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Médecine et répression
publié en ligne : 1er avril 2010 dans Action 122
dossier publié dans une version raccourcie dans la revue Action n°122
Introduction :
Article 10 – personne privée de liberté (article R.4127-10 du code de la santé publique) “Un médecin amené à examiner une personne privée de liberté ou à lui donner des soins ne peut, directement ou indirectement, serait-ce par sa seule présence, favoriser ou cautionner une atteinte à l’intégrité physique ou mentale de cette personne ou à sa dignité. S’il constate que cette personne a subi des sévices ou des mauvais traitements, il doit, sous réserve de l’accord de l’intéressé, en informer l’autorité judiciaire. (…)”
En France, l’exercice de la médecine est réglementé par un code de déontologie - établi par décret - et le Conseil de l’Ordre des Médecins chargé du respect de ces dispositions. Ce code s’impose à tout médecin. La déontologie médicale sert de référence aux instances juridictionnelles de l’Ordre des médecins, mais d’abord de guide aux médecins dans leur pratique quotidienne, au service des patients.
Appelé auprès d’un prisonnier, le médecin, défenseur naturel de l’individu et des droits de l’homme, doit s’abstenir de toute intervention qui n’aurait pas pour but l’intérêt de sa santé. Un médecin ne peut être dupe de l’ « humanisation de la torture par la présence d’un médecin ». La seule attitude est un refus formel de toute participation. Au contraire le médecin qui constate qu’une personne a été victime de sévices doit le signaler aux autorités compétentes et s’efforcer d’obtenir, s’il le juge nécessaire ou utile, l’hospitalisation de la victime.
Le médecin des établissements pénitentiaires est, comme tout médecin, indépendant dans tous ses actes. Il n’est ni policier, ni juge, il n’est jamais l’agent d’exécution de quiconque. Il décide seul en conscience de ce qu’il doit faire pour les détenus qui lui sont confiés. Il ne peut que favoriser le meilleur accès aux soins. Un médecin ne peut être ni inquiété ni pénalisé pour avoir respecté cet article du code.
Tous les médecins, qu’ils soient médecins soignants (I) ou médecins experts (II), qu’ils traitent de la santé psychique ou somatique, sont soumis à leur code de déontologie médicale. Si nous décidons de mettre en lumière les liens entre médecine et répression, c’est parce que nous nous sommes rendus comptes que, le personnel soignant, sensé se limiter au bien être des gens se retrouve à cautionner des pratiques portant atteinte à la santé des prisonniers, particulièrement lorsqu’ils sont séropositifs.
I- UCSA et SMPR, des médecins en question :
Depuis la loi du 18 janvier 1994, une révolution s’est opérée dans le milieu santé en prison, les personnels soignants ne sont désormais plus rattachés à l’administration pénitentiaire mais directement au ministère de la Santé. Les médecins exerçant au sein des Unités Consultatives de Soins Ambulatoires (médecine somatique) et des Services Médico-Psychologiques Régionaux (médecine psychique) sont hiérarchiquement dépendants de l’hôpital de rattachement de chaque établissement pénitentiaire.
A- Personnel soignant en prison et non respect de l’article 10 du Code de déontologie médicale :
→ L’habilitation des médecins à mettre au Quartier d’Isolement, au Quartier Disciplinaire : « la prison dans la prison »
Le placement au quartier disciplinaire (ou mitard) est la sanction la plus élevée du régime disciplinaire pénitentiaire. Le prisonnier qui se retrouve placé en cellule disciplinaire subit un régime de détention ultra répressif : enfermé dans une cellule de punition et de privation, tout y est scellé, il est privé de toute activité, totalement isolé. Le placement d’office en quartier d’isolement est une mesure administrative qui vise à isoler un prisonnier par « mesure de sécurité » pour le « maintien du bon ordre » de la prison. L’UCSA de la prison est informée du placement d’un prisonnier au quartier disciplinaire, le médecin passe le voir dans la journée puis une à deux fois par semaine. Avant tout placement à l’isolement d’office, un avis médical de compatibilité délivré par le médecin UCSA est obligatoire. Par contre, l’administration pénitentiaire n’est pas obligée de suivre cet avis. Ensuite, le médecin rend une visite hebdomadaire. Le médecin SMPR ne vient que lorsqu’il est appelé.
Ces avis médicaux demandés par l’administration pénitentiaire pour cautionner des pratiques répressives sont manifestement contraire à la mission même des médecins. Pourtant, nous constatons en pratique que ces avis sont très souvent favorables. Malheureusement, seule une infime minorité de médecins résiste à ces procédés contraires à toute éthique, soit en refusant de rendre un avis, soit en rendant des avis systématiquement défavorables. Ces mesures coercitives sont particulièrement préjudiciables à l’état de santé des personnes atteintes par le vih, qui devraient bénéficier de l’indulgence de l’administration pénitentiaire, mais surtout du soutien du corps médical. Or, il n’en est rien, comme le témoigne Laurent Jacqua, ancien prisonnier, toujours séropositif :
Lorsque j’étais placé à l’isolement et que le médecin UCSA passait pour ses deux visites hebdomadaires, systématiquement je lui demandais de me faire un certificat de contre-indication pour sortir du QI en raison de ma séropositivité. En 25 ans, je n’ai rencontré que trois médecins dignes de ce nom qui m’ont établi des certificats d’incompatibilité avec le quartier d’isolement, ou le quartier disciplinaire. Mais, cette confusion entre pénitentiaire et médical se fait simplement, par habitude. Les médecins finissent par se soumettre totalement au système pénitentiaire.
Mesure écrite le 11 décembre 1997 qui concerne le placement à l’isolement de Laurent à la Maison d’Arrêt de Besançon. Le médecin UCSA atteste sur ce document que Laurent doit être placé à l’isolement « par mesure de précaution ou de sécurité pour préserver la sécurité de l’établissement », il est écrit manuellement « état de santé compatible avec une mesure d’isolement ». Réponse de Laurent écrite directement sur le document : « vous n’êtes pas digne d’être médecin, relisez l’article 10 de votre déontologie »
Les nouvelles mesures en discussion pour le moment ne font que renforcer cet amalgame inacceptable. Ainsi, le cahier électronique de liaison représente une sérieuse menace au respect du secret médical ainsi que les commissions pluridisciplinaires uniques et de prévention du risque suicidaire. C’est pourquoi, lorsque Roselyne Bachelot parle de « décloisonnement entre sanitaire et pénitentiaire », nous y voyons une enième attaque des droits des séroprisonniers .
→ Le refus de certains médecins de constater les blessures sur prisonnier :
Le dépôt de plainte que souhaite effectuer une personne incarcérée après avoir reçu des coups de la part des surveillants, doit être accompagné d’un certificat médical établi dans les 24 heures, par le médecin UCSA. Probablement sur demande de la direction de la prison, certains médecins refusent de constater les blessures, afin d’étouffer l’affaire. Laurent : « j’ai pu le vivre à Metz après avoir été gazé et tabassé, le toubib de l’UCSA accompagné des gradés m’avait même lancé un « fallait vous tenir tranquille ! » en me laissant sans soins et totalement nu durant 24H ».
Si l’avis des médecins est requis pour les mesures de rétorsion, celui-ci est également nécessaire aux dossiers de demande de libération de prisonniers malades.
B- Avis médical, clé pour la libération des malades :
→ La suspension de peine pour raison médicale :
Pour engager une procédure de suspension de peine pour raison médicale, le certificat médical du médecin UCSA peut suffire à saisir la juridiction d’application des peines de la demande. Malheureusement, ce cas de figure est relativement rare. Il va de soi que, pour que l’état de santé d’une personne séropositive ne se dégrade pas, cette personne a besoin d’être prise en charge dans un lieu de soins, c’est-à-dire à l’extérieur de la prison ; il incombe donc aux médecins soignants de mettre tout en œuvre pour le bien-être des prisonniers séropositifs.
