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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mercredi 26 mai 2010

http://www.actupparis.org/spip.php?article4055

Médecine et répression

publié en ligne : 1er avril 2010 dans Action 122
dossier publié dans une version raccourcie dans la revue Action n°122


Introduction :

Article 10 – personne privée de liberté (article R.4127-10 du code de la santé publique) “Un médecin amené à examiner une personne privée de liberté ou à lui donner des soins ne peut, directement ou indirectement, serait-ce par sa seule présence, favoriser ou cautionner une atteinte à l’intégrité physique ou mentale de cette personne ou à sa dignité. S’il constate que cette personne a subi des sévices ou des mauvais traitements, il doit, sous réserve de l’accord de l’intéressé, en informer l’autorité judiciaire. (…)

En France, l’exercice de la médecine est réglementé par un code de déontologie - établi par décret - et le Conseil de l’Ordre des Médecins chargé du respect de ces dispositions. Ce code s’impose à tout médecin. La déontologie médicale sert de référence aux instances juridictionnelles de l’Ordre des médecins, mais d’abord de guide aux médecins dans leur pratique quotidienne, au service des patients.

Appelé auprès d’un prisonnier, le médecin, défenseur naturel de l’individu et des droits de l’homme, doit s’abstenir de toute intervention qui n’aurait pas pour but l’intérêt de sa santé. Un médecin ne peut être dupe de l’ « humanisation de la torture par la présence d’un médecin ». La seule attitude est un refus formel de toute participation. Au contraire le médecin qui constate qu’une personne a été victime de sévices doit le signaler aux autorités compétentes et s’efforcer d’obtenir, s’il le juge nécessaire ou utile, l’hospitalisation de la victime.

Le médecin des établissements pénitentiaires est, comme tout médecin, indépendant dans tous ses actes. Il n’est ni policier, ni juge, il n’est jamais l’agent d’exécution de quiconque. Il décide seul en conscience de ce qu’il doit faire pour les détenus qui lui sont confiés. Il ne peut que favoriser le meilleur accès aux soins. Un médecin ne peut être ni inquiété ni pénalisé pour avoir respecté cet article du code.

Tous les médecins, qu’ils soient médecins soignants (I) ou médecins experts (II), qu’ils traitent de la santé psychique ou somatique, sont soumis à leur code de déontologie médicale. Si nous décidons de mettre en lumière les liens entre médecine et répression, c’est parce que nous nous sommes rendus comptes que, le personnel soignant, sensé se limiter au bien être des gens se retrouve à cautionner des pratiques portant atteinte à la santé des prisonniers, particulièrement lorsqu’ils sont séropositifs.

I- UCSA et SMPR, des médecins en question :

Depuis la loi du 18 janvier 1994, une révolution s’est opérée dans le milieu santé en prison, les personnels soignants ne sont désormais plus rattachés à l’administration pénitentiaire mais directement au ministère de la Santé. Les médecins exerçant au sein des Unités Consultatives de Soins Ambulatoires (médecine somatique) et des Services Médico-Psychologiques Régionaux (médecine psychique) sont hiérarchiquement dépendants de l’hôpital de rattachement de chaque établissement pénitentiaire.

A- Personnel soignant en prison et non respect de l’article 10 du Code de déontologie médicale :

→ L’habilitation des médecins à mettre au Quartier d’Isolement, au Quartier Disciplinaire : « la prison dans la prison »

Le placement au quartier disciplinaire (ou mitard) est la sanction la plus élevée du régime disciplinaire pénitentiaire. Le prisonnier qui se retrouve placé en cellule disciplinaire subit un régime de détention ultra répressif : enfermé dans une cellule de punition et de privation, tout y est scellé, il est privé de toute activité, totalement isolé. Le placement d’office en quartier d’isolement est une mesure administrative qui vise à isoler un prisonnier par « mesure de sécurité » pour le « maintien du bon ordre » de la prison. L’UCSA de la prison est informée du placement d’un prisonnier au quartier disciplinaire, le médecin passe le voir dans la journée puis une à deux fois par semaine. Avant tout placement à l’isolement d’office, un avis médical de compatibilité délivré par le médecin UCSA est obligatoire. Par contre, l’administration pénitentiaire n’est pas obligée de suivre cet avis. Ensuite, le médecin rend une visite hebdomadaire. Le médecin SMPR ne vient que lorsqu’il est appelé.

Ces avis médicaux demandés par l’administration pénitentiaire pour cautionner des pratiques répressives sont manifestement contraire à la mission même des médecins. Pourtant, nous constatons en pratique que ces avis sont très souvent favorables. Malheureusement, seule une infime minorité de médecins résiste à ces procédés contraires à toute éthique, soit en refusant de rendre un avis, soit en rendant des avis systématiquement défavorables. Ces mesures coercitives sont particulièrement préjudiciables à l’état de santé des personnes atteintes par le vih, qui devraient bénéficier de l’indulgence de l’administration pénitentiaire, mais surtout du soutien du corps médical. Or, il n’en est rien, comme le témoigne Laurent Jacqua, ancien prisonnier, toujours séropositif :

Lorsque j’étais placé à l’isolement et que le médecin UCSA passait pour ses deux visites hebdomadaires, systématiquement je lui demandais de me faire un certificat de contre-indication pour sortir du QI en raison de ma séropositivité. En 25 ans, je n’ai rencontré que trois médecins dignes de ce nom qui m’ont établi des certificats d’incompatibilité avec le quartier d’isolement, ou le quartier disciplinaire. Mais, cette confusion entre pénitentiaire et médical se fait simplement, par habitude. Les médecins finissent par se soumettre totalement au système pénitentiaire.

Mesure écrite le 11 décembre 1997 qui concerne le placement à l’isolement de Laurent à la Maison d’Arrêt de Besançon. Le médecin UCSA atteste sur ce document que Laurent doit être placé à l’isolement « par mesure de précaution ou de sécurité pour préserver la sécurité de l’établissement », il est écrit manuellement « état de santé compatible avec une mesure d’isolement ». Réponse de Laurent écrite directement sur le document : « vous n’êtes pas digne d’être médecin, relisez l’article 10 de votre déontologie »

Les nouvelles mesures en discussion pour le moment ne font que renforcer cet amalgame inacceptable. Ainsi, le cahier électronique de liaison représente une sérieuse menace au respect du secret médical ainsi que les commissions pluridisciplinaires uniques et de prévention du risque suicidaire. C’est pourquoi, lorsque Roselyne Bachelot parle de « décloisonnement entre sanitaire et pénitentiaire », nous y voyons une enième attaque des droits des séroprisonniers .

→ Le refus de certains médecins de constater les blessures sur prisonnier :

Le dépôt de plainte que souhaite effectuer une personne incarcérée après avoir reçu des coups de la part des surveillants, doit être accompagné d’un certificat médical établi dans les 24 heures, par le médecin UCSA. Probablement sur demande de la direction de la prison, certains médecins refusent de constater les blessures, afin d’étouffer l’affaire. Laurent : « j’ai pu le vivre à Metz après avoir été gazé et tabassé, le toubib de l’UCSA accompagné des gradés m’avait même lancé un « fallait vous tenir tranquille ! » en me laissant sans soins et totalement nu durant 24H ».

Si l’avis des médecins est requis pour les mesures de rétorsion, celui-ci est également nécessaire aux dossiers de demande de libération de prisonniers malades.

B- Avis médical, clé pour la libération des malades :

→ La suspension de peine pour raison médicale :

Pour engager une procédure de suspension de peine pour raison médicale, le certificat médical du médecin UCSA peut suffire à saisir la juridiction d’application des peines de la demande. Malheureusement, ce cas de figure est relativement rare. Il va de soi que, pour que l’état de santé d’une personne séropositive ne se dégrade pas, cette personne a besoin d’être prise en charge dans un lieu de soins, c’est-à-dire à l’extérieur de la prison ; il incombe donc aux médecins soignants de mettre tout en œuvre pour le bien-être des prisonniers séropositifs.

Par ailleurs, depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, en cas d’urgence et lorsque « le pronostic vital est engagé », la ou le juge d’application des peines peut ordonner la suspension de peine pour raison médicale sur la seule base du certificat médical UCSA.

→ Les autres aménagements de peine :

Exceptée la grâce médicale qui n’est actuellement plus appliquée, pour les différents types d’aménagements de peine, l’état de santé du prisonnier demandeur n’est pas officiellement pris en compte. Cependant, en pratique, les juges d’application des peines peuvent se montrer sensibles à cet argument, justifiant de la nécessité de faire sortir une personne de prison, éventuellement pouvant justifier de son absence d’activité en prison…

II- Les juges et les médecins experts, violation manifeste de l’article 10 du code de déontologie médicale :

Le concept même de médecin expert est un paradoxe : comment peut-on demander à celui devant « soigner » d’évaluer de manière ponctuelle l’état de santé somatique d’un individu qu’il ne traite pas dans la durée, qu’il ne connaît pas ? (A) a fortiori son état de santé mentale ? (B)

A- Médecins experts et suspension de peine pour raison médicale :


Lors de la procédure de suspension de peine pour raison médicale, deux expertises médicales sont exigées, plus une expertise psychiatrique si le demandeur a été condamné pour crime. Les deux expertises médicales doivent, de manière concordante, conclure à « l’engagement du pronostic vital » ou un « état de santé durablement incompatible avec la détention ». Les experts désignés par les juges d’application des peines ont une vision peu réaliste des conditions d’incarcération et sont souvent incompétents quant aux pathologies des demandeurs à une suspension de peine pour raison médicale.

Les délais d’expertise médicale sont trop longs. En pratique lorsque le pronostic vital du demandeur est engagé, son éventuelle libération arrive souvent trop tard. Parce que lorsque par chance une personne incarcérée pour crime fait l’objet d’une suspension de peine, elle est soumise tous les 6 mois à un examen médical qui, s’il constate que son état de santé s’est amélioré, le renvoie en prison.

→ cf : Évolutions de la suspension de peine pour raison médicale jusqu’à la loi du 10 mars 2010

Témoignage Laurent Jacqua : J’ai déposé, en 2003 et 2006 deux suspensions de peine qui ont été rejetées. Étant incarcéré pour crime, j’ai eu droit à des expertises médicales et psychiatriques. Les deux fois, les expertises médicales ont conclu que mon pronostic vital n’était pas engagé et mon état de santé compatible avec la détention. Se basant uniquement sur mon lourd passé judiciaire, les experts psychiatres qui ont accès au dossier pénal, ne m’ont vu qu’entre une demi-heure et une heure et ont considéré que je présentais un « risque important de récidive » dû à une « dangerosité » constatée sur mon dossier pénal.

