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jeudi 3 juin 2021

«Mis à l’écart et lésés», les «oubliés» du personnel soignant dans les rues de Paris

par Damien Dole   publié le 1er juin 2021 à 20h52

500 techniciens de laboratoire médical, diététiciens et préparateurs en pharmacie hospitalière ont convergé vers le ministère de la Santé ce mardi. Ils réclament un meilleur statut et plus de reconnaissance. 

«C’est notre jour aujourd’hui, il faut montrer qu’on existe. Faites du bruit pour nous faire connaître de tout le monde, qu’ils comprennent que sans nous, il n’y aurait pas de réouverture des bars ou des restaurants !» Un gars de Sud Santé passe entre les grappes de soignants assis en plein cagnard ce mardi après-midi place du 18-juin-1940, à deux pas de la tour Montparnasse. C’est «leur jour» aux techniciens de laboratoire médical, diététiciens et préparateurs en pharmacie hospitalière. Des soignants «oubliés» comme ils le répètent, le crient, l’écrivent à l’envi sur leurs vêtements, la plupart du temps une blouse blanche, code vestimentaire inadapté aux chaleurs qui frappent les rues de Paris.

500 manifestants ont défilé entre l’hôpital Cochin et le ministère de la Santé. Les revendications des trois professions sont à peu de chose près similaires : la réingénierie de leur statut avec un passage en catégorie A, une revalorisation de leurs salaires qui en découlerait et plus largement une reconnaissance de métiers qui sont indispensables à la bonne marche des hôpitaux et donc du soin des patients. Sans technicien de laboratoire, pas d’analyse et donc de diagnostic précis pour les médecins ; sans préparateur de médicaments, difficile de soigner efficacement les patients ; sans diététicien, pas d’alimentation adaptée à leur état de santé et donc de possibles aggravations. «On a donné, on donne encore et si on ne demande pas maintenant des choses à l’Etat, quand pourra-t-on le faire ?» se demande Carole, préparatrice en pharmacie à l’hôpital Avicenne de Bobigny.

Un déjeuner sauté trois jours sur cinq

La reconnaissance, la visibilisation… Au-delà des revendications sur les statuts et les salaires, ils désirent surtout être vus pour ce qu’ils sont. «On se sent mis à l’écart et lésés. Ils savent nous trouver quand ils ont besoin de nous et on nous a demandé de nous adapter depuis plus d’un an, mais quand il s’agit de nous revaloriser, ils nous oublient», soupire Solveig, diététicienne au sein du service néphrologie dialyse de l’hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Venue avec un poireau à la main comme plusieurs de ses collègues, elle raconte comme elle a été en première ligne lors de la crise sanitaire, puisqu’il fallait aller voir les patients en réanimation – la dénutrition étant un facteur de comorbidité –, consulter par visioconférence, ce qui complique ses tâches, nettoyer les box après chaque consultation… «C’est impossible de ne pas dépasser le temps de travail qu’on doit normalement effectuer. On ne peut pas s’arrêter à la minute près quand on soigne des humains», ajoute Solveig, qui assure devoir sauter son déjeuner trois jours sur cinq, un comble pour une diététicienne, mais une obligation au vu de la masse de travail. «Je pense que l’administration ne sait même pas ce qu’est notre métier au quotidien, se désole la diététicienne d’Ambroise-Paré. Pour eux, on doit juste remplacer le poulet par du poisson dans un menu… Pourtant on a des responsabilités car on influe sur les diagnostics des médecins.»

«Tout le monde nous dit que c’est en cours de négociations mais on ne sait pas avec qui ils discutent. Pas avec nous en tout cas. Or qui mieux que les professionnels concernés pour dire ce qu’il faut faire ?»

—  Edwige Caroff, présidente de l’Association française des techniciens de laboratoire médical

Dans les couloirs de bus du boulevard Port-Royal, où la manifestation s’est engouffrée, on retrouve Edwige Caroff, présidente de l’Association française des techniciens de laboratoire médical. «Peu d’avancées» depuis que la cadre à Robert-Debré (XIXe arrondissement de Paris) avait expliqué à Libération lors de la grève du 18 mai vouloir la revalorisation dès l’automne, comme d’autres professions, plutôt que janvier 2022, comme le ministère de la Santé le promettait dans un mail que nous avions pu consulter. «Tout le monde nous dit que c’est en cours de négociations mais on ne sait pas avec qui ils discutent. Pas avec nous en tout cas. Or qui mieux que les professionnels concernés pour dire ce qu’il faut faire ?» dit Edwige Caroff.

Pour les préparateurs en pharmacie, c’est une officialisation du réel qu’ils demandent. Après une formation en deux ans, ils doivent faire une année de formation à l’hôpital. Pas suffisant pour les faire passer en catégorie A aux yeux de l’administration. «On demande la réingénierie depuis des années mais c’est maintenant qu’ils nous expliquent y réfléchir, explique Carole. Mais pourquoi attendre 2022 et ne pas la faire dès l’automne comme les aides-soignants ?» Une attente de quelques mois supplémentaires qui serait également «une injustice» pour Solveig, puisque les diététiciens font déjà un métier de niveau de BAC + 3 selon elle, notamment au niveau des formations qu’ils réalisent chaque année et à la masse d’informations qu’ils doivent assimiler régulièrement.

Près du ministère de la Santé, des sessions de danse improvisées grâce à la sono de SUD Santé, devenue célèbre avec celle de leurs camarades de SUD Rail lors des manifs contre la réforme des retraites, une attente joyeuse et sage qui tranche avec le ras-le-bol des professions mobilisées. Une délégation était reçue en fin d’après-midi mais les représentants en sont ressortis particulièrement déçus, voire en colère. «Clairement, on a eu aucune avancée, rien, zéro en face», a expliqué un élu SUD Santé, qui a appelé à une manifestation nationale à Paris prochainement. «Avec le privé», souhaite un autre de la CGT, qui ajoute : «De l’argent, il y en a, mais pas pour nous. Le combat est encore long.» Un combat qui fait tache d’huile dans nombre de professions de l’hôpital public. «C’est dégueulasse le peu d’écoute pour le personnel ouvrier et administratif. Ils sont pourtant indispensables à la bonne marche des hôpitaux», s’emporte Carole de l’hôpital Avicenne, qui poursuit : «S’ils ne veulent pas qu’il y ait le feu à l’hôpital, ils ont compris qu’il fallait se bouger. Mais il va falloir qu’ils se bougent beaucoup plus vite.» Les «oubliés» comptent se faire entendre à la grande manif de l’ensemble des soignants d’ores et déjà prévue mi-juin à Paris.


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