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samedi 5 juin 2021

L’hôpital Robert-Debré veut « réparer » les mineurs isolés, des enfants livrés à eux-mêmes et aux dealers

Par   et    Publié le 4 juin 2021




Il y a d’abord eu le premier. A l’été 2016. Un tout petit. Overdose. Et un deuxième, un troisième… Puis ils se sont mis à affluer par dizaines aux urgences de l’hôpital parisien Robert-Debré, le plus grand centre pédiatrique d’Ile-de-France. Des étrangers de moins de 18 ans, venus seuls en France et désignés par l’administration sous l’acronyme MNA, « mineur non accompagné », ramassés dans les quartiers alentour par des pompiers, inconscients ou blessés. Luigi Titomanlio, le responsable des urgences, se souvient de leur état à leur arrivée : « poly-intoxiqués », « comateux » et parfois « très agressifs ».

Confrontés à cette situation, les urgentistes sollicitent l’aide de leurs collègues pédopsychiatres. Leur chef, le professeur Richard Delorme, décide alors de laisser carte blanche, en interne, à l’équipe spécialisée en addictologie pour les enfants et les adolescents. « Il a fallu imaginer une nouvelle façon de les prendre en charge », raconte la psychiatre Emmanuelle Peyret, chef de cette unité. Celle-ci découvre « des enfants rendus à l’état sauvage, qui se défoncent pour supporter l’insupportable » et n’ont plus confiance en personne

Un éducateur, François-Henry Guillot, est mobilisé, ainsi qu’une interne en pédiatrie, Marie Parreillet. Avec la docteure Peyret, ils deviennent les principaux interlocuteurs de ces quelque 200 patients, âgés de 9 à 18 ans – parfois davantage. « Ils se déclarent mineurs, on les prend en charge comme des mineurs, rappelle Marie Parreillet. Notre mission, c’est de réparer ces enfants, pas de trancher sur leur âge. » 

Au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Robert-Debré, une équipe à l’écoute de Maria, mineure isolée, arrivée à 14 ans en Espagne depuis l’Algérie, le 2 mars 2021.

« Il suçait son pouce en regardant Gulli »

Ce travail de longue haleine, qui confine parfois à la mission impossible, les confronte aux réalités du monde des MNA. Mi-mars, l’un d’eux a perdu connaissance en pleine rue ; il avait avalé six comprimés de Lyrica, un puissant antidouleur. D’après ses papiers, il avait 15 ans. M. Guillot lui en donne quatre de moins. « Il était tout petit », décrit-il. Dans un accès de violence, il a dû être attaché. Il a refusé de parler aux soignants avant d’admettre, du bout des lèvres, habiter « chez un mec à La Chapelle ».

En décembre 2020, un autre jeune, confié à l’aide sociale à l’enfance (ASE) des Yvelines, avait lui aussi été transporté aux urgences de Robert-Debré. Son corps était couvert de plaies à vif, et d’autres, plus anciennes. Ce soir-là, François-Henry Guillot lui a rendu visite dans sa chambre. « Il suçait son pouce en regardant Gulli », se souvient l’éducateur. Puis il a fugué. Personne n’a retrouvé sa trace.

Lina, Algérienne, a 15 ans. Orientée vers cet hôpital par l’association France terre d’asile après avoir été renvoyée d’un foyer, cette ado toute menue a été signalée comme victime potentielle d’un réseau de prostitution. La première fois que nous la rencontrons, au mois de février, elle parle de se soigner et de retourner à l’école. Mais, deux semaines plus tard, quand elle revient à l’hôpital, elle présente des traces de scarification sur les avant-bras et des brûlures de cigarettes sur les mains.

« Se substituer à leur dealeur »

La semaine suivante, la voici de nouveau à Robert-Debré, les cheveux lissés, le visage maquillé, mais de mauvaise humeur. Ses jambes tremblent, elle triture les cordelettes de sa doudoune. Les deux soignants s’inquiètent : elle semble en manque. Depuis quelques semaines pourtant, elle paraissait sevrée du Rivotril, un antiépileptique qui, consommé à hautes doses, désinhibe ces jeunes.

« J’en reprends parce que je n’arrive plus à dormir »,commence-t-elle. Mais, si elle en a, cela suppose qu’elle est retournée en acheter à la sauvette du côté de Barbès. « Pourquoi tu ne prends pas ton Lyrica ? », l’interrogent les soignants.

Pour ces jeunes dépendants, l’une des méthodes de sevrage proposée est de leur prescrire du Lyrica en réduisant les doses au fur et à mesure. « L’idée est de se substituer à leur dealeur et de les ramener petit à petit vers le droit commun », détaille la docteure Peyret. Certains tentent bien d’arracher aux soignants des ordonnances pour du Rivotril, mais leur réponse est ferme : c’est non. Car la priorité est précisément de les faire décrocher définitivement de ce produit, plus dangereux que le Lyrica.

Au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Robert-Debré, le 2 mars 2021, Mohamed, mineur isolé venant d’Algérie, montre son porte-bonheur, une pièce de deux francs suisses qui l'a accompagné pendant son exil.

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