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lundi 25 mars 2019

En Saône-et-Loire, des médecins salariés contre les déserts médicaux

Lancé début 2018, le centre de santé départemental a déjà recruté trente-sept généralistes et permis à 15 000 patients de retrouver un médecin traitant.
Par François Béguin Publié le 18 mars 2019

Le Dr Charles Dorsinville lors d’une consultation avec une patiente, au centre départemental de santé, le 15 mars, à Sagy (Saône-et-Loire).
Le Dr Charles Dorsinville lors d’une consultation avec une patiente, au centre départemental de santé, le 15 mars, à Sagy (Saône-et-Loire). CLAIRE JACHYMIAK POUR LE MONDE

Denis Evrard est un maire heureux. Sept années après le départ à la retraite de son dernier médecin généraliste, sa commune de 2 000 habitants, à la périphérie de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), vient enfin de retrouver un praticien.
Grâce à une initiative départementale originale visant à lutter contre les déserts médicaux, Lux est devenue, le 11 mars, la douzième « antenne » du centre de santé de Saône-et-Loire. Avec ses trente-sept médecins salariés, ce dispositif lancé début 2018 a d’ores et déjà permis à 15 000 personnes de retrouver un médecin traitant. Une réussite dans un département où le nombre de généralistes avait diminué de 13,5 % entre 2007 et 2017.

« La moins mauvaise solution »

Avec ses adjoints, l’élu divers gauche a déposé ces derniers jours dans les boîtes aux lettres de ses administrés le mode d’emploi de la nouvelle antenne : un médecin présent quatre à cinq demi-journées par semaine, accessible uniquement sur rendez-vous, mais avec des créneaux d’urgence disponibles le jour même, et sans dépassement d’honoraires.
« Les généralistes des communes avoisinantes sont saturés, ils ne prennent plus de nouveaux patients, explique Denis Evrard. Et pour aller consulter à Chalon-sur-Saône, quand on n’a pas de voiture, il faut compter au moins quarante minutes en bus. Pour certaines personnes âgées, c’est très difficile. »


Pour fonctionner, le dispositif départemental prévoit une prise en charge des locaux et des charges (chauffage, ménage) par les communes. C’est un local municipal de 40 mètres carrés aménagé par les agents municipaux dans une partie de la maison des associations, pour un peu plus de 15 000 euros, qui a fait l’affaire.

Le centre départemental de santé de Sagy (Saône-et-Loire) se trouve sur la place de La Poste, le 15 mars.
Le centre départemental de santé de Sagy (Saône-et-Loire) se trouve sur la place de La Poste, le 15 mars. CLAIRE JACHYMIAK POUR LE MONDE

« Etre obligé de payer avec les deniers publics pour avoir un médecin, ça m’a un peu chiffonné au départ, reconnaît M. Evrard, qui a été interpellé le jour de l’ouverture par des infirmières libérales venues lui demander la même aide… Mais c’était la moins mauvaise solution. On n’avait pas vraiment le choix, c’était ça ou rien. »

Satisfaits de leurs conditions d’exercice

Le docteur Eric Lequain, 56 ans, qui assure désormais les quatre à cinq demi-journées de consultation par semaine à Lux, est un médecin heureux. Il y a dix ans, il avait tiré un trait sur quinze années d’exercice en libéral à Mercurey, une autre commune du département, pour exercer un emploi salarié au centre de transfusion sanguine.
« J’étais parti parce que je ne pouvais pas maîtriser mon temps de travail, dit-il.J’arrivais à 7 h 30 le matin, je repartais à 20 heures, avec un sandwich au milieu. Je faisais cinq à six patients par heure. Il ne fallait pas être trop malade pour venir me voir… » Grâce aux conditions proposées par le département, il dit avoir repris goût à l’exercice de son métier.

Le Dr Eric Lequain avec un patient, au centre départemental de santé, le 15 mars à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire).
Le Dr Eric Lequain avec un patient, au centre départemental de santé, le 15 mars à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). CLAIRE JACHYMIAK POUR LE MONDE