Décision 12 novembre 2004 de la juridiction régionale de la libération conditionnelle (ancienne juridiction d’application des peines, compétente en matière de suspension de peine pour raison médicale) : « Attendu que Monsieur Jacqua et son conseil ont déploré que l’expert PEROL ne se soit pas déplacé pour accomplir sa mission (…) ; que le VIH est une pathologie susceptible – l’adjectif étant de première importance – d’engager le pronostic vital (…) ; Attendu que le premier expert désigné, monsieur SALESSE conclut que le requérant présente un syndrome d’immunodéficience traité depuis 1996 ; que monsieur Jacqua est asymptomatique et que le traitement le satisfait ; qu’il ne présente pas de pathologie engageant son pronostic vital ; que son état de santé est compatible avec le maintien en détention ; Attendu qu’en l’état de ces appréciations et sans qu’il soit besoin d’examiner le rapport du second expert, les conditions de la loi pour une suspension de peine pour raisons médicale ne sont pas remplies ; Qu’en effet le maintien en détention est possible ; Que le SIDA traité et asymptomatique n’est pas, en tout cas pour monsieur Jacqua, susceptible d’engager le pronostic vital, c’est à dire, comme l’énonce l’expert dans le corps de ses explications, que la séropositivité de monsieur Jacqua est stabilisée depuis plusieurs années ; qu’ainsi le décès n’est pas une hypothèse à redouter dans des proportions supérieures à celles qui s’appliquent aux autres sujets atteints d’une maladie chronique maîtrisée ; (…) FIXE à un an le délai pendant lequel Laurent Jacqua ne pourra saisir à nouveau la juridiction. »

B- Collusion entre justice et psychiatrie :

Les experts psychiatres sont mis à contribution par la Justice pour venir à l’appui des décisions prises par les juges, en particulier les juges d’application des peines. Nous dénonçons avec force l’utilisation de notions comme « dangerosité » et « trouble à l’ordre public » sur lesquelles se fondent les mesures de sûreté, parce qu’elles participent d’une confusion inacceptable entre langage médical et judiciaire. Si la dangerosité d’un individu peut qualifier psychiatriquement un état donné à un moment M, en aucun cas un psychiatre – fut-il expert – n’a les compétences pour juger si une personne est « dangereuse ». Les juges d’ailleurs n’ont pas non plus cette légitimité puisqu’ils sont chargés de juger des actes commis par des individus, non pas des personnalités, y compris les juges d’application des peines.

Le caractère obligatoire des expertises psychiatriques prend de plus en plus d’importance dans les procédures judiciaires, en particulier dans les procédures d’aménagements de peine. La psychiatrisation de la justice nous mène vers plus de répression légitimée par une pseudo-science. Il arrive donc qu’une demande de suspension de peine ou d’aménagement de peine d’un séropositif soit rejetée à cause d’une expertise psychiatrique défavorable, parce qu’il aura été considéré « dangereux ».

→ L’injonction de soins et rétention de sûreté, atteintes à la liberté de se faire soigner :

La loi du 25 février 2008 avait institué la rétention de sûreté et créé un amalgame grave entre médecine et répression puisqu’elle demande aux médecins d’évaluer la dangerosité de condamnés ayant purgé leur peine et permet aux juges de ne pas les libérer. La loi du 10 mars 2010 étend le champ d’application de la rétention de sûreté et s’appuie sur l’injonction de soins pour obliger une personne à se soigner. Dorénavant, si une personne condamnée et ayant purgé ses années de prison est déclarée comme ayant refusé les soins ordonnés ou arrêtant le traitement, quelle que soit la raison de ce choix, cela est considéré alors comme un manquement à une obligation posée par le juge, et donc, un non-respect des conditions de remise en liberté, ce choix est synonyme de retour en prison pour une durée illimitée !

La loi du 9 septembre 2002 a institué la création d’Unités Hospitalières Spécialement Aménagées. Au départ pensées pour recevoir les personnes condamnées alors qu’elles souffrent de graves troubles psychiatriques, il est prévu que ces unités deviennent des lieux d’enfermement post-peine pour les individus considérés comme « dangereux » par les experts psychiatres et les juges. D’ailleurs, la CGT dénonce « le tournant sécuritaire pris par la psychiatrie, dont l’UHSA serait la figure de proue. »

Conclusion :

Nous avons conscience que les questions de médecine et d’ordre social ne concernent évidemment pas que les séropo incarcéréEs (par exemple, médecins fixant le taux de handicap déterminant le montant d’octroi de l’Allocation Adulte Handicapée), mais elles prennent une ampleur d’autant plus grande lorsque la liberté est en jeu.

Act up Paris revendique la libération de tous les personnes séropositives incarcérées. A travers ce dossier nous montrons pourquoi la prison n’est pas et ne peut pas être un lieu de soins. Le soin étant synonyme de bien être / la prison jamais !





VIIIe Congrès de la NLS
Genève, les 26 et 27 Juin 2010
Fille, Mère, Femme au XXIe siècle

Argument

Le XXe siècle a été le siècle de l'émancipation des femmes et du féminisme.
Freud a déjà eu affaire à une certaine émancipation des femmes, comme il est patent dans le cas de Dora ou de la jeune homosexuelle. Les conquêtes sociales, les transformations des modes de jouissance qui ont été obtenues, n'ont pas pour autant résolu la façon dont les femmes ont à faire avec les semblants pour "devenir femme" selon le mot célèbre de Simone de Beauvoir. Lacan en 1973, avec son Séminaire Encore, prenait parti dans le débat de l'époque.

Quelle est aujourd'hui la place de l'amour entre les sexes? Comment les couples se forment-ils et aussi se défont-ils? Comment les femmes vivent-elles leur jouissance et le mode de solitude qu'elle inclut dans notre civilisation individualiste? Comment peuvent-elles répondre aux sollicitations de la technique médicale concernant par exemple la procréation et l'offre de chirurgie esthétique? Beaucoup de ces questions ont pris dans les dix dernières années un poids plus lourd dans nos sociétés en parallèle avec le déclin de la fonction paternelle et la montée au zénith de l'objet.

L'égalité affirmée dans le travail, la professionnalisation massive des femmes (dont Lacan traitait déjà dans ses "Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine"), la dictature des formes modernes standardisées de la mascarade, le choix désormais possible du moment de la maternité et le prolongement de la période de fécondité ont aussi leur revers. Le libéralisme des mœurs qui exalte à la fois une supposée symétrie des jouissances et l'incommensurable de la jouissance féminine pousse bien des sujets féminins vers une exaltation de l'amour ou encore vers le ravage. Ce sont ces sujets, épuisés dans la guerre des sexes, égarés dans leur jouissance, souffrant d'une solitude qu'accroît le désordre amoureux, qui s'adressent à la psychanalyse afin d'y trouver une réponse à leurs questions sur la position féminine.

Il nous reviendra lors de notre congrès d'en examiner les formes symptomatiques une par une.

Comme l'indique Dominique Laurent dans l'article « Femme » du volume Scilicet, préparatoire au congrès de l'AMP : "Du manque anatomique freudien au manque de signifiant de La femme se déploie le rapport des femmes au semblant et à « l'apparole », pour y parer. Les femmes savent ainsi que leur revient la charge de faire exister de façon singulière, une par une, cet être qui n'a pas d'essence signifiante et libidinale." C’est un choix forcé, décidément anti-biologique.

Notre prochain congrès qui se tiendra à Genève se situera dans la continuité de celui de l'AMP à Paris. Les sociétés et les groupes de la NLS pourront donc ainsi engager leur travail sur le thème "Semblants et sinthome" qui est celui du congrès de l'AMP et l'approfondir dans la dimension de ce qu'Eric Laurent avait nommé "la position féminine de l'être".

Le titre de notre congrès sera donc: "Fille, mère, femme au XXIe siècle". Il aura lieu en Suisse, dans la ville de Genève, les 26 et 27 Juin 2010.

Bibliographie Succincte Congres NLS 2010

•Lacan, J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine » [1958-60], Ecrits, Seuil, 1966, pp. 725-736.
•Lacan, J., « La signification du phallus. Die Bedeutung des Phallus » [1958], Ecrits, op. cit., pp. 685-695.
•Lacan, J., Le Séminaire. Livre XX. Encore [1972-73], Seuil Paris, 1975.
•Freud, S., « La féminité » [1932], Nouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984, pp. 150-181.
•Miller, J.-A., « Des semblants dans la relation entre les sexes », La Cause freudienne, 36, pp. 7-16.
•Miller, J.-A., « Un répartitoire sexuel », La Cause freudienne, 40, pp. 7-27.
•Laurent, E., « Positions féminines de l’être », La Cause freudienne, 24, pp. 107-113.




SOCIÉTÉ

le 21 mai 2010

La prison entre à l’hôpital

Un progrès pour les détenus malades ? Non, répondent les professionnels, qui qualifient de « bond en arrière » l’ouverture, à Lyon, de la première unité d’hospitalisation spécialement aménagée.
Lyon, envoyée spéciale.
Il y a quelques années, on pouvait encore trouver dans l’enceinte du Vinatier une cage où furent jadis enfermés certains patients récalcitrants. Vieux de près de cent cinquante ans, cet hôpital psychiatrique de la périphérie lyonnaise, un des plus grands de France, est en soi un résumé de l’histoire de la psychiatrie. Une histoire qui s’apprête à écrire un nouveau chapitre avec l’inauguration en grande pompe, aujourd’hui, de la première unité d’hospitalisation spécialement aménagée (UHSA) destinée à accueillir jusqu’à 60 détenus souffrants de troubles mentaux parmi les 9 000 personnes incarcérées dans les prisons environnantes.

l’UHSA ne fait pas l’unanimité

Au milieu de l’enceinte de 75 hectares aux allées boisées, ce cube de béton de six mètres de haut sans fenêtres détonne – à peine une petite loge vitrée laisse-t-elle apercevoir l’uniforme des personnels pénitentiaires affectés au lieu. « Dire qu’on s’est battus pour faire enlever les barreaux des fenêtres », se désole le délégué CGT Marc Auray, qui détaille comment, il y a peu de temps encore, un système de fossés permettait de construire des murs d’enceinte qui n’obstruaient pas l’horizon. « Depuis 1945, la psychiatrie a connu des progrès en France, ça n’a pas toujours été très vite, mais là, avec l’arrivée de la prison à l’hôpital, on fait un bond en arrière. »

Présentée comme un pas en avant sans précédent pour la prise en charge psychiatrique des détenus, la mise en place des UHSA (huit devraient voir le jour à la suite de celle de Lyon d’ici à 2012) ne fait pas l’unanimité. Élaboré sous une double tutelle des ministères de la Santé et de la Justice, ces établissements sont perçus comme un retour en arrière, alors que les professionnels ont plusieurs décennies durant multiplié les tentatives pour réconcilier la société avec ses fous, créant des passerelles et tentant de lever les tabous qui entouraient la psychiatrie.

