par Annabelle Martella publié le 18 mai 2021
Le théâtre Garonne propose une rencontre téléphonique avec un inconnu. Une expérience, émouvante, rythmée par les questions d’une voix artificielle.
Il y a un inconnu au bout du fil à qui vous racontez vos secrets. Vous ne savez pas comment cela a bien pu arriver. Vous ne connaissez ni son prénom ni sa profession. Lui non plus. Ce genre de choses pouvait se produire il y a un an et demi. Quand les bars étaient ouverts, quand vous sortiez la nuit, quand vous dansiez, quand vous buviez. Ce soir comme tous les soirs depuis six mois, tout est fermé. Vous participez à une performance participative de 600 Highwaymen, une compagnie new-yorkaise, organisée dans le cadre d’In Extremis /Hospitalité, un festival du théâtre Garonne qui propose cette année, ne sachant pas il y a plusieurs semaines si le gouvernement autoriserait les théâtres à rouvrir en mai, des formes théâtrales à vivre en distanciel, allant de la pièce radiophonique à un étonnant audioguide à écouter au supermarché.
Ce jeudi, donc, il est 21 heures, le soleil se couche, vous êtes au téléphone, isolée dans votre chambre. Ce soir, vous allez réellement rencontrer quelqu’un sans jamais le voir. Son visage se dessinera dans la texture de sa voix, au gré de ses hésitations, de ses intonations, dans sa manière de reprendre sa respiration. Vous n’êtes pas seule avec lui. Entre vous, il y a cette voix robotique qui dirige votre conversation. Elle vous appelle «A» et lui «B». Elle demande : «Pourquoi n’avez-vous pas de tatouage ? Etes-vous déjà allée en Floride ? Comment êtes-vous assise ? Avez-vous déjà touché un revolver ? Savez-vous dresser un chien ? Priez-vous ?» Elle vous mitraille de questions, passant sans transition d’une interrogation anodine à une autre qui, mine de rien, se révèle intime.
Ensemble dans un monde parallèle
Les barrières tombent entre vous et l’étranger, en douceur, sans fracas, sans forcer. Ce n’est pas le grand déballage des drames familiaux, des traumatismes personnels, des blessures purulentes et autres événements morbides. Ce n’est pas non plus une mise en scène superficielle de l’autre comme sur les réseaux sociaux, où on se met à fantasmer sur quelqu’un qu’on ne connaît pas en lisant ses remarques éclairées sur Twitter ou en assistant au récit imagé de sa vie sur Instagram. C’est un rare spectacle de pudeur. D’empathie aussi. Une vraie rencontre avec l’altérité.
Guidée par les ordres de la voix robotique, vous vous racontez différemment, avec humilité et étonnement, en explorant avec précision un détail de votre quotidien qui apparaît soudain comme le moins banal du monde. Quand c’est au tour de «B» d’évoquer ses habitudes, ses ancêtres ou de décrire sa maison, vous vous délectez de le trouver si différent de vous. Vous l’écoutez parler de son enfance, amener à se souvenir, lui, de la plus vieille photo le représentant, celle où il avait 4 ans, de longs cheveux bouclés et un casque audio trop grand pour lui vissé sur la tête. Dans sa différence, il vous apparaît étrangement familier. Vos corps proches. Vous vous imaginez ensemble dans un monde parallèle, sensible et mystérieux. Le robot entre les questions tisse une histoire. Il vous la fait jouer. Votre voiture est tombée en panne, il fait nuit, vous êtes tous les deux dans un désert. La scénographie qu’il crée fait que vous finissez par réellement vivre une aventure avec l’homme inconnu. La preuve, après l’appel vous en gardez un souvenir palpable, une image de vous deux parlant autour d’un feu.
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