Avec un temps de travail compris entre trente-cinq et trente-neuf heures par semaine (contre souvent plus de soixante à soixante-dix heures en libéral), une demi-journée consacrée à discuter des cas difficiles avec ses confrères et un rythme moyen de trois consultations par heure, les médecins salariés par le centre de santé rencontrés par Le Monde se disent tous satisfaits de leurs conditions d’exercice.
« A Trappes, je voyais trente-cinq à quarante personnes par jour, maintenant j’en vois dix-huit à vingt. Mercredi, par exemple, ma journée était pleine et j’étais pourtant chez moi à 18 h 30, ce qui était inimaginable en libéral », se félicite le docteur Charles Dorsinville, 65 ans, salarié à côté de Louhans depuis le 19 janvier, après vingt-deux ans d’exercice en cabinet dans les Yvelines.
Ces médecins vantent les avantages du système : la prise de rendez-vous par un secrétariat extérieur, la fin de la « paperasse » et de la comptabilité nécessaires pour faire tourner la petite entreprise qu’est d’ordinaire un cabinet… « Je n’ai jamais voulu m’installer en libéral à cause de la lourdeur administrative. Ne pas avoir de paperasse à faire, ça n’a pas de prix pour moi », raconte le docteur Jérôme Vincent, 38 ans, salarié dans les antennes de Montpont-en-Bresse et Sagy, après avoir effectué pendant dix ans des remplacements dans le Jura.

Quelques bémols

En contrepartie de cette amélioration de leur qualité de vie et d’exercice, ces médecins acceptent de gagner moins qu’en libéral, soit tout de même entre 4 500 et 6 000 euros net par mois, en fonction de leur expérience. « Cela correspond au salaire des praticiens hospitaliers, mais on est gagnant côté horaires », reconnaît le docteur Vincent. Une somme que les praticiens plus âgés peuvent par ailleurs cumuler avec leur retraite.
Alors que deux nouvelles antennes doivent ouvrir ces prochains jours, André Accary est un président (Les Républicains) de conseil départemental heureux.
« Normalement, en fin d’année, nous allons avoir résolu la problématique de la désertification médicale dans le département », annonce-t-il. L’élu assure que son dispositif, à l’équilibre financièrement en année pleine à partir de trente médecins salariés, pourrait continuer à monter en puissance « en fonction de la démographie », évoquant un modèle apte à supporter un « maillage complet »avec 150 à 200 antennes. M. Accary souhaite d’ailleurs s’attaquer cette année à la question de l’accès aux soins dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
La Saône-et-Loire aurait-elle trouvé la martingale contre les déserts médicaux ? Quelques bémols se font jour cependant. Le département a beau assurer qu’il ferme sans discussion une antenne dès lors qu’un médecin est prêt à s’installer en libéral, comme cela s’est déjà passé en décembre 2018, Gérard Montagnon, le président de l’ordre des médecins de Saône-et-Loire, fait état de « quelques mécontentements de praticiens qui ne sont pas consultés quant au choix de l’antenne », dans la mesure où, « bien souvent, il s’agit d’une demande des maires, en réponse à la population, sans consulter les médecins locaux ».

Risque à terme de « dépersonnalisation »

De façon plus générale, M. Montagnon estime que l’acceptation sera d’autant plus grande si les médecins salariés participent aux gardes, « ce qui est difficile à faire accepter car ces derniers veulent une activité plus calme », et si le suivi des patients chroniques lorsque ces médecins sont absents est bien « organisé ».
C’est aussi ce que pointe Patrick Nouvion, un médecin retraité de 71 ans, qui, après avoir exercé pendant quarante ans en libéral, a récemment signé avec le département. Il évoque un risque à terme de « dépersonnalisation » de la pratique médicale.
Même si les médecins sont affectés aux mêmes antennes, les patients ne sont pas certains d’avoir toujours le même professionnel en face d’eux. Pour permettre au système de fonctionner, c’est d’ailleurs le département qui est inscrit comme médecin traitant. « On va se rapprocher d’une médecine de dispensaire », prévient le docteur Nouvion.
Signe que ce dispositif pourrait contribuer à répondre à la pénurie de médecins dans certains territoires : deux autres départements – la Corrèze et la Dordogne – viennent de se lancer à leur tour, avec des organisations et des échelles différentes, dans la mise en place de centres de santé départementaux.

400 médecins salariés ou mixtes dans les déserts médicaux
Lors de la présentation de son plan « Ma santé 2022 », en septembre 2018, Emmanuel Macron s’était engagé à envoyer à brève échéance 400 médecins généralistes à exercice partagé ville-hôpital ou salariés dans les « déserts médicaux », pour pallier le manque de médecins libéraux. Afin d’honorer cette promesse, le ministère de la santé va créer 200 postes payés moitié par l’hôpital et moitié à l’acte, accessibles dès la fin de l’internat, qui serviront de « tremplin à l’installation » pour les jeunes diplômés. Pour les 200 autres postes, une « garantie financière » sera apportée pendant deux ans aux hôpitaux de proximité ou aux centres de santé qui créeront un poste de médecin généraliste salarié dans les territoires en difficulté.

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