par Katia Dansoko Touré publié le 17 mai 2021
C’est un moment de télévision qui restera dans les annales. Début mars, sur la chaîne américaine CBS, Meghan Markle, duchesse de Sussex et mère, avec son Harry de prince, d’un petit garçon métis du nom d’Archie, confie à la reine cathodique Oprah Winfrey que la couleur de peau de l’enfant a été durant sa grossesse un sujet de préoccupation pour l’institution royale britannique. Une bombe qui a explosé illico sur les réseaux sociaux. Et les tabloïds de s’en délecter aux quatre coins du monde : et si Buckingham Palace était raciste ?
Si les métis ne sont pas tous logés à la même enseigne, sur Twitter, des personnes noires ont raconté, à leur tour, le racisme dont elles et leurs enfants avaient fait l’objet de la part de leurs belles-familles blanches, en évoquant des stigmates indélébiles. Et appellent à s’emparer du sujet, épineux et tabou, du racisme intrafamilial.
«Deux récits familiaux»
Au Havre, Thaïs (1), 31 ans, de mère algérienne et de père martiniquais noir, se souvient très bien du racisme – qui a commencé avant même sa naissance – dont elle a été victime. «La famille de ma mère lui a demandé comment elle avait osé faire un enfant avec un noir, que cet enfant allait être moche, ressembler à un singe. Ma grand-mère maternelle a aussi interdit à mes tantes de fréquenter des hommes noirs. Elle ne voulait pas qu’il y ait d’autres “cas” dans la famille», confie-t-elle à Libération. A 14 ans, la jeune femme rend visite à sa famille algérienne alors qu’elle porte le tee-shirt d’une marque créée par une famille sénégalo-mauritanienne du Havre, très connue dans la région. «Qu’est-ce que tu fais avec ce t-shirt ? Tu n’as pas honte de porter des vêtements de cafard ? Tu traînes avec des nègres, c’est ça», s’égosille l’un de ses oncles algériens. Thaïs, éberluée, lui répond : «Tu sais que mon père est noir ?» L’ambiance devient glaciale. Depuis, tout lien est rompu avec cet oncle.
Thaïs livre son récit sans affect mais admet, pourtant, une difficile construction identitaire : «Mes parents avaient déjà leurs propres problèmes d’identité car il leur fallait cacher une partie de ce qu’ils étaient pour s’intégrer dans la société française des années 70 et 80. Je pense que cela m’a été transmis. J’ai dû reconstituer mon histoire familiale par la force du souvenir, du questionnement, de mes recherches… Et cela m’a permis de, petit à petit, considérer mon métissage comme une richesse et une force. Un métis, tiraillé entre deux récits familiaux, est en quête perpétuelle d’un équilibre psychique et d’un certain amour de soi.»
«Je suis Adam, pas un négrillon»
Adam, enseignant de 34 ans et seul métis de sa famille, observe avec recul le racisme dont il a fait l’objet. «Qui est le petit négrillon qui court devant la maison ?» demande feue son arrière-grand-mère qui le voit pour la première fois, alors qu’il vient lui rendre visite, à 5 ans, près de Besançon, au début des années 90. «On m’a raconté que j’ai simplement répondu : “Non, je ne suis pas un négrillon, moi, c’est Adam.” Et j’ai su plus tard que ma grand-mère lui en avait beaucoup voulu pour ça. Mais moi, je ne lui en veux pas. C’était une villageoise qui n’avait jamais vu de noir de sa vie. Pour elle, c’était carrément exotique», analyse-t-il.
Adam est né d’une mère française blanche et d’un père congolais noir qu’il n’a jamais connu. «Je me souviens que quelques jours avant la mort de mon grand-père maternel, je lui ai passé un coup de fil alors qu’il était à l’hôpital. Il m’a dit : “Le médecin, je ne lui fais aucune confiance. Il est noir.” Là, j’étais un peu interdit et je lui ai rétorqué : “Mais, papi, tu sais que c’est Adam au téléphone ?” Je crois que dans certaines familles, le racisme ne vaut que pour l’étranger. Dans la mienne, je n’étais ni noir ni métis, j’étais juste Adam. Et Adam, c’est la famille. Je pense que c’est pour ça que mon grand-père a pu me dire ça au téléphone, à moi.»