Ils sont vus également comme une consécration de la présence de malades mentaux dans les prisons (jusqu’à 30 % des détenus souffriraient de troubles psychiatriques) régulièrement dénoncée par les syndicats et les associations. « L’existence des UHSA pourrait inciter experts psychiatres et juridictions à renoncer à constater l’irresponsabilité pénale des auteurs d’infraction s’ils estiment que la condamnation pénale sera le meilleur moyen d’assurer leur prise en charge médicale sécurisée », redoute ainsi un rapport du Sénat publié au début du mois.

la part des intérimaires ne fait qu’augmenter

« Meilleure prise en charge »… voire seule prise en charge possible  : en vingt ans, plus de 40 000 places en hôpital psychiatrique général ont été fermées. Au Vinatier, ce sont 120 lits qui ont été supprimés au cours des dix dernières années – il en reste un peu moins de 800 aujourd’hui. « Et si côté salariés, les effectifs restent à peu près constants, la part des intérimaires ne fait qu’augmenter, ce qui nuit bien sûr à la qualité de la relation avec les patients et des soins en général », note-t-on à la CGT, où l’on s’inquiète de ce que, pour survivre aux restrictions budgétaires, « la direction se sente obligée de se lancer dans tous les projets qu’elle peut ». Une unité pour malades difficiles devrait ainsi également bientôt voir le jour.

« Bien sûr, c’est difficile de tenir une position contre l’ouverture d’une structure qui offrira incontestablement de meilleurs soins aux quelques détenus qu’elle accueillera que ceux qu’ils auraient reçus en prison. Mais il faut replacer cette structure dans le contexte général de l’évolution des systèmes carcéral et psychiatrique », résume Céline Reimeringer, coordinatrice de l’Observatoire international des prisons pour la région Rhône-Alpes. Et de rappeler que, bien souvent, avec la rupture sociale, la perte de repères spatio-temporels, l’inactivité et la promiscuité, « c’est la prison qui rend fou » ou qui aggrave des pathologies préexistantes.

Anne Roy









Un quart des détenus souffrent de maladies psychiatriques


By Anouchka Collette


05/21/2010


Le premier hôpital-prison pour les détenus atteints de troubles psychiatriques graves est inauguré [1] vendredi par la ministre de la justice Michèle Alliot-Marie. Trompe l'œil ou réelle avancée ? Le Dr Louis Albrand, auteur d'un rapport sur le suicide en prison [2] et coordonnateur d'un collectif pour l'humanisation des prisons et des hôpitaux psychiatriques, répond aux questions de Rue89.


[2]Êtes-vous favorable à l'ouverture de l'Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon, premier hôpital-prison ?


C'est une initiative que je salue, qui va dans le bon sens. Mais il faudrait d'abord s'attaquer au problème de fond, spécifique à la France, le nombre hallucinant de malades en prison : 25% des détenus sont atteints d'une maladie psychotique grave (schizophrénie, paranoïa…), soit environ 15 000 personnes.


Si l'on inclut les personnes dépressives ou les troubles plus « légers », qui ne nécessitent pas d'hospitalisation, on atteint les 40%.
Or, cet établissement accueillera une soixantaine de personnes. Même si neuf centres similaires ouvrent, comme prévu d'ici 2012, cela reste très insuffisant.


Comment expliquer qu'un quart des détenus soient atteints de maladies psychiatriques ?


A cause des lacunes de la psychiatrie en France. Dans les vingt dernières années, 40 000 lits de psychiatrie ont été supprimés. A la fois pour des raisons financières et aussi parce que l'efficacité des neuroleptiques a beaucoup progressé, et l'on estime parfois que l'on peut soigner les malades chez eux.


Mais nous n'avons pas créé de structures intermédiaires, ce qu'on appelle la « psychiatrie de secteur », pour prendre le relais. Des centres de jours par exemple, où les détenus vont prendre leurs medocs le matin et discuter avec les soignants.

Résultat ?



De nombreux malades sont mal soignés, sans traitement, et donc potentiellement dangereux. Ils vivent souvent dans la rue, se droguent et/ou boivent… Et finissent par se retrouver en prison. Ensuite, c'est un cercle vicieux. Le climat pénitentiaire exacerbe et aggrave ces maladies, alors que les prisons manquent cruellement de psychiatres. S'ils sortent, ils vont y retourner.


Pour moi, ces déficiences de la prise en charge psychiatrique en France expliquent en grande partie les 40% de récidive, ou les suicides en prison.

Quel est le rôle de la justice dans cette « surreprésentation » de malades ?



Nous devons nous interroger : pourquoi les condamne-t-on ? Il faut soigner avant de punir, et ne pas céder à la pression des victimes qui réclament un procès et des sanctions.


Mettons sur la table la question de l'expertise médicale : lorsqu'on admet que la personne n'était pas responsable de ses actes, elle peut tout de même se retrouver en prison ! Encore une spécificité française.

Quelles sont vos solutions pour une meilleure prise en charge ?



Il faut, avant tout, développer en amont la psychiatrie de secteur. C'est le meilleur moyen de désengorger les prisons. L'Italie est un modèle en la matière. Un vaste mouvement de psychiatrie hors les murs s'y est développé dans les années 60.


En aval, la généralisation des UHSA serait une bonne chose, pour les détenus qui souffrent des pathologies les plus lourdes. Et pour tous les autres, redonnons à la psychiatrie pénitentiaire ses lettres de noblesse, en augmentant les postes de psychiatres, très largement insuffisants dans les prisons.


La calamiteuse ouverture du premier "hôpital-prison" [3]
"Les malades mentaux sont plus souvent victimes que criminels" [4]
"Des soins psychiatriques insuffisants" sur LeProgrès.fr [5]


URL source: http://www.rue89.com/2010/05/21/un-quart-des-detenus-souffrent-de-maladies-psychiatriques-152081
Liens:
[1]http://www.romandie.com/infos/news2/100519085247.vrmlsk21.asp
[2] http://www.louisalbrand.org/media/rapportAlbrand.pdf
[3]http://www.rue89.com/2010/04/27/la-calamiteuse-ouverture-du-premier-hopital-prison-149093?page=0#comment-1468070
[4]http://www.rue89.com/marseille/2009/01/01/les-malades-mentaux-sont-plus-souvent-victimes-que-criminels?page=4
[5]http://www.leprogres.fr/fr/france-monde/article/3177277/Des-soins-psychiatriques-insuffisants.





Nous ne voulons plus de cette « Psychiatrie », clament depuis dix ans les usagers et les familles !
Par Guy Baillon
Édition : Contes de la folie ordinaire
Paris le 24 mai 2010

Il y a 10 ans les deux grandes Fédérations Nationales (Unafam et Fnapsy) réunies pour la première fois ont rendu public leur : LIVRE BLANC DE LA SANTE MENTALE comprenant un programme précis en 6 points ; il est toujours d’actualité, mais les professionnels de la psychiatrie et l’opinion l’ont ignoré ; par contre l’Etat a été attentif.

Depuis, elles ont obtenu une extension de l’accompagnement social des patients grâce à la loi 2005 (créant le handicap psychique pour soutenir les personnes présentant des troubles psychiques graves sans déficit intellectuel), mais elles n’ont pas obtenu de changement dans le domaine des soins : ceux-ci sont restés tels que ceux qui sont décrits actuellement dans les medias (voir les films de la 2 et Arte sur Ste Anne et Aulnay en mai), pendant que la majorité des psychiatres a continué de refuser de recevoir les familles, d’où la révolte des familles.

Les professionnels de la psychiatrie sont partagés sur les films décrivant la psychiatrie car ils peuvent témoigner que dans de nombreuses équipes les soins sont de qualité. Il n’en est pas moins vrai que pour de multiples raisons, que nous avons déjà évoquées, dans des régions entières, la situation de la psychiatrie se dégrade en France.

Les professionnels de la psychiatrie ont envie de réagir avec le collectif des 39 comme Bernard Durand, président de la Croix Marine dans son texte du 20 mai sur Médiapart : « Arrêtons la destruction de la psychiatrie. » parce que beaucoup de soignants sont engagés, souvent avec passion, là où ils travaillent. Cependant ces professionnels n’ont pas encore compris qu’ils n’ont pas une vision réelle de l’ensemble de la psychiatrie et de la santé mentale, ni de l’ensemble des besoins des patients et des familles ; de plus la plupart ne savent pas ce que vivent au quotidien, familles et usagers dans la société, d’où le fossé actuel entre tous ces partenaires.

En fait il est nécessaire de compléter le propos de notre collègue et d’affirmer : LA SITUATION ACTUELLE VIENT DU FAIT QUE LA VRAIE PSYCHIATRIE N’A TOUJOURS PAS ÉTÉ CONSTRUITE !
Ce qu’aucun d’entre nous, professionnels, n’a encore compris, c’est qu’aucune de nos équipes de soins n’est en situation de répondre à la totalité des besoins des personnes en situation de souffrance psychique grave. Dans le même temps chacun des acteurs a su faire une avancée considérable, mais partielle.

Examinons un instant le détail de ces avancées :
-la psychothérapie, axe central et constant de tout soin psychique, ne peut à elle seule répondre aux troubles psychiques graves (psychoses)
-les médicaments peuvent modifier angoisse, dépression, agitation, mais ne font rien sur les troubles relationnels et les délires qui leur échappent à peu près totalement,
-les traitements cognitivo-comportementalistes, et éducatifs ne viennent pas non plus à bout des souffrances psychiques profondes
-l’imagerie corporelle, la génétique, la chirurgie cérébrale ne sont qu’expérimentales et n’ont aucune conséquence concrètes sur les troubles relationnels qui malmènent au quotidien.
Enfin et surtout, la psychiatrie de secteur, elle non plus n’a pu répondre à l’ensemble des besoins. Pourquoi ? Parce qu’elle est l’occasion d’un quiproquo considérable : on a pu croire qu’une simple organisation administrative créant les 1130 équipes (générales et pour enfants) des 827 secteurs suffirait pour créer une méthode de soins originale de qualité satisfaisante.
Or il n’en est rien car la « politique de secteur » ne peut se réduire à une simple division du territoire en ‘secteurs’, cette politique c’est une ‘hypothèse de soins’ : les soins doivent s’appuyer sur les ressources psychiques et relationnelles du tissu social des secteurs concernés tout en appliquant les méthodes élaborées par la psychothérapie institutionnelle (mélange nuancé de psychothérapies individuelles et de psychothérapies de groupes). Et elle doit pour y arriver intégrer les apports partiels que nous venons d’évoquer (psychothérapies, médicaments, comportements). La dimension administrative du secteur n’a en elle-même aucun effet thérapeutique (même si la création d’intersecteurs pseudo-scientifiques a donné l’illusion que des modifications organisationnelles avaient des effets thérapeutiques).

