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mardi 14 juin 2016

Jim O’Neill: « L’antibiorésistance est la plus grande menace sanitaire mondiale »

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par Paul Benkimoun
Jim O’Neill, secrétaire d’Etat britannique au commerce.
Jim O’Neill, secrétaire d’Etat britannique au commerce. CLARE RYAN / AMR
A la demande du gouvernement britannique et en collaboration avec la fondation caritative Wellcome Trust, Lord Jim O’Neill a dirigé une mission sur la lutte contre les infections résistantes aux traitements dans le monde. Publié le 19 mai, le rapport final présenté par l’ancien économiste en chef de la banque Goldman Sachs, devenu secrétaire d’Etat au commerce dans le gouvernement de David Cameron, a été très remarqué tant par ses constats que par ses recommandations audacieuses.
Quelle est l’ampleur du problème de la résistance aux antibiotiques ?
Il est énorme. Nous estimons que d’ici à 2050, le nombre des décès liés à la résistance aux antimicrobiens pourrait atteindre 10 millions par an dans le monde. Cela dépasserait le nombre de décès actuellement provoqués par le cancer. A ce coût en vies humaines, il faut ajouter un coût économique cumulé de 100 000 milliards de dollars en termes de perte de production mondiale d’ici à 2050, si aucune mesure n’est prise, soit plus que la taille de l’économie mondiale.

Est-ce que le monde et les dirigeants de la planète ont pris conscience de cette question ?
La prise de conscience et l’attention évoluent très rapidement et c’est encourageant. Il y a diverses raisons à cela. J’ai la faiblesse de penser que notre rapport, qui a fait beaucoup de bruit, y est pour quelque chose. Mais je dois dire que la décision de notre premier ministre de demander un rapport indépendant à l’échelle mondiale a été très favorablement accueillie un peu partout. Dans le même temps que nous préparions notre rapport, différents événements sanitaires alarmants ont eu lieu, en particulier la découverte de résistances à la colistine, à l’origine en Chine, ont constitué un choc même pour le monde de la santé. Très récemment, aux Etats-Unis, la presse a fait état d’un cas de résistance à la colistine. Les gens commencent à comprendre qu’il ne s’agit pas seulement d’un phénomène que les médecins annoncent pour le futur, mais qu’il frappe déjà à notre porte.
Comment est né votre groupe de travail ?
Le premier ministre britannique a été convaincu par des personnalités expérimentées du monde médical du Royaume-Uni que la résistance aux antibiotiques constituerait la plus grande menace sanitaire mondiale et que pour résoudre ce problème, il fallait probablement impliquer des personnes en dehors du monde de la santé. C’est alors qu’ils ont eu l’idée de faire appel à un économiste pour diriger ce rapport. Lorsqu’on me l’a proposé de diriger ce rapport, j’ai demandé : pourquoi moi ? Pourquoi avez-vous besoin d’un économiste ? Avec le recul, c’était une décision avisée, car il fallait traduire le défi en termes économiques et financiers, entre autres pour que les décideurs politiques prêtent attention au sujet. La partie difficile à présent est de parvenir à un accord international, car le problème ne peut pas être résolu isolément par un pays.
Quelles sont les interventions clés pour s’attaquer à ce défi ?
Parmi nos 29 propositions, quatre sont essentielles. La première est de lancer une campagne de sensibilisation du public adaptée à des situations nationales diverses. Ensuite, et c’est peut-être la plus importante, nous recommandons pour les pays occidentaux que, d’ici à 2020, les antibiotiques ne soient plus prescrits sans test diagnostique préalable, afin d’éviter les prescriptions superflues. La troisième proposition est de parvenir à un accord sur la réduction graduelle du niveau d’utilisation des antibiotiques dans l’agriculture sur une période de dix ans à partir de 2018. Enfin, nous avons besoin de nouvelles molécules antimicrobiennes. A cet effet, nous proposons un système de « récompenses à l’entrée sur le marché » avec une somme de l’ordre de 1 milliard à 1,5 milliard de dollars pour – j’insiste sur chaque mot – ceux qui produiraient avec succès de nouveaux médicaments appropriés. Cela ne serait valable que tant qu’ils accepteraient des conditions strictes sur la commercialisation de leurs antibiotiques.
Pour inciter à développer de nouveaux antibiotiques, vous suggérez un mécanisme « play or pay » – participez ou payez. En quoi consiste-t-il ?
C’est une des différentes manières de financer les récompenses à l’entrée sur le marché. Parmi elles, il y a le « play or pay ». L’industrie pharmaceutique se trouve dans une position très particulière. Elle est la seule qui possède le savoir-faire technique. S’y ajoute ce que les économistes appellent le « problème du passager clandestin ». Les laboratoires pharmaceutiques ont besoin que les antibiotiques marchent pour que leurs autres médicaments aient leur utilité et leur marché. Donc les industriels qui choisissent de ne pas produire de nouveaux antibiotiques en bénéficiant de leur situation de « passager clandestin » doivent accepter de payer pour ceux qui le font. Sans surprise, l’industrie pharmaceutique n’est pas extrêmement enthousiaste sur le « play or pay », car il défie ses convictions. Mais face à l’antibiorésistance, chacun doit quitter sa zone de confort, sans quoi nous ne résoudrons pas le problème et nous nous retrouverons avec dix millions de morts par an.
Êtes-vous optimiste sur une réponse efficace à la résistance aux antibiotiques ?
Je pourrai le dire en octobre. J’essaye d’obtenir un accord du G20 de septembre sur la question de nouveaux antibiotiques et, toujours en septembre, un « accord de haut niveau des Nations unies ». Je serais très déçu si nous n’y parvenions pas.

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