé de proche aidant et la négociation obligatoire dans les branches professionnelles pour mieux concilier sa vie professionnelle avec le rôle de proche aidant.
• La mobilisation renforcée du service civique et, demain, du service national universel, pour rompre l’isolement des personnes âgées et favoriser les liens intergénérationnels.

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