En juin 2015, les autorités marocaines ont évacué près de 800 malades mentaux d’un mausolée tenu par des charlatans qui profitaient des carences médico-sociales pour faire du profit. Un an plus tard, ces malades peinent toujours à trouver un lieu adapté à leurs troubles et se retrouvent parfois abandonnés par leur propre famille.
Samira* boit son thé, silencieuse. Seuls ses yeux vitreux traduisent son désarroi. Sa honte aussi. En 1995, elle a envoyé son fils à Bouya Omar, un mausolée près de Marrakech célèbre pour ses séances d’exorcisme. Karim* est resté enfermé pendant deux décennies dans le village du même nom, avec des centaines de Marocains eux aussi torturés, drogués et affamés. Evacués par les autorités en juin 2015, Karim et les 798 autres captifs de Bouya Omar n’étaient pourtant pas ensorcelés : ils souffraient de troubles mentaux. Mais, comme Samira, des milliers de familles ne trouvaient pas de structures adaptées à la maladie de leurs proches. Désespérées, elles les abandonnaient dans des sanctuaires, où un véritable business du maraboutisme s’est développé.
Pénurie des services psychiatriques
A la mort de son père, en 1994, Karim a eu ses premières crises de violence. « C’était tout ce haschisch qu’il fumait, ça l’a rendu fou », veut croire sa mère. Lorsqu’il a levé la main sur elle, Samira a décidé de l’emmener à l’hôpital psychiatrique. « Ils l’ont gardé dix-sept jours et me l’ont rendu avec une ordonnance. » Mais Karim ne prenait pas ses médicaments et l’hôpital a refusé de l’admettre à nouveau. Inondés, les services psychiatriques sont souvent contraints de renvoyer des patients. « Il n’y a qu’un seul service d’urgences psychiatriques à Casablanca, la plus grande ville du pays », regrette Omar Battas, chef du service psychiatrique du CHU Ibn Rochd de Casablanca. Au total, le royaume compte 2 793 lits pour 34 millions d’habitants. « Mais les autres souffrent aussi et nécessitent un suivi pour éviter les rechutes », poursuit le professeur Battas.
Des rechutes, Karim en a eu chaque fois qu’il arrêtait son traitement. « Il était incontrôlable, je ne pouvais pas m’en occuper toute seule », se justifie Samira avant d’ajouter, tête baissée :« Les gens autour de moi m’ont parlé de Bouya Omar. »
Pendant vingt ans, Karim est resté enchaîné dans les entrailles du village asilaire. Selon une étude du ministère de la santé réalisée en août 2014, 90 % des internés souffraient de troubles mentaux et 64 % avaient déjà été hospitalisés. Sans succès. « Ils ne venaient pas à Bouya Omar pour les croyances mais à cause de la pénurie de l’offre de soins », reconnaît Abderrahmane Maaroufi, directeur de l’épidémiologie et de la lutte contre les maladies au ministère de la santé. De cette pénurie est né un marché fructueux.
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