«Mon frère est renié par ma famille comorienne»
Amina, 21 ans, étudiante en psychologie, vit en Ile-de-France. Née d’un père comorien et d’une mère française blanche, elle a longtemps été rejetée par sa famille maternelle parce qu’elle portait le nom – africain – de son père. «Je n’y ai jamais vraiment trouvé ma place. Aujourd’hui, je suis suivie par un psychologue tant ces histoires m’ont marquée», confie celle qui a finalement adopté le patronyme de sa mère afin d’éviter le racisme de ses proches. Son frère, lui, subit une autre forme de discrimination, le colorisme – qui tend à distinguer des individus en fonction de la clarté de leur peau : «Mon frère est renié par les membres de ma famille comorienne parce que sa peau est trop blanche. On a pourtant le même père.»
«Cette faute à laquelle tu dois d’exister»
Karim Miské, écrivain et documentariste franco-mauritanien, raconte dans son livre autobiographique N’appartenir (mai 2015, Viviane Hamy) comment un jour, son grand-père, mourant, l’a violemment traité de «bâtard» : «Sa fille et cet Arabe, tout le monde pensait qu’il s’y était fait. Il n’avait jamais dit grand-chose contre cette détestable union. Dix ans de silence et de rumination avant de tout te balancer. En famille. De bien te faire sentir que cette faute à laquelle tu dois d’exister, jamais tu ne pourras t’en libérer. Elle est ton karma, ta destinée. Sa fille chérie, si belle, avec ses yeux bleus et sa peau de porcelaine. Sa fille que cet Arabe lui a ravie. Bien sûr que le crime de ton père retombe sur tes épaules puisque tu en es le produit.»
«J’ai été punie à plusieurs reprises, humiliée»
Les comportements racistes peuvent être le fait des parents. Sur des forums de discussion sur Internet, on trouve ainsi le témoignage d’une mère noire qui juge sa fille trop dynamique et le met sur le compte de son métissage ; une autre qui en vient à se demander si son enfant n’a pas été échangé à la naissance parce qu’il ressemblerait à un Asiatique. Et une future mère, blanche, se demande si elle arrivera à aimer sa petite fille qui ne lui ressemblera, pense-t-elle, jamais… Aïssata, 25 ans, est née d’une mère, noire, originaire d’Afrique de l’Ouest et d’un père, blanc, de France. Depuis l’âge de 11 ans, soit depuis que son père a épousé une femme blanche, cette dernière n’a eu de cesse de l’accuser de vol, relate-t-elle. «Un jean disparu, des livres déplacés, c’était toujours moi, la métisse, alors que ses enfants, blancs, n’étaient jamais mis en cause. J’ai été punie à plusieurs reprises, séquestrée, humiliée. Le pire dans tout ça, c’est que mon père y croyait et la soutenait. J’ai passé mon adolescence à entendre mes demi-frères et sœurs blancs dénigrer ma mère noire au gré de week-ends en famille. Ils répétaient ce que disait ma belle-mère. “Il paraît que ta mère est aussi chiante que toi, qu’elle n’arrive pas à trouver de copain, que c’est le bordel chez elle, qu’elle ne travaille pas…” Et mon père m’a, un jour, lancé : “Que va faire ta mère d’une pension alimentaire, alors que les Africains ne mangent que du riz ?”» se souvient-elle.
Pour tenter de prendre un peu de hauteur, Thaïs, elle, lit l’essayiste Frantz Fanon, chez qui elle a trouvé des réponses sur son questionnement identitaire. Elle constate que les problématiques culturelles et relatives à la couleur de peau restent un fardeau pour les métis. Même si, selon la jeune femme, les lignes bougent timidement.
(1) Tous les prénoms ont été modifiés.
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