Par Jean-Baptiste Jacquin Publié le 18 mai 2021
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dénonce des atteintes aux droits de l’homme dans une unité pour détenus handicapés ou en perte d’autonomie.
Les lecteurs du Journal officiel de ce mardi 18 mai devront avoir le cœur bien accroché pour lire les recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) sur cette « unité de soutien et d’autonomie » de la prison de Bedenac, en Charente-Maritime. Ce bâtiment, conçu pour accueillir des personnes détenues vieillissantes et à mobilité réduite, rivalisait de promesses en matière de prise en charge. Mais il a beau être de construction récente (2013), ce qu’il s’y passe fait davantage penser aux asiles de la première moitié du XXe siècle.
A l’issue d’une visite de six contrôleurs du 29 mars au 2 avril, l’autorité indépendante a décidé de saisir en urgence, le 16 avril les ministres de la santé, de la justice et de l’intérieur, en raison des « atteintes à la dignité et du non-respect du droit à la santé et à la sécurité » constatés, « constituant un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
Parmi les vingt détenus de ce quartier, âgés en moyenne de 68 ans, « trois souffrent d’incontinence urinaire ou fécale et ne bénéficient d’une tierce personne pour la toilette que deux à trois fois par semaine ; elles attendent le retour de l’aide à domicile en milieu rural dans leur lit souillé d’urine ou de matières fécales », lit-on sous la plume des contrôleurs.
Assurer leur « droit d’accès aux soins »
Plusieurs personnes souffrent de démence, à différents stades. L’une d’entre elles « a été vue par les contrôleurs en train de décortiquer et manger son réveil en plastique (seul objet qui ne lui avait pas été retiré) et boit régulièrement l’eau des toilettes en utilisant ce qu’elle trouve comme gobelet ».
Sept personnes en fauteuil roulant ne peuvent rejoindre leur lit « qu’au prix d’efforts et de contorsions importants, aidées par la potence du lit mais avec un risque de chutes fréquentes, d’autant que certaines n’ont plus l’usage d’un bras, d’une jambe ou des deux jambes ». Un détenu de 150 kg tombé à terre pendant la visite des contrôleurs « n’a pu être relevé et n’a été transféré à l’hôpital qu’au bout de deux heures et demie avec l’aide des sapeurs-pompiers ».
Pour Dominique Simonnot, nommée en octobre 2020 à la tête du CGLPL, cela pose d’abord « la question du maintien en détention de personnes aussi malades ». Sa première recommandation est de mettre un terme « sans délai aux conditions indignes de détention des personnes souffrant de pathologies et handicaps incompatibles avec les prises en charges proposées », assurer leur « droit d’accès aux soins » et mettre en place « l’assistance personnelle » dont elles ont besoin.
Insuffisance du personnel soignant
L’administration pénitentiaire et l’agence régionale de santé (ARS) ont été alertