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mardi 1 juin 2021

Fin de vie : Pierre Blanchet, la mort dans l’âme

par Sarah Finger  publié le 1er juin 2021 à 20h00

Militant actif de l’association Ultime Liberté, le Montpelliérain revendique le droit de pouvoir «bien se suicider» et d’aider d’autres à le faire.

Entrée en matière parfaitement raccord avec cet entretien sur la mort : il tombe des trombes sur Montpellier, le quartier des Aubes est noyé, la paisible rue où réside Pierre Blanchet s’est transformée en torrent. A quelques pas de sa maison, patatras, notre précieux carnet de notes atterrit dans le caniveau. On franchit sa porte trempée et déprimée, donc fin prête à disserter sur le suicide.

Car Pierre Blanchet, 75 ans, est un fervent militant de «l’IVV», l’interruption volontaire de vie. A Montpellier, il est devenu l’un des piliers de l’association Ultime Liberté qui revendique 3 000 membres en France. Dix d’entre eux ont été mis en examen en mars dernier : on leur reproche d’avoir commandé à l’étranger du Nembutal, un barbiturique interdit ici à la vente et qui offre, paraît-il, une mort douce et rapide. Les mis en cause ont tous reconnu avoir aidé des candidats au suicide à s’en procurer.

Pierre Blanchet, lui, a échappé aux foudres de la justice. Du moins jusqu’ici. Pourtant, il reconnaît volontiers avoir «accompagné» des gens qui désiraient en finir, tous atteints de maladies incurables. «Les accompagner, c’est aider ces personnes souvent âgées et maîtrisant mal l’informatique à se procurer du Nembutal, mais seulement après avoir eu une discussion intime avec elles», explique-t-il calmement. Plus concrètement, des militants d’Ultime Liberté aident bénévolement ces candidats au suicide à télécharger la Pilule douce (79 euros). Ce manuel, qu’on ne lira jamais sur la plage, attribue au Nembutal la meilleure note parmi les divers moyens de passer l’arme à gauche, et donne des indications permettant de commander le produit au Mexique. La dose létale, qui se compose de deux flacons (environ 750 dollars), est ensuite envoyée par colis. «Les neuf dixièmes des gens qui ont acheté ce produit ne l’ont évidemment pas utilisé, précise Pierre Blanchet. C’est leur assurance fin de vie…» Lui-même possède-t-il ces flacons interdits ? Joker : «Si je devais m’en procurer, répond-il, je saurais comment faire.» Il embraye en évoquant d’anciens faits d’armes : des produits à base de CBD (extraits du cannabis) qu’il a commandés aux Pays-Bas pour soulager les douleurs cervicales de sa femme, ou encore les diaphragmes contraceptifs qu’il fallait faire venir de Suisse, à la fin des années 60… Tout ça n’est pas très catholique. Ça tombe bien, il n’est pas croyant.

En écoutant le récit de son enfance à Montluçon, on comprend mieux pourquoi cet homme calme et apaisé évoque la mort comme une vieille copine. Omniprésente dans l’histoire familiale, la faucheuse s’est penchée bien tôt sur son berceau. A l’âge de 14 ans, son père Raymond avait déjà enterré ses parents et sa sœur, emportée par la tuberculose alors qu’elle n’avait que 20 ans. «En l’espace de trois ans, mon père a perdu toute sa famille. Son existence fut si dure qu’il m’a dit un jour que ses années de prisonnier de guerre comptaient parmi les plus belles de sa vie.» L’histoire n’est guère plus réjouissante du côté maternel : veuve à 37 ans, sa grand-mère se retrouve seule avec Jeanne, sa fille de 12 ans. Cette gamine va grandir, épouser Raymond, et mourir à 34 ans en donnant la vie à Pierre Blanchet.

