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samedi 22 mai 2021

Cloé, 16 ans, première adolescente suicidée en prison

Par    Publié le 21 mai 2021 

Le 2 mai, Cloé s’est tailladé le corps avec la petite lame de son taille-crayon. Avec son sang, elle a écrit « désolée » sur le sol. Elle a retiré son jeans, l’a mouillé avant de l’accrocher aux barreaux de sa fenêtre. Puis elle l’a serré contre sa gorge avant de frapper du pied la chaise sur laquelle elle se tenait debout. Il était près de 22 heures. Lorsque le hurlement de la surveillante a retenti, tout le monde a compris. Aux bruits des cris, de la sirène des pompiers et des tentatives pour réanimer l’adolescente avec le défibrillateur (« Poussez-vous ! », « Encore ! ») a succédé le silence dans les couloirs de la maison d’arrêt d’Epinal, où était incarcérée l’adolescente depuis septembre 2020. Cloé a été conduite à la polyclinique de Gentilly, à Nancy, en état de mort cérébrale. Le lendemain, ses codétenues ont eu la confirmation de son décès à la télévision. Cloé avait 16 ans.

Depuis 2016, l’administration ­pénitentiaire « déplore cinq suicides de mineurs ». Des garçons. Cloé est la première adolescente qui se tue en cellule. « Quelles que soient les atrocités qu’elle a commises, elle n’avait rien à faire là et encore moins à y mourir », s’­indigne Fadila Doukhi, la responsable régionale du syndicat pénitentiaire Force ouvrière.

Un couple qui a sombré dans la folie criminelle

Pour comprendre, il faut remonter à la soirée du 22 septembre 2020. Cette nuit est douce. Cloé donne rendez-vous sur Tinder à Adrien, un garçon de 19 ans qu’elle connaît un peu et avec qui elle a déjà couché. Il est 23 heures quand elle le retrouve chez lui. Il commence à se déshabiller. Derrière elle, Cloé a laissé la porte de la véranda ouverte pour que son complice, Alexandre, 23 ans, puisse la rejoindre. Ce dernier porte un coup de machette sur l’arrière du crâne d’Adrien avant de tenter de l’égorger. La victime, on ne sait comment, est parvenue à ­s’enfuir et à se ­réfugier dans le McDo voisin, à 23 h 45. Arrivé conscient, il a murmuré « speed dating – rendez-vous Clo » avant de tomber dans le coma. Adrien survit mais les séquelles sont lourdes.

Il n’a pas été difficile de retrouver les jeunes ­criminels. « Un témoin a précisé avoir vu un couple aux environs de 23 heures à proximité du McDonald’s, indique François Pérain, le procureur de la République près du tribunal judiciaire de Nancy. Alexandre avait fait l’objet d’un article dans L’Est républicain du 3 septembre 2020 à l’occasion du salon du jeu vidéo de Pont-à-Mousson, dans lequel il est décrit comme un “cosplayer n’aimant que les personnages de méchants” – le cosplay étant un loisir consistant à se déguiser et à incarner un personnage de film, manga ou jeu vidéo. » L’affaire a fait grand bruit. La presse régionale a parlé d’un couple fan de films d’horreur qui a sombré dans la folie criminelle.

Au cours de leurs auditions, Cloé et Alexandre reconnaissent leur responsabilité. Cloé, qui avait un couteau qu’elle n’a pas utilisé, déclare avoir voulu faire souffrir Adrien. Elle ne s’effondre pas en apprenant qu’elle sera placée en détention provisoire. Alexandre dit regretter de ne pas avoir réussi à tuer Adrien. Tous deux affirment avoir voulu se venger parce que le garçon aurait violé Cloé quelques mois plus tôt lors d’une tournante. Adrien a, toutefois, un alibi pour cette date. « Ils avaient pour projet de tuer les deux autres individus qui auraient participé au viol », précise le procureur. Cloé finira par déclarer qu’elle avait souhaité se venger d’Adrien « non parce qu’il aurait participé au viol (…) mais parce qu’il a donné son numéro de téléphone à d’autres hommes qui l’ont contactée, car il l’a décrite comme une fille “facile” ». 

Une enfance marquée par la violence

L’ado, née le 12 septembre 2004 à Nancy, a une mère chauffeuse routière et un père ambulancier. Elle a passé son enfance dans un appartement de Pont-à-Mousson, en Meurthe-et-Moselle. Elle a aussi un frère et une sœur. On sait peu d’autres choses, si ce n’est qu’elle a été marquée par la violence. La mère parle d’une gamine manipulatrice, dont le comportement est « déviant ». Toutes deux s’­accusent de maltraitances. Le 29 septembre 2017, le père a été condamné pour ­violences sur sa conjointe et sur Cloé. Elle avait 13 ans. Condamné à huit mois de prison, il a quitté le domicile ­familial et coupé les ponts avec sa fille.