EN RÉALITÉ AUCUN ENSEIGNEMENT OFFICIEL N’A ACCOMPAGNE LA MISE EN PLACE DE CETTE HYPOTHÈSE DE LA POLITIQUE DE SECTEUR.
Tout s’est passé comme s’il suffisait de mettre entre les mains de jeunes bacheliers sans expérience, des activités de haut niveau associant exigences techniques relationnelles et solidarités précises entre les acteurs, données qui ne peuvent être enseignées qu’au cours de l’expérience et qui ne sont jamais totalement acquises.

Aujourd’hui, il est temps de construire la politique de secteur en formant tous ses acteurs à la psychothérapie institutionnelle et à l’ensemble des compétences qui la composent : psychothérapie, pharmacologie, éducation, soins institutionnels, tout en établissant une continuité entre les soignants et les acteurs du champ social et médico-social, l’ensemble soutenu par une volonté d’établir cohésion et congruence entre tous les savoirs.

Une seule de ces théories, une seule de ces pratiques ne peuvent faire face à la multiplicité et la complexité des besoins des personnes ayant des troubles psychiques graves. Les différents acteurs de la psychiatrie doivent apprendre à être modestes et se sentir de ce fait absolument complémentaires des acteurs sociaux, tout en associant élus, familles et usagers.

Prenons garde, le traitement des troubles psychiques graves est une vraie complexité. Il est temps d’analyser la solution de facilité qu’est la proposition si violente du nouveau projet de loi et qui entraine un tel découragement dans les équipes de soin.
Nous avons tous étés bouleversés de constater qu’en l’absence de formation permanente les attitudes sadiques sont le quotidien du soin. Claude Finkelstein, présidente de la Fédération des usagers de la psychiatrie, nous confirme que cela existe partout depuis toujours et pas seulement en psychiatrie, mais aussi dans tous les espaces où sont rassemblées des personnes en situation de vulnérabilité (personnes âgées, enfants en difficulté, handicapés). Tous ceux qui ont exercé des responsabilités dans de tels espaces le savent : dès qu’une équipe est fortement malmenée pour diverses raisons, internes ou externes, ses membres cherchent d’abord à se protéger, et de ce fait perdent de vue leur mission, c’est sur ce constat que la psychothérapie institutionnelle s’est développée et a montré toute son efficacité.

Réfléchissons un instant à ce que veut faire la loi à la demande d’acteurs qui avaient de tout autres objectifs : Sarkozy était à la recherche d’une loi sécuritaire, les psychiatres voulaient un statut stable dans le service public, les familles et usagers voulaient que l’accès aux soins soit possible.

Personne n’a d’emblée dénoncé le fait que toute ‘obligation de soin’ en psychiatrie est en elle-même la première étape d’une démarche sadique ; certes ce sadisme peut être limité tant qu’il est contrôlé, mais un instant après ? Ainsi cette loi met les protagonistes en grand danger dès que le contrôle va se relâcher, il faudrait que les murs soient transparents pour que la société constate et sanctionne toute attitude sadique. L’administration elle-même n’étant pas thérapeutique, ne mobilise que cette dimension sadique, sauf lorsqu’elle est proche des patients, actrice au niveau même des acteurs de soin et des patients et lorsqu’elle les accompagne. Elle devient sadique (à son insu, bien sûr) dès qu’elle s’éloigne et veut régir de loin de nombreuses équipes ensemble, alors que chacune a à résoudre des problèmes différents ; elle en fait une moyenne donc elle sadise les liens parce qu’elle fait des moyennes, établit des règles applicables à tout le monde, elle standardise, alors que le soin psychique est une constante recherche d’adaptation à chaque personne, puisque le soin psychique est relationnel.
Mais surtout le soin psychique ne peut se déployer que dans une relation où chaque protagoniste se sent ‘libre’, chaque patient à partir de là devient lui-même acteur et décideur de ses actes, de ses soins. L’obligation de soins impose au contraire au patient à donner son accord pour être soumis, pour être manipulé, pour ne rien dire de ce qu’il pense et de ce qu’il ressent, car tout ce qu’il dira sera interprété comme obéissance ou désobéissance.

Il est temps que chacun des acteurs se ressaisisse. Il faut expliquer aux familles et aux usagers qu’ils ne peuvent rien espérer de ce système d’obligations de soins : le service de Sainte-Anne qui a été filmé fonctionne déjà sous ce modèle : nous y voyons l’obligation de soins associant médicaments et contention, sans psychothérapie individuelle ni institutionnelle ; cette attitude n’est pas due à un manque de moyens, c’est un des services les plus dotés de la capitale, simplement il fait l’économie de toute formation en psychothérapie institutionnelle.

Ce qu’il faut proposer est tout autre chose. Il est temps de prendre acte de tout ce qui a été acquis par les différents courants de la psychiatrie.

Le premier temps est la confiance mutuelle entre tous les acteurs
. La confiance est le point de départ de toutes étapes du soin psychique. Elle doit exister chez tous les acteurs s’appuyant sur ce premier constat qu’aucun d’entre eux à lui seul n’est capable de donner une réponse suffisante aux besoins d’une personne présentant des troubles psychiques graves.
La première étape est donc ‘LA CONSTRUCTION DE LA COMPLMENTARITE ENTRE TOUS LES ACTEURS DE LA SANTE MENTALE’  soutenue par la mise en place à l’échelle nationale d’un travail de formation immédiat et collectif, interactif entre tous les acteurs : l’emploi du temps de chacun doit prévoir l’échange autour de la connaissance des compétences des différents acteurs et autour de la façon dont on peut établir cette complémentarité.
Le cadre de la psychiatrie de secteur en reste la base, mais en lui-même il ne transmet rien, c’est dans ce cadre que la complémentarité des savoirs des pratiques et des compétences doit pouvoir se déployer en y associant familles et usagers.
Il n’y a aucune raison donc de continuer à se déprimer comme le remarque Éric Piel dans Libération du 24 mai : tous les ingrédients sont présents pour élaborer une des plus fortes psychiatries du monde si, loin de toute obligation et toute répression, tous ses acteurs reprennent en mains leurs capacités créatrices.

Guy Baillon, Psychiatre des hôpitaux



 

Confession d'un timide de Philippe Vilain

Qu'est-ce qui nous fait rougir à l'instant de parler en public, bafouiller devant la femme qui nous plaît, casser un verre au milieu d'un dîner, trébucher devant le supérieur à qui l'on vient demander une augmentation, qu'est-ce qui nous rend maladroit dans les situations qui requièrent le plus d'adresse ? La timidité est un drôle de défaut. Philippe Vilain le sait.


AuteurPhilippe Vilain
EditionGrasset
Année2010


Cette passion a envahi sa vie, pour le pire mais aussi pour le meilleur... Dans cette confession où il mêle les souvenirs et l'analyse, il aborde ce grand sujet par la philosophie, la littérature, et sa propre expérience. Ce nouveau mal du siècle est-il si dommageable qu'on le dit ? La timidité ne serait-elle pas un merveilleux malheur ?





La psychanalyse est-elle une addiction ?

Le dossier

La Revue Lacanienne n°5

À quoi tu te choutes ?
Charles Melman (Psychanalyste)

La psychanalyse est bien sûr une addiction grave, surtout dans les bons cas. Car elle est, comme chez les scientifiques sérieux, la passion du réel, en tant que toujours, il résiste au symbolique. Certes, il y a des psy pour pallier l’impossible avec des trucs généreux et bienveillants, humanitaires (comme si l’homme se définissait par l’attente d’un message), voire religieux.
Et puis il y a Lacan, dont la passion était légèrement différente. Car pour lui il ne s’agissait pas de se résigner ni de militer dans la “bienfaisance” mais de vérifier si le défaut de rapport sexuel relève de l’impossible ou bien de l’impuissance et pourrait donc céder avec l’invention qui permettrait de l’écrire.
À chacun des psychanalystes donc son objet d’addiction. Et c’est le choix de la drogue qui les divise en communautés.

Éd. par l'Association lacanienne internationale - 2009 - 17.00 €

vendredi 21 mai 2010





Est-il encore possible d'arrêter la destruction de la psychiatrie ?

20 Mai 2010 Par Les invités de Mediapart
Édition : Contes de la folie ordinaire

Bernard Durand, président de la Fédération d'aide à la santé mentale Croix Marine, réagit au reportage diffusé mardi soir sur France 2 dans l'émission «Les infiltrés», et tourné dans un service hospitalier de la région parisienne.

Le reportage sur un service de psychiatrie de la banlieue parisienne réalisé dans l'émission de France 2 «Les Infiltrés» suscite un malaise certain. Difficile pour un psychiatre qui a consacré sa vie professionnelle à rendre au malade mental sa dignité et à faire en sorte que l'asile de ses débuts soit définitivement révolu, d'être confronté à un tel document. Et que dire pour les patients eux-mêmes et leurs proches qui constatent qu'en 2010, on peut encore traiter un malade d'une manière aussi inhumaine, ce qui ne peut que les dissuader de recourir à la psychiatrie ?

Si le parti pris du journaliste infiltré était de dénoncer, ce qui constitue un biais certain pour rendre compte d'un quotidien – car je suis persuadé qu'il aurait pu filmer d'autres occurrences dans le même service qui auraient montré des gestes très différents, d'attention, voire de tendresse – il n'en reste pas moins que ce qui nous est montré là est inacceptable et intolérable. Mais avant de jeter la pierre à quiconque, il faut s'interroger ensemble sur le pourquoi de cette démission collective qui nous rend tous responsables de tels excès. Pourquoi la pathologie mentale, la folie reste-t-elle l'objet de tant de préjugés, de la part des médecins, des politiques ou de l'opinion publique façonnée par une presse et des écrans qui préfèrent l'émotion à l'analyse de la réalité ?

Devant un tel désastre, il est temps de rappeler un certain nombre d'évidences et d'ouvrir des perspectives.

La première évidence concerne l'objet même de la psychiatrie. Un des plus grands psychiatres du 20ème siècle, Henri Ey, disait que le malade mental était avant tout un homme entravé dans sa liberté, diminué dans l'exercice de son activité proprement humaine de coexistence par une désorganisation de son être et qu'il ne pouvait se réduire à l'image de l'aliéné. C'était affirmer qu'une approche de la folie construite sur des références strictement médicales ne suffit pas : il est indispensable de prendre en compte une dimension anthropologique qui manque cruellement, lorsque le savoir psychiatrique devient de plus en plus celui des molécules susceptibles d'éradiquer ce que le DSM (1) appelle «des troubles», définis selon de soi-disant normes.

La psychiatrie n'est pas une science, mais une forme d'exercice de la médecine qui doit s'appuyer sur de nombreuses références, médicales, neurologiques, génétiques et si les avancées des neurosciences permettent de mieux comprendre certains aspects de la vie mentale qui déboucheront tôt ou tard sur des traitements plus efficaces et peut-être mieux tolérés, vouloir réduire le psychisme au cerveau, ce que ne font pas les neurobiologistes eux-mêmes, constitue une erreur dramatique et aussi ridicule que d'aborder un tableau de Léonard de Vinci ou de Van Gogh en ne considérant que le type de pigments utilisés. Les sciences humaines, psychologiques et sociales sont tout aussi nécessaires et l'on commence à voir la régression humaine qu'implique un modèle où l'homme, réduit à son comportement, devient objet d'observation qu'il s'agit d'objectiver et de classer afin de réduire son trouble, sans même prendre le temps d'écouter sa souffrance et de comprendre le contexte dans lequel celle-ci est devenue manifeste.

La seconde évidence est qu'en psychiatrie le plateau technique, comme l'on dit dans les hôpitaux, est constitué avant tout d'individus, qu'ils soient médecins, infirmiers, psychologues, rééducateurs. Le soin psychique implique de prendre en compte la question du sujet et ne peut faire l'économie de la rencontre intersubjective. On ne progressera dans la qualité des soins en psychiatrie que par l'octroi des moyens humains nécessaires, cela doit être répété, et de ce point de vue, on doit accepter qu'il s'agisse d'une discipline coûteuse, comme les disciplines médicales les plus pointues le sont par ailleurs, du fait de matériels sophistiqués.

Mais le nombre ne suffit pas. Encore faut-il que l'on dispose de personnels correctement formés: cela est vrai pour les psychiatres qui ont tout autant besoin de connaissances médicales confirmées que d'une formation en sciences humaines et sociales, cela est également vrai pour les personnels infirmiers qui sont mis en face de malades dont on a à peine évoqué l'existence durant leur cursus de formation. Il faut des mois et des années pour savoir repérer des signes d'angoisse de dépersonnalisation, trouver les gestes qui enserrent et rassurent, disposer des mots qui soulagent cette angoisse. Aujourd'hui, cette clinique de la relation au quotidien n'est plus le fait que de certains vieux infirmiers qui partent tous à la retraite sans que leur soient donnés les moyens de la transmission. Les professionnels récemment formés sont démunis et vivent dans la crainte d'une violence qu'ils redoutent, leur propre inquiétude n'ayant pour effet que de faciliter la montée de l'angoisse chez les patients qui prélude aux réactions agressives et violentes. Ce véritable cercle vicieux conduit au fait que l'on n'a jamais autant utilisé les prescriptions de contention et les chambres d'isolement qu'aujourd'hui.

Il y a urgence à reconsidérer la formation des soignants de la psychiatrie: en chirurgie, on ne met pas dans les salles d'opération des infirmiers fraîchement émoulus de l'école, mais on exige d'eux une formation spécialisée supplémentaire; il est indispensable de l'exiger de ceux qui travaillent dans la pathologie du lien humain.

La formation permanente aurait pu répondre pour une part à ces besoins mais faute de remplaçants, les directions des soins des établissements refusent souvent les formations demandées. Et, osons le dire, les crédits de formation sont utilisés de manière prioritaire pour ce qu'on appelle la «démarche qualité», afin d'être conforme lors des visites de certification de la HAS (2). Cette démarche qualité, qui n'a plus aujourd'hui pour objectif que de tendre vers le risque zéro, est malheureusement devenue une caricature qui produit en fait conformisme, déresponsabilisation et désinvestissement professionnel. L'ensemble des procédures obligées et des protocoles consomment des tonnes de papiers et des centaines d'heures de soignants qui sont de plus en plus immobilisés devant des écrans à rendre compte de ce qu'ils sont censés faire, à défaut d'avoir le temps de le faire.

La sécurité est indispensable en psychiatrie, non pas simplement la seule sécurité opposée à une menace potentielle comme la ressentent de plus en plus de jeunes soignants, mais la sécurité interne que donne le fait de travailler dans de vraies équipes où l'on peut échanger à la fois sur les patients et le vécu des équipes face aux réactions suscitées par la pathologie mentale, une vraie sécurité qui permet de prendre le risque d'une relation à l'autre si différent et pourtant si proche si l'on prend le temps de l'écouter.

Une autre évidence à considérer en psychiatrie, c'est que si le temps de l'hospitalisation doit être aussi limité que possible, il ne peut se calquer, là aussi, sur le temps de la médecine somatique. Une des conditions pour que les soins soient opérants est qu'une relation de confiance se construise avec le patient, en particulier lorsqu'il s'agit de quelqu'un réputé schizophrène. L'alliance thérapeutique demande du temps, de la disponibilité et de la constance et ne vient qu'après le temps du déni initial et de l'ambivalence qui conduit à tenter d'interrompre les soins à peine engagés, et ce d'autant plus qu'une relation de confiance et des liens transférentiels ne sont pas encore vraiment solides.

Il n'est pas acceptable de faire sortir des patients dont on sait que le temps des soins ambulatoires n'est pas encore de mise, simplement parce qu'il y a «plus malade» que lui à admettre dans le service. Cela conduit au mieux à des hospitalisations répétées, au pire à des tragédies qui viendront nourrir la quête obsessionnelle de la sécurité. Et la semaine suivante, lorsque ce patient reviendra, il s'agira administrativement d'une autre hospitalisation: les gestionnaires seront contents et l'on pourra proclamer partout que la durée moyenne de séjour a diminué en psychiatrie (les belles économies!) et qu'il y a de plus en plus de patients suivis.

Le reportage de France 2 met dramatiquement en évidence l'absence de prise en compte de la dimension institutionnelle dans le travail de prise en charge des patients. Nos aînés, avant même l'apparition des neuroleptiques, avaient compris que l'on pouvait changer l'ambiance dans l'asile de l'époque, en utilisant les ressources collectives des soignants et des patients eux-mêmes, grâce à l'organisation d'activités et d'espaces de parole partagés. Aujourd'hui, c'est le Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui dénonce le fait que les patients sont confrontés à l'ennui du fait de l'insuffisance des activités proposées et qu'ils n'ont d'autre opportunité que de rester, des journées entières, passifs devant la télévision. Ce travail d'animation et d'attention aux petites choses du quotidien était constitutif de la démarche thérapeutique: on parlait alors de psychothérapie institutionnelle, dimension essentielle sur laquelle la plupart des universitaires de psychiatrie ont fait l'impasse, au bénéfice de protocoles standardisés qui permettent de limiter au maximum le travail de pensée et la confrontation à la réalité clinique.

Enfin, il faut rappeler que le temps d'hospitalisation ne prend son sens que par rapport à un projet de soins qui s'inscrit dans une continuité de prise en charge. La France avait construit un dispositif qui a été longtemps considéré comme un modèle à l'étranger: celui-ci organisait la proximité et la continuité des soins sur un territoire à dimension humaine appelé secteur. Certes, cette politique de sectorisation a été inégalement mise en œuvre et a souvent pâti de la culture des soignants issus de l'asile, qui avaient une propension à vouloir tout gérer de la vie des patients. Cela a conduit les équipes de secteur à ignorer trop souvent les autres acteurs présents dans la cité, au premier chef les familles, mises fréquemment à l'écart, les médecins généralistes, les travailleurs sociaux, les acteurs associatifs.

Il est nécessaire de repenser cette pratique de secteur à l'aune des nouveaux territoires de santé prévus dans la loi HPST (3) et de la loi de février 2005 qui a reconnu que les personnes présentant des troubles psychiques au long cours avaient également le droit de bénéficier des compensations que notre société reconnaît aux personnes en situation de handicap. Cette dernière a permis des avancées comme cette innovation fantastique des groupes d'entraide mutuelle (GEM) qui sont des espaces d'accueil et de construction de liens sociaux, gérés par les usagers eux-mêmes en dehors du regard des soignants (ce dont doutent encore certains d'entre eux).

Le «plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008» avait commencé à décloisonner la psychiatrie et le dispositif médico-social, trop souvent ignoré, voire disqualifié par les tenants d'une psychiatrie exclusive. Nous attendions une grande loi d'orientation permettant de fixer des grands objectifs pour la psychiatrie et ses partenaires dans le contexte de restructuration de l'ensemble de la santé lié à la loi HPST. Le rapport confié à Edouard Couty, ancien directeur de l'Hospitalisation et de l'Organisation des soins au ministère de la santé, pouvait constituer, malgré certaines ambiguÏtés et maladresses, une base de départ sur laquelle élaborer une telle loi.

Or, que voyons-nous depuis dix-huit mois ? La mise en œuvre du discours du Président de la République à Antony qui, à partir d'événements dramatiques, a produit un amalgame entre un petit nombre de personnes effectivement dangereuses et les 600.000 patients soignés pour schizophrénie dans notre pays, dont un grand nombre est en situation de fragilité croissante. Ils sont de fait encore plus stigmatisés et leur accueil dans les hôpitaux se ressent des grillages et des murs que l'on a renforcés, des portes que l'on a refermées, des procédures de contention que l'on a généralisées. Est-ce vraiment cela que veut notre société pour ces centaines de milliers de patients qui sont aussi nos semblables, souvent les plus vulnérables et les plus démunis d'entre nous?

Il n'est question pour l'instant que de la réforme de la loi de 1990 sur l'internement. On veut remplacer l'hospitalisation sous contrainte par la notion d'obligation de soins, y compris en ambulatoire. Si une telle proposition peut paraître de prime abord séduisante, voire progressiste, on n'a pas suffisamment perçu les effets pervers qui risquent d'en résulter dans une société dont on ne cesse d'instrumentaliser la peur. Nous pointions plus haut qu'il fallait du temps pour construire le lien de confiance indispensable aux soins. Or, si les mouvements négatifs du patient se traduisent par un signalement du psychiatre aux autorités qui pourront exiger du patient qu'il se soigne, nous ne sommes plus dans une logique de soins, mais dans celle d'un contrôle social et la place même des soignants s'en trouve radicalement interrogée. On peut comprendre que les représentants des familles, qui ne souhaitent pas que leur proche puisse être traité comme nous l'a montré ce reportage, envisagent favorablement ces soins sous contrainte en ambulatoire. Mais ils n'ont pas pris la mesure des effets pervers qui risquent d'en résulter et comment le temps essentiel dans l'engagement des soins n'est pas la contrainte (même si l'on ne peut parfois l'éviter), mais la possibilité de permettre une rencontre entre celui qui est consumé par le désespoir, la perte de son identité ou la peur des autres et un soignant capable de l'écouter dans son malheur.

Sommes-nous encore capable de comprendre que le sort que nous réservons à ceux que l'on appelait naguère aliénés est le reflet de notre malaise social et que la violence dont nous avons eu un écho dans ce film est en fait l'affaire du groupe social tout entier ? Aujourd'hui, heureusement, les usagers ont pris la parole et c'est avec eux que nous devons refuser cette régression. Comme le disait Georges Daumézon, qui fut après guerre un des pionniers de la révolution psychiatrique que nous sommes hélas en train de liquider, le médecin peut combattre la maladie, seule la société peut combattre l'aliénation.

(1) Diagnostic and Statistical Manual, classification nosographique nord-américaine fondée sur la description des symptômes et des comportements.
(2) Haute Autorité de Santé.
(3) Hôpital, Patients, Santé et Territoires.







A Lyon, la psychiatrie derrière des barreaux neufs
21/05/2010

PSYCHIATRIE - Michèle Alliot-Marie et Roselyne Bachelot, ministres de la Justice et de la Santé, doivent inaugurer cet après-midi à Lyon le premier hôpital psychiatrique pour détenus. Une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) ouverte depuis mardi et qui accueillera à terme 60 malades. Elle est baptisée «unité Simone Veil», en hommage au rôle joué par l’ancienne ministre des Affaires sociales et de la Santé d’Edouard Balladur dans l’amélioration des soins carcéraux. Mais l’académicienne a reçu cette semaine une lettre ouverte (1) de médecins, d’infirmiers et de syndicalistes inquiets de cette ouverture. En août 2007, Nicolas Sarkozy avait présenté la future UHSA de Lyon comme un «hôpital fermé pour pédophiles». Par la suite, les responsables du programme avaient ramé pour rattraper le coup, rassurer sur un projet qui n’a rien à voir avec ce qu’annonçait le Président. Des psychiatres continuent, cependant, de s’inquiéter de la qualité de soins possibles dans un tel établissement. Explications sur ce nouvel «hôpital-prison»...

Une structure pour qui ?

Construite dans le parc du Vinatier, vaste et passionnant hôpital psychiatrique lyonnais, l’UHSA accueillera des détenus, prévenus ou condamnés. Les indications restent assez ouvertes, mais le public devrait être essentiellement constitué de psychotiques, de détenus en état de dépression majeure ou souffrant de graves troubles de la personnalité. Les responsables n’excluent pas d’accueillir aussi, le temps d’un diagnostic, des détenus concernés par la rétention de sûreté, prévue pour les personnes lourdement condamnée (quinze ans de détention ou plus) et qui présentent, en fin de peine, de sérieux risques de récidive.

A l’UHSA, certains malades seront soignés avec leur consentement, d’autres hospitalisés d’office. Jusqu’à présent, note Pierre Lamothe, psychiatre et responsable du pôle «santé mentale des détenus et psychiatrie légale» dont dépend l’UHSA, «seuls les détenus dangereux pouvaient être hospitalisés, en raison du risque qu’ils représentaient». Les autres se contentaient de soins ambulatoires en détention, ou bien étaient placés - sur décision du directeur de la prison - dans l’un des 26 services médico-psychiatriques régionaux (SMPR) français, pour des soins de jour seulement. Désormais, les médecins pourront prescrire l’hospitalisation à l’UHSA lorsqu’un détenu «est en souffrance, même s’il ne constitue pas un danger en détention».

Avec quels moyens ?

Le coût annuel de l’UHSA serait de 7 millions d’euros pour la seule partie santé. En terme de coûts journaliers, on s’approche du prix quotidien d'un lit de réanimation. «Mais le coût de l’abandon de gens inanimés socialement et psychiquement est beaucoup plus élevé», évacue Pierre Lamothe. Son UHSA comptera trois unités de 20 lits. Seule la première, prévue pour les patients en décompensation aiguë, a ouvert mardi, avec deux psychiatres et une vingtaine d’infirmiers, aides-soignants et agents de service hospitalier. L’idée est d’avoir toujours trois personnes présentes au moment d’ouvrir une porte, en raison de la difficulté à maîtriser certains malades. A terme, l’UHSA comptera environ une centaine de soignants, dont 5 psychiatres. Une prime de 234 euros brut avait été promise à l’embauche, puis ramenée à 117 euros. Une partie du personnel est donc en grève depuis mardi et des réquisitions ont été prononcées pour faire tourner l’UHSA.

Hôpital ou prison ?


Officiellement, il s’agit d’une «structure médicale avec une sécurité périphérique». Mais lorsqu’on s’en approche, au fond du parc du Vinatier, cela ressemble furieusement à une prison. Des murs de six mètres de haut renforcés de barbelés, de douves. Un poste de garde aux vitres blindées. A l’intérieur de l'UHSA, une cinquantaine de surveillants de l’administration pénitentiaire assurent la sécurité, la gestion du greffe, des parloirs. Passée une grille et une zone "neutre" à l’intérieur, détenus et soignants sont en «territoire hospitalier». Où l’architecture et les couleurs rappellent assez les dernières prisons livrées à l’administration pénitentiaire. Simplement, les cellules s’appellent chambres, et le plateau de soin est assez complet. Les couloirs, en revanche, sont contrôlés par des caméras de surveillance, et les portes s’ouvrent à distance, depuis le poste de contrôle centralisé.

Certains médecins s’inquiètent de la «qualité de la relation» entre malades et soignants dans cet univers. Parmi eux, quelques-uns dénoncent le retour des«gardiens de fous». Un «contresens romantique», estime Pierre Lamothe, qui pense que «la réalité de l’UHSA pèsera sur les soignants» mais constituera «une bouffée d’oxygène pour les malades». Emmanuel Venet, psychiatre du Vinatier, est plutôt d’accord. Il ajoute que jusqu’à présent, lorsque les détenus étaient hospitalisés d’office, il y avait une levée d’écrou. Le compteur de leur peine s’arrêtait. A l’UHSA, ils restent placés sous écrou.

À l’intérieur, qui fait quoi ?


Officiellement, les surveillants ne s’occupent que du transport et de la garde de l’enceinte. Ses agents ne peuvent intervenir à l’intérieur qu’à la demande du personnel médical, en cas de danger. Mais un décret signé la semaine dernière ajoute qu’ils peuvent fouiller les chambres des malades, les lieux de soin. «Les deux professions n’ont pas la même culture, pas le même statut, pas les mêmes objectifs, pointe Philippe, infirmier psychiatrique au Vinatier. Elles subiront des injonctions paradoxales qui se traduiront par une confusion entre celui qui soigne et celui qui garde.»

Gilbert Rémont, éducateur et membre du conseil de surveillance du Vinatier, redoute que cela crée «des failles dans lesquelles pourront s’engouffrer les personnes psychotiques». Mais le psychiatre Emmanuel Venet relativise : «Ce sont des logiques professionnelles difficiles à faire converger, mais cela reste possible», dit-il. Il déplore plutôt que l’on «s’acclimate à l’idée de travailler en psychiatrie dans une structure où il y a des hommes en arme», et regrette le choix d’installer l’établissement au sein du Vinatier : «Cela renforce l’image d’une psychiatrie à qui l’on confie de plus en plus un rôle sécuritaire, un contrôle social, une contention de la violence

De l'hôpital à la prison, et retour

L’ouverture de l’UHSA pourrait se traduire par une nouvelle répartition des ressources, une érosion progressive des moyens à destination des autres services du complexe hospitalier. Cela accentuerait une tendance lourde : sur les 2 000 lits que comptait le Vinatier en 1970, il en reste 600. L’attente s’allonge pour une première consultation, ou pour la première visite après une hospitalisation. Le phénomène est national. Le nombre de lits a été divisé par cinq en psychiatrie depuis 1966. Or, «on n’a sans doute pas guéri pendant ce temps le 4/5e de nos malades», grince Pierre Lamothe. «Comme on ne soigne plus nos fous, prolonge Gilbert Rémont, membre du conseil de surveillance du Vinatier, une partie d’entre eux se retrouve en comparution immédiate, puis en prison, qui devient le plus grand asile de France.» D’une source à l’autre le nombre de détenus souffrant de troubles psychiatriques oscille entre 20 et 30%. Dans ce contexte, l’UHSA devient un progrès. «Un outil adapté à la réalité,soupire un psychologue. Mais la réalité est devenue désastreuse.»

Olivier BERTRAND
(1)  Téléchargement Lettre à Madame Veil




Un hôpital pour détenus, ça ressemble à quoi au juste?
le 21.05.10

SANTE - La première Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de France axe ses soins autour du bien-être du détenu. Avec balnéothérapie médicalisée et ateliers de cuisine...

De l’extérieur, l’imposant bâtiment de béton a tout d’une prison. Seul l’inox poli installé au dessus de l’entrée, égaye un peu les murs. Derrière les vitres sont postés des agents de l’administration pénitentiaire.

La première Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) destinée à accueillir les détenus ayant d’importants troubles psychiatriques a été inaugurée ce vendredi après-midi à Bron, sur le site de l’hôpital psychiatrique du Vinatier. L’occasion pour 20minutes.fr de visiter les lieux, construits un peu à l’écart du reste.

>> A lire, les détails de l'inauguration par ici.

A l’extérieur les matons, à l’intérieur les médecins

Une fois les parloirs dépassés et quelques portes ultrasécurisées franchies, le lieu ressemble davantage à un hôpital avec ses couloirs couleur beige et son «plateau de soins». Les chambres sont sobres, équipées d’une télévision placée en hauteur derrière une vitre, d’un petit bureau et d’un coin salle de bains entièrement carrelé. Certaines chambres ont vu sur une cour intérieure où ont été installés une table de ping-pong, un terrain synthétique, un panier de basket et quelques fleurs.

C’est le concept de l’UHSA. Les détenus sont pris en charge à leur arrivée et sortie par des agents de l’administration pénitentiaire. Mais une fois à l’intérieur, ils sont entièrement encadrés par des médecins, infirmiers et aides-soignants. Les surveillants sont à leur disposition si besoin.

Huit détenus déjà hospitalisés


Depuis la mise en service de cet hôpital-prison mardi, huit détenus de la maison d’arrêt de Corbas sont arrivés. «Tout s’est bien passé», relate le personnel. A terme, soixante personnes qui présente des pathologies de dépression à tendance suicidaire ou des troubles psychiatriques pourront être soignées dans cet établissement.

«Auparavant, seuls les détenus dangereux pouvaient être pris en charge, explique Pierre Lamothe, psychiatre et responsable du pôle «santé mentale des détenus et psychiatrie légale». Avec l’UHSA, nous accueillons ceux qui sont aussi en grande souffrance et ceux qui demandent à être soignés. C’est une grande avancée.»

Le personnel en grève mais présent quand même

Pour soigner les patients, l’UHSA propose de nombreuses activités 24h/24 centrées autour du corps, comme la balnéothérapie, des ateliers de cuisine et du sport. «Les détenus malades parlent difficilement. Il faut donc que la personne prenne soin d’elle et retrouve confiance en elle», souligne Eve Becache, médecin psychiatre.

Le personnel soignant, qui mène un mouvement de grève pour ne pas avoir à effectuer des taches sécuritaires comme les fouilles, avait été réquisitionné. Tous avaient donc un discours très formaté. « Nous prenons nos marques, confiait Abdel, infirmier. Nous sommes à l’écoute des patients.»

Pierre Lamothe assure que la contestation s’éteindra «d’elle-même». Et il balaye les arguments des grévistes qui pointent du doigt la confusion entre les soins et la sécurité. «Le risque est beaucoup plus grand dehors quand une infirmière est seule face à un patient dangereux. A l’UHSA, le personnel travaille en équipe.»

A Lyon, C.B.



La France stigmatise les malades mentaux

Traitement sécuritaire de la folie


La castration physique pour un violeur ? Pourquoi pas, a répondu la ministre de la justice Michèle Alliot-Marie, lors d’un débat parlementaire. Cette conception antique du droit (œil pour œil, dent pour dent) rejoint, dans un autre domaine, celle de la psychiatrie ramenée, au fil des réformes, plusieurs décennies en arrière. Les changements entrepris par M. Nicolas Sarkozy font de tout malade mental un individu dangereux dont la société doit se protéger — et non un être humain qui doit être soigné.

Par Patrick Coupechoux

Le jour du 2 décembre 2008 pourrait faire date dans l’histoire de la psychiatrie française. Non parce que ce jour-là, pour la première fois, un président de la République en exercice s’est rendu dans un hôpital psychiatrique — celui d’Antony, en région parisienne —, mais en raison de la teneur du discours de M. Nicolas Sarkozy. Jamais probablement, depuis la Libération, le plus haut personnage de l’Etat n’avait à ce point stigmatisé la maladie mentale. Pour lui, aucun doute : les fous sont avant tout dangereux. Pour s’en convaincre, il suffit de l’écouter. Par exemple : « Votre travail comporte de grandes satisfactions (...). Mais il y a aussi l’agressivité [c’est nous qui soulignons], la violence, les réadmissions fréquentes de tous ces patients dont vous vous demandez si la place est bien ici [sic]. » Mais aussi : « L’espérance, parfois ténue,d’un retour à la vie normale (...), ne peut pas primer en toutes circonstances sur la protection de nos concitoyens. » Ou encore : « Je comprends parfaitement que le malade est une personne dans toute sa dignité. (...) Des malades en prison, c’est un scandale. Mais des gens dangereux dans la rue, c’est un scandale aussi. » Il faut noter, pour goûter pleinement la saveur de tels propos, que tous les experts s’accordent aujourd’hui pour dire qu’en France 30 % des sans-domicile fixe (SDF) sont des psychotiques, c’est-à-dire d’authentiques malades mentaux qui ont été abandonnés et qui meurent sur les trottoirs de nos villes.

Le président précise encore sa pensée : « Il va falloir faire évoluer une partie de l’hôpital psychiatrique pour tenir compte de cette trilogie : la prison, la rue, l’hôpital, et trouver le bon équilibre et le bon compromis. »
C’est donc clair : il faut banaliser l’horreur — des fous dans la rue ou en prison — et considérer que la maladie mentale, aujourd’hui, représente avant tout un problème sécuritaire. Ainsi les fous, après les pédophiles et les terroristes, sont-ils livrés à la vindicte d’une population effrayée. Faut-il rappeler quelques évidences ? D’abord, si l’on compare les statistiques, les fous commettent moins de crimes que la population générale (1). Ensuite, lorsqu’il y a crime ou délit, c’est bien souvent parce qu’il y a eu rupture de soin. La psychiatrie n’a donc pas besoin de vigiles, mais de soignants compétents. Enfin, les malades mentaux sont victimes de l’indifférence, de la stigmatisation, de la violence, de l’abandon, et ils ont une espérance de vie plus courte que les gens « normaux ». M. Sarkozy a ce talent de transformer des victimes en coupables désignés...

Forces de l’ordre et infirmières

Son discours a d’ailleurs été prononcé quelques jours après le meurtre d’un jeune homme par un schizophrène à Grenoble. En bon communicant, le président surfe sur l’émotion pour faire admettre sa politique. Car la visite à Antony a été pour lui l’occasion de présenter toute une série de mesures. Il a ainsi annoncé la mise en œuvre d’un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatrique auquel l’Etat va consacrer 30 millions d’euros. « Il s’agira, explique-t-il, de mieux contrôler les entrées et les sorties des établissements, de prévenir les fugues. » Des dispositifs de géolocalisation vont être appliqués aux patients hospitalisés sans leur consentement, afin de déclencher automatiquement une alerte au cas où ils s’enfuiraient. Des unités fermées, équipées de caméras de surveillance, seront installées « dans chaque établissement qui le nécessite » ; deux cents chambres d’isolement seront également aménagées. L’Etat va enfin investir 40 millions d’euros pour la création de quatre unités pour malades difficiles (UMD), c’est-à-dire des lieux fermés, venant s’ajouter aux cinq existant aujourd’hui.

Le président a également annoncé la présentation prochaine d’un projet de loi sur l’hospitalisation d’office. Au passage, il cite un chiffre faux : les placements d’office représenteraient 13 % des hospitalisations ; en fait, il s’agit des hospitalisations sans consentement du patient, la plupart du temps des HDT (hospitalisations à la demande d’un tiers, en général la famille). Les hospitalisations d’office (HO), décidées par la préfecture, qui interviennent lorsque l’ordre public est menacé — ce qui n’est tout de même pas identique —, ne représentaient, selon une circulaire d’avril 2008 du ministère de la santé, que 2 % des hospitalisations ; c’est sans doute trop peu pour M. Sarkozy. Celui-ci demande expressément que figure dans cette loi une obligation de soin. Cette mesure touche à une liberté fondamentale : on imagine les équipes infirmières, accompagnées des forces de l’ordre, venir faire une injection à un malade récalcitrant... Le soin suppose la confiance du patient ; sans quoi, comme le souligne le psychiatre Guy Baillon, tout pousse celui-ci « à comprendre que la société qui l’entoure lui est hostile (2) ». M. Sarkozy avoue connaître le principe : nul ne peut être soigné sans son consentement ; « encore faut-il, précise-t-il, que ce consentement soit lucide ». Comme les fous — citoyens de seconde zone — ne le sont pas, il envoie le principe au diable...

Les sorties des patients seront désormais encadrées et soumises à trois avis : celui du psychiatre et du cadre infirmier qui suivent le malade, et celui d’un psychiatre extérieur. Mais ils ne seront là que pour donner un avis : le préfet en personne prendra la décision. Pourquoi ? Parce qu’il est le « représentant de l’Etat », répond M. Sarkozy. On ne saurait mieux dire que les aspects sécuritaires seront désormais les seuls pris en compte. Dès lors, on ne considère plus les psychiatres que comme des experts à qui l’on demande une opinion que l’on n’est pas tenu de suivre. Les décisionnaires sont, dans le domaine public, le préfet, et, à l’hôpital, le directeur-manager, qui devra devenir le « vrai patron », celui qui« prend les décisions ». Inutile de préciser que ces « managers » ne connaissent rien à la maladie mentale. Ils ne sont là que pour gérer — rechercher les économies, imposer d’absurdes systèmes d’évaluation —, faire respecter l’ordre et garantir la sécurité. Enfin, M. Sarkozy revient à une idée qu’il avait déjà exprimée lorsqu’il était ministre de l’intérieur (3) : celle de créer un fichier national des patients hospitalisés d’office.

Ce discours a suscité une levée de boucliers parmi les soignants. En quelques semaines, une pétition, intitulée « La nuit sécuritaire », a été signée par plus de vingt mille d’entre eux ; le 7 février 2009, à Montreuil, en banlieue parisienne, un meeting a réuni près de deux mille personnes. Du jamais-vu.

Les propos d’Antony n’ont pourtant pas éclaté comme un coup de tonnerre dans un ciel serein : ils ne sont que la brutale accélération d’un processus à l’œuvre depuis vingt-cinq ans. Pour mieux le comprendre, il faut s’attarder quelques instants sur ce qui s’est passé en France depuis la Libération. Au sein de la Résistance est né le mouvement « désaliéniste », qui a voulu en finir avec l’asile dans lequel on enfermait les gens, parfois leur vie durant ; un mouvement qui a réaffirmé avec force une idée déjà exprimée au temps de la Révolution française par Philippe Pinel, le fondateur de la psychiatrie française : celle de l’humanité de la folie (4). En d’autres termes, si les fous sont des êtres humains, il faut leur permettre de vivre parmi les hommes, tels qu’ils sont, y compris en affirmant leur droit à la folie. Mais il ne suffit pas, pour cela, de faire tomber les murs de l’asile — la folie fait peur, et les fous peuvent être laissés à l’abandon, on le voit aujourd’hui ; il faut organiser ce retour « à la cité ».

Les tenants de la psychothérapie institutionnelle et du secteur (5) — qui ont été les principaux acteurs de cette révolution — ont ainsi inventé une nouvelle psychiatrie, avec une redéfinition du rôle du psychiatre, non plus « personnage médical (6) », mais « animateur de pointe (7) » d’une équipe chargée de faire le lien entre les patients et la société.« Nous allons utiliser le potentiel soignant du peuple », disait Lucien Bonnafé, l’un de ces psychiatres de la Libération (8). Ils ont redéfini le statut de soignant : tout le monde peut l’être, y compris les autres patients. Cela suppose la fin du rôle central de l’hôpital, et surtout la continuité des soins ; autrement dit, l’équipe doit s’occuper du patient en permanence, c’est-à-dire nouer le lien avec lui et le maintenir, dans et hors de l’hôpital, durant toute sa vie. Et tout cela doit être organisé sur un secteur géographique : « Comme il y a une école publique dans chaque quartier, disait Jean Ayme, l’un des animateurs de ce mouvement, il y a une équipe médico-sociale par secteur (9). »

Une vision scientiste dominante

Il faut le dire avec force : cette psychiatrie, fondée sur la prise en compte du sujet, fonctionne et fait tous les jours ses preuves, même si elle doit sans cesse être interrogée et réinventée. La « crise » actuelle vient de l’impossibilité que l’on fait à cette psychiatrie-là d’exister. C’est avec elle que M. Sarkozy, comme ses prédécesseurs, veut en finir. D’abord parce que, dans l’esprit du néolibéralisme dominant, la folie est quelque chose qu’il faut neutraliser — c’est le sens des mesures proposées — et gérer, au coût le plus bas possible : les dépenses en psychiatrie sont, dans cet esprit, des dépenses inutiles faites pour des gens inutiles. D’où la rage des évaluations (10), des certifications en tout genre, les tarifications à l’acte, que l’on impose de plus en plus aux soignants. Ensuite, parce que le système a d’autres priorités, en particulier celle de faire face au phénomène massif de la souffrance psychique. Pour que le psychiatre accepte de s’occuper de la mère de famille déprimée ou du cadre suicidaire, il a fallu en finir avec la folie, qui est aujourd’hui niée, et passer de la « psychiatrie à la santé mentale ». Le psychotique est désormais sur le même plan que le névrosé ordinaire.