Par ailleurs, depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, en cas d’urgence et lorsque « le pronostic vital est engagé », la ou le juge d’application des peines peut ordonner la suspension de peine pour raison médicale sur la seule base du certificat médical UCSA.
→ Les autres aménagements de peine :
Exceptée la grâce médicale qui n’est actuellement plus appliquée, pour les différents types d’aménagements de peine, l’état de santé du prisonnier demandeur n’est pas officiellement pris en compte. Cependant, en pratique, les juges d’application des peines peuvent se montrer sensibles à cet argument, justifiant de la nécessité de faire sortir une personne de prison, éventuellement pouvant justifier de son absence d’activité en prison…
II- Les juges et les médecins experts, violation manifeste de l’article 10 du code de déontologie médicale :
Le concept même de médecin expert est un paradoxe : comment peut-on demander à celui devant « soigner » d’évaluer de manière ponctuelle l’état de santé somatique d’un individu qu’il ne traite pas dans la durée, qu’il ne connaît pas ? (A) a fortiori son état de santé mentale ? (B)
A- Médecins experts et suspension de peine pour raison médicale :
Lors de la procédure de suspension de peine pour raison médicale, deux expertises médicales sont exigées, plus une expertise psychiatrique si le demandeur a été condamné pour crime. Les deux expertises médicales doivent, de manière concordante, conclure à « l’engagement du pronostic vital » ou un « état de santé durablement incompatible avec la détention ». Les experts désignés par les juges d’application des peines ont une vision peu réaliste des conditions d’incarcération et sont souvent incompétents quant aux pathologies des demandeurs à une suspension de peine pour raison médicale.
Les délais d’expertise médicale sont trop longs. En pratique lorsque le pronostic vital du demandeur est engagé, son éventuelle libération arrive souvent trop tard. Parce que lorsque par chance une personne incarcérée pour crime fait l’objet d’une suspension de peine, elle est soumise tous les 6 mois à un examen médical qui, s’il constate que son état de santé s’est amélioré, le renvoie en prison.
→ cf : Évolutions de la suspension de peine pour raison médicale jusqu’à la loi du 10 mars 2010
Témoignage Laurent Jacqua : J’ai déposé, en 2003 et 2006 deux suspensions de peine qui ont été rejetées. Étant incarcéré pour crime, j’ai eu droit à des expertises médicales et psychiatriques. Les deux fois, les expertises médicales ont conclu que mon pronostic vital n’était pas engagé et mon état de santé compatible avec la détention. Se basant uniquement sur mon lourd passé judiciaire, les experts psychiatres qui ont accès au dossier pénal, ne m’ont vu qu’entre une demi-heure et une heure et ont considéré que je présentais un « risque important de récidive » dû à une « dangerosité » constatée sur mon dossier pénal.