En 2020, l’adolescente redouble sa seconde générale. Au lycée Jacques-Marquette de Pont-à-Mousson, elle est cette fille mal dans sa peau, au look gothique et aux cheveux ­colorés – roses ou bleus, les témoignages divergent. Elle se scarifie, des centaines de marques parcourent son corps. Le 7 janvier 2020, six mois avant les faits, elle tente une première fois de se suicider au lycée. Hospitalisée, elle essaie de se défenestrer. Une enquête est ouverte : elle parle d’un viol en réunion subi quelques semaines plus tôt, en décembre 2019. Entendus, sa mère et son frère l’accusent de mentir. L’affaire est classée sans suite.

Un danger pour elle-même

A la maison d’arrêt d’Epinal, une attention particulière était portée à Cloé, notamment par les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), une équipe qui jouit d’une excellente réputation dans la région. Le juge des libertés a exigé une « vigilance particulière », eu égard à sa tendance à l’automutilation. Que s’est-il passé ? Comment a-t-on pu ne pas voir venir le geste d’une adolescente dont personne n’ignorait le danger qu’elle constituait pour elle-même ?

Une procédure de recherche des causes de la mort a été ouverte par le parquet d’Epinal. Une note de détention en date du 1er octobre, signée de la PJJ, ne fait pas état de tendances suicidaires. Après de courts soins psychiatriques à l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Nancy, Cloé a bénéficié d’un suivi psychologique en prison. Insuffisant, jugent certains de nos interlocuteurs de la maison d’arrêt qui évoquent des signaux sévères de risque de passage à l’acte : Cloé a cantiné une râpe à légumes – cela lui a été refusé – et régulièrement évoqué son souhait de mourir.

« Cloé cherchait à attirer l’attention sur elle. On ne pouvait pas la laisser en liberté, bien sûr, les faits étaient graves, mais est-ce que la prison a un sens pour une fille de son âge et dans son état ? » Fadila Doukhi, responsable régionale de FO-pénitentiaire

Les rapports de Cloé avec sa mère, déjà compliqués, se sont totalement distendus durant ses sept mois de détention : si la mère a envoyé des vêtements et de l’argent à sa fille, elle ne lui a jamais rendu visite. Celle-ci a fait savoir à son avocate qu’elle ne souhaitait pas répondre au Monde. Elle a fait don des organes de sa fille. La quadragénaire aurait déclaré en signant les papiers : « Elle partira en ayant fait au moins une bonne action. »

Les ­surveillantes parlent de Cloé comme d’une fille « polie, carrée ». Sa cellule – un lit, une table, un mini-frigo, une télé et une cabine téléphonique – était très propre, « à la limite de la maniaquerie ». La journée, elle dessine, suit assidûment ses cours et passe du temps à bricoler des doudous. Auprès des autres filles, Cloé se vantait d’avoir « coupé les coucougnettes » de sa victime. « Elle cherchait à attirer l’attention sur elle, souligne Fadila Doukhi. On ne pouvait pas la laisser en liberté, bien sûr, les faits étaient graves, mais est-ce que la prison a un sens pour une fille de son âge et dans son état ? Il aurait fallu une structure plus adaptée. » 

Des mineures vulnérables

La maison d’arrêt d’Epinal accueille des filles mineures depuis 2015. Au 1er janvier, sur les douze cellules de la maison d’arrêt des femmes, trois étaient occupées par des mineures. Une situation dénoncée par les syndicats de surveillantes, considérant qu’elles manquaient d’effectif pour cette population vulnérable, des adolescentes entre 13 et 16 ans, qu’il « faut surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre ».

« Minoritaires en nombre, elles sont l’objet de discriminations importantes dans l’exercice de leurs droits fondamentaux », dénonçait un rapport de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, consacré aux droits fondamentaux des mineurs enfermés, publié le 9 avril. Sur 2 163 femmes détenues, 31 étaient mineures. « Ce sont des enfants que des professionnels de diverses institutions peuvent être amenés à qualifier d’“incasables”. (…) L’incarcération des jeunes filles mineures dans des quartiers pour femmes majeures est contraire à la loi. »

Selon Me Bouthier, l’avocat d’Adrien, son client regrette, après ce suicide, « de ne plus pouvoir espérer certaines réponses ». Alexandre a demandé une autorisation de sortie pour assister aux funérailles de Cloé. La famille a dit non. Il a compris.Depuis, pour prévenir tout risque de suicide, le jeune homme détenu à Nancy est surveillé de près. « On lui a aussi proposé de faire de la boxe… » Au procès, il sera seul face aux juges.


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