Apprenti à la SNCF dès l’âge de 15 ans, devenu chauffeur, puis mécanicien, le père se remarie alors que Pierre a 5 ans. Il raconte : «Sa nouvelle femme n’a pas souhaité s’occuper de moi ni de mon frère. Mon frère, plus âgé, a rapidement pu voler de ses propres ailes. Moi, je me suis retrouvé seul avec ma grand-mère maternelle ; je suis devenu son garde-malade. Nous dormions dans la même chambre, je devais lui faire sa toilette… J’avais 14 ans quand elle est morte.»

Il se retrouve seul à son tour, se fait virer du lycée et rate son bac. Mais en terminale, il rencontre Marie-Hélène. Il a 18 ans, elle 16, et ne se quitteront plus. Ouvrier, puis manœuvre, il entre dans le monde des assurances où il restera vingt-deux ans. Entre-temps naissent deux enfants, François et Fanny. A 46 ans, pris en étau entre une nouvelle direction et une mutation imposée, il quitte le monde douillet des assurances et se retrouve sans emploi, sans diplômes, sans perspectives. Tandis que les blessures du passé refont soudain surface, il perd pied et plonge. C’est là qu’il rencontre la pratique analytique et la psychothérapie au sein de l’Autre Scène, une association menée par le psychiatre Roger Gentis, qu’il va fréquenter pendant quatre ans. «Ça m’a sauvé la vie», dit-il simplement.

Pierre et son épouse se retrouvent en même temps à l’ANPE : lui, en tant que demandeur d’emploi, elle, en tant que salariée. Il parvient à rebondir, travaille dans la formation et la communication, se met à son compte. Parallèlement, il se documente sur les méandres de l’âme, la mort, la dépression, achète dès sa publication, en 1982, Suicide, mode d’emploi, commence même à évoquer la perspective de «partir» avec sa femme. Silhouette discrète, elle-même se tait sur le sujet, préférant laisser son mari s’exprimer pour eux deux : «Avec Marie-Hélène, on s’est toujours dit qu’on ne laisserait pas tomber l’autre dans l’inacceptable. Au début, on pensait aux maladies, à la sénilité, aux traitements qui ne font gagner que quelques mois… Mais à mesure qu’on vieillissait, notre réflexion évoluait. Aujourd’hui, on se dit que lorsqu’on n’a plus rien à apporter, et à s’apporter, on peut envisager de partir. Mon corps m’appartient ; si j’estime que ma vie est accomplie, j’ai le droit de lui dire : “On arrête.”»

S’arrêter, mais comment ? Le couple pousse la réflexion jusqu’au bout : «On n’entrapercevait que des moyens violents, tant dans la forme que dans le fond, puisque certains impliquaient que l’un prenne la responsabilité de tuer l’autre…» L’idée les indigne : «Rendez-vous compte, le suicide est dépénalisé en France depuis 1791 mais on n’a toujours pas défini les moyens de le concrétiser.»

Jugeant l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) un peu trop molle, il se rapproche d’Ultime Liberté, séduit par ses positions plus radicales. Mais avant de militer pour une mort à portée de main, l’ancien assureur raconte avoir été «toujours engagé dans quelque chose» : les jeunesses socialistes unifiées de Rocard, une association de consommateurs, la Cimade… «J’ai aussi aidé à donner la vie en tant que donneur de sperme. Je suis dans la même logique en aidant aujourd’hui les gens à mourir.»

Dans le salon, la cuisine, le jardinet, le visiteur n’aperçoit aucun objet personnel. Tout semble dépouillé, fonctionnel, comme prêt à changer de main. Pierre Blanchet n’a pas rédigé de testament, mais une autobiographie autoéditée intitulée Tel quel, histoire, dit-il, de «laisser une trace» à ses enfants et cinq petits-enfants. «J’ai déjà vu beaucoup de mes amis disparaître. Chaque jour, je regarde les avis de décès dans le journal. Parfois, on lit que M. et Mme X sont partis ensemble… C’est émouvant.»

27 mars 1946 Naissance à Montluçon.
31 mai 1968 Mariage avec Marie-Hélène.
1994 Entre en analyse.
2018 Rejoint Ultime Liberté.


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