Décision 12 novembre 2004 de la juridiction régionale de la libération conditionnelle (ancienne juridiction d’application des peines, compétente en matière de suspension de peine pour raison médicale) : « Attendu que Monsieur Jacqua et son conseil ont déploré que l’expert PEROL ne se soit pas déplacé pour accomplir sa mission (…) ; que le VIH est une pathologie susceptible – l’adjectif étant de première importance – d’engager le pronostic vital (…) ; Attendu que le premier expert désigné, monsieur SALESSE conclut que le requérant présente un syndrome d’immunodéficience traité depuis 1996 ; que monsieur Jacqua est asymptomatique et que le traitement le satisfait ; qu’il ne présente pas de pathologie engageant son pronostic vital ; que son état de santé est compatible avec le maintien en détention ; Attendu qu’en l’état de ces appréciations et sans qu’il soit besoin d’examiner le rapport du second expert, les conditions de la loi pour une suspension de peine pour raisons médicale ne sont pas remplies ; Qu’en effet le maintien en détention est possible ; Que le SIDA traité et asymptomatique n’est pas, en tout cas pour monsieur Jacqua, susceptible d’engager le pronostic vital, c’est à dire, comme l’énonce l’expert dans le corps de ses explications, que la séropositivité de monsieur Jacqua est stabilisée depuis plusieurs années ; qu’ainsi le décès n’est pas une hypothèse à redouter dans des proportions supérieures à celles qui s’appliquent aux autres sujets atteints d’une maladie chronique maîtrisée ; (…) FIXE à un an le délai pendant lequel Laurent Jacqua ne pourra saisir à nouveau la juridiction. »
B- Collusion entre justice et psychiatrie :
Les experts psychiatres sont mis à contribution par la Justice pour venir à l’appui des décisions prises par les juges, en particulier les juges d’application des peines. Nous dénonçons avec force l’utilisation de notions comme « dangerosité » et « trouble à l’ordre public » sur lesquelles se fondent les mesures de sûreté, parce qu’elles participent d’une confusion inacceptable entre langage médical et judiciaire. Si la dangerosité d’un individu peut qualifier psychiatriquement un état donné à un moment M, en aucun cas un psychiatre – fut-il expert – n’a les compétences pour juger si une personne est « dangereuse ». Les juges d’ailleurs n’ont pas non plus cette légitimité puisqu’ils sont chargés de juger des actes commis par des individus, non pas des personnalités, y compris les juges d’application des peines.
Le caractère obligatoire des expertises psychiatriques prend de plus en plus d’importance dans les procédures judiciaires, en particulier dans les procédures d’aménagements de peine. La psychiatrisation de la justice nous mène vers plus de répression légitimée par une pseudo-science. Il arrive donc qu’une demande de suspension de peine ou d’aménagement de peine d’un séropositif soit rejetée à cause d’une expertise psychiatrique défavorable, parce qu’il aura été considéré « dangereux ».
→ L’injonction de soins et rétention de sûreté, atteintes à la liberté de se faire soigner :
La loi du 25 février 2008 avait institué la rétention de sûreté et créé un amalgame grave entre médecine et répression puisqu’elle demande aux médecins d’évaluer la dangerosité de condamnés ayant purgé leur peine et permet aux juges de ne pas les libérer. La loi du 10 mars 2010 étend le champ d’application de la rétention de sûreté et s’appuie sur l’injonction de soins pour obliger une personne à se soigner. Dorénavant, si une personne condamnée et ayant purgé ses années de prison est déclarée comme ayant refusé les soins ordonnés ou arrêtant le traitement, quelle que soit la raison de ce choix, cela est considéré alors comme un manquement à une obligation posée par le juge, et donc, un non-respect des conditions de remise en liberté, ce choix est synonyme de retour en prison pour une durée illimitée !
La loi du 9 septembre 2002 a institué la création d’Unités Hospitalières Spécialement Aménagées. Au départ pensées pour recevoir les personnes condamnées alors qu’elles souffrent de graves troubles psychiatriques, il est prévu que ces unités deviennent des lieux d’enfermement post-peine pour les individus considérés comme « dangereux » par les experts psychiatres et les juges. D’ailleurs, la CGT dénonce « le tournant sécuritaire pris par la psychiatrie, dont l’UHSA serait la figure de proue. »
Conclusion :
Nous avons conscience que les questions de médecine et d’ordre social ne concernent évidemment pas que les séropo incarcéréEs (par exemple, médecins fixant le taux de handicap déterminant le montant d’octroi de l’Allocation Adulte Handicapée), mais elles prennent une ampleur d’autant plus grande lorsque la liberté est en jeu.
Act up Paris revendique la libération de tous les personnes séropositives incarcérées. A travers ce dossier nous montrons pourquoi la prison n’est pas et ne peut pas être un lieu de soins. Le soin étant synonyme de bien être / la prison jamais !
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