Enfin, nous assistons au triomphe de la raison froide et calculatrice ; pas la raison des philosophes, mais celle des comptables et des technocrates. Le fou n’est plus un sujet unique avec qui il faut nouer une vraie relation, mais un cerveau malade qu’il faut « scanner », un patrimoine génétique qu’il faut décrypter, une succession de troubles du comportement et une série de symptômes qu’il faut éradiquer pour revenir au plus vite à la norme. Cette vision scientiste, qui s’exprime notamment dans la biopsychiatrie dominante, permet aujourd’hui l’exclusion. A quoi bon, en effet, dépenser de l’argent pour des gens alors qu’on se dit que c’est en pure perte ? La science se chargera un jour de régler le problème ; en attendant, il y a les médicaments qui anesthésient — ce qui ravit l’industrie pharmaceutique — et les thérapies comportementales qui redressent...

La folie n’a donc plus sa place dans notre monde, elle qui pourtant nous montre que la vie ne se résume pas aux chiffres et aux courbes, elle qui nous enseigne que les relations entre les hommes ne peuvent être uniquement contractuelles. Elle qui s’oppose, par la force des choses, à une conception de l’individu considéré comme un « homme économique » ou un « homme du marché », comme on voudra, consommateur et producteur, capable de s’adapter à un environnement instable, engagé non dans une relation humaine, mais dans des « transactions », jusque dans sa vie intime. « Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, disait François Tosquelles, c’est l’homme même qui disparaît (11). »

Patrick Coupechoux. Journaliste.

(1) Selon Jean-Louis Senon, enseignant en criminologie, seulement 2 à 5 % des auteurs d’homicides et 1 à 4 % des auteurs d’actes de violence sexuelle sont atteints de troubles mentaux. Les malades mentaux sont dix-sept fois plus souvent victimes de crimes et de délits que le reste de la population (audition, le 16 janvier 2008, devant la commission sénatoriale chargée d’étudier le projet de loi relatif à la rétention de sûreté).

(2) Lettre ouverte dans le cadre du mouvement La nuit sécuritaire : www.collectifpsychiatrie.frhttp://www.collectifpsychiatrie.fr/

(3) Lire « Même la folie a cessé d’être innocente », Le Monde diplomatique, juillet 2006.

(4) Pour Pinel subsistait en chaque fou une part de raison, d’où la possibilité, en s’adressant à celle-ci, de le soigner.

(5) Les deux courants désaliénistes sont nés dans la Résistance. Le premier, animé par François Tosquelles, insiste sur le fait qu’il faut« soigner l’institution » pour soigner le patient ; le second, animé par Lucien Bonnafé, imagine une organisation de la psychiatrie par quartier ou par « secteur ».

(6) Cf. Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Plon, Paris, 1961.

(7) Lucien Bonnafé, « Le personnage du psychiatre », dans Désaliéner ? Folie(s) et société(s), Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 1991.

(8) Recherches, n° 17, 1975.

(9) Jean Ayme, Chroniques de la psychiatrie publique, Eres, Toulouse, 1995.

(10) « Un sourire (pas le sourire des hôtesses de l’air), c’est très important en psychiatrie, dit Jean Oury, le fondateur de la clinique de La Borde, à Cour-Cheverny, mais un sourire, cela peut-il s’évaluer ? »

(11) Le Vécu de la fin du monde dans la folie, Editions de l’Arefppi, Nantes, 1986.



JEUDI 20 MAI 2010

Comment les institutions de psychanalyse ont traité l’affaire Onfray

Il y a peu, Michel Onfray a publié Le Crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne, charge sévère contre le fondateur de la psychanalyse. L’affaire avait fait quelque bruits dans les média. Quelques psychanalystes avaient donné des papiers a des journaux. Des émissions de télévision organisée pour “débattre” avec Michel Onfray. Et puis, l’attention médiatique s’est peu à peu éteinte.

Comment les institutions de psychanalyse ont elle traité “l’affaire Onfray”.

J’ai visité les représentations des principales associations de psychanalyse françaises : la Société Psychanalytique de Paris, le Quatrième Groupe,  les Séminaires Psychanalytiques de Paris, la lettre lacanienne,  les CCAF , l’École Lacanienne de Psychanalyse, le GRP, la FEDEPSY, le Centre de recherches en psychanalyse et écritures, l’Association Lacanienne Internationale,  la Société de psychanalyse freudienne, l’Espace Analytique , le Cercle Freudien, l’Association Psychanalyse Jacques Lacan, l’Ecole de Psychanalyse des Forums du Champ Lacanien, L’Ecole de la Cause Freudienne, l’Association Psychanalytique de France, l’École de psychanalyse Sigmund Freud, l’Association Analyse Freudienne.

Aucun des sites des associations française de psychanalyse ne parle du livre. Silence total

Pourtant, le livre a bel et bien été discuté sur le réseau. Il y a eu des échanges sur les forums de Oedipe.org et aussi sur Facebook.. On reconnait les même noms qui depuis une dizaine d’année maintiennent le signifiant psychanalyse sur l’Internet.

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une volonté délibérée mais beaucoup plus simplement d’un mésusage du web. La fréquence de publication de ces sites est très faible, et beaucoup se limitent à leur stricte actualité : colloques, parutions, et quelques interview. Malheureusement, aucun ne se sert des outils du web 2.0. Il est par exemple impossible d’embarquer les vidéo publiées sur le site de la SPP ni même de les mettre facilement en lien. Le résultat est logique : les sites apparaissent encore trop souvent  comme vitrines ouvertes sur ceux qui sont déjà à bord.



Des actions ciblées peuvent réduire le risque de suicide













Une expérience aux États-Unis a fait chuter le taux de suicide chez des personnes souffrant de troubles mentaux.

«L'homicide de soi-même», selon l'expression de Voltaire, n'est jamais imputable à une cause unique. Une étude menée par des médecins américains, aux États-Unis, apporte une nouvelle pierre à l'édifice de ceux qui estiment que la prévention du suicide doit être pluridisciplinaire pour être efficace. En effet, grâce à ce programme débuté il y a quelques années dans le Henry Ford Health System, qui regroupe six hôpitaux de l'État du Michigan, le taux de suicide a fortement chuté en quelques années. Il est passé de 89 suicides pour 100 000 (patients suivis pour troubles mentaux) à 22 pour 100 000 la quatrième année du programme pour atteindre désormais zéro pour 100 000 (à titre de comparaison, le taux dans la population générale américaine est de 10 pour 100 000). Ces résultats spectaculaires ont été publiés mercredi dans le Journal of the American Medical Association (Jama).

Cette démarche a d'abord consisté à classer les 200 000 patients suivis pour troubles mentaux dans ces six hôpitaux en trois groupes en fonction du risque de suicide, chaque niveau correspondant à des interventions spécifiques. Les malades avaient par ailleurs un rendez-vous dédié uniquement à la délivrance de médicaments, un accès plus rapide aux soins et donc aux médecins. Une écoute renforcée avait été mise en place de visu avec un suivi par e-mails. Les mesures comprenaient également l'information et l'éducation de la famille du malade, une formation des personnels médicaux leur permettant de mieux évaluer les comportements à risques au téléphone. Enfin, le programme poussait les patients à se séparer de leurs armes à feu.

«Je crois que nous avons là un modèle qui pourrait servir de base aux recommandations des systèmes de santé, a estimé le neuropsychiatre Edward Coffey, qui travaille dans le groupe hospitalier Henry Ford de Detroit. Il pourrait ainsi améliorer l'état des patients souffrant de dépression ou d'autres désordres mentaux qui augmentent le risque de suicide». On estime à environ 33 000 le nombre de suicides par an aux États-Unis, dont plus de la moitié par armes à feu.

«Ce protocole est transposable en France», estime le Pr Michel Reynaud, psychiatre et chef du département de psychiatrie et d'addictologie à l'hôpital universitaire Paul-Brousse (Paris XI) qui juge ces résultats «très intéressants». Selon lui, les médecins américains ont réalisé «ce vers quoi il faut tendre, à savoir de la prévention ciblée sur une population à risques. L'idée est de repérer les patients susceptibles de passer à l'acte et de mettre en place un protocole». Or, le problème, ce sont les populations qui n'ont jamais été suivies et qui, un jour, passent à l'acte, «comme celui qui se jette sous le métro et qui n'a jamais consulté de sa vie», nuance le Dr Didier Cremniter, référent de la cellule d'urgences médico-psychiatrique de Paris. «Car il est clair que dès que l'on suit des gens en détresse et qu'on leur apporte un soin bien orienté on réduit les gestes suicidaires», analyse-t-il.

Les zones rurales sont les plus touchées

Ce spécialiste insiste, par ailleurs, sur le fait que si la sensibilisation de l'entourage peut aider à réduire le taux de suicide, dès que les campagnes de sensibilisation s'arrêtent, les passages à l'acte repartent aussitôt à la hausse.

En France, ce sont les régions du Nord-Ouest qui enregistrent les taux de suicide les plus importants avec 27 décès par an pour 100 000, suivies de la Basse-Normandie et du Limousin avec un taux de 23 pour 100 000. «Il n'y a jamais eu d'explication à ce phénomène, relève le Dr Juliette Daniel, inspecteur de la santé publique. Un suicide a toujours plusieurs causes: la précarité, la solitude, des comportements addictifs, un événement traumatisant.» Indépendamment de tous ces facteurs, il est vrai que les zones rurales ainsi que celles touchées par l'alcoolisme sont généralement les plus atteintes. «Les causes étant multiples, chaque professionnel a un rôle à jouer en matière de prévention: surveillants de prison, personnels de l'éducation, professionnels de santé afin de repérer ceux qui ne vont pas bien et de les envoyer vers un médecin qui prenne le relai», conclut le Dr Juliette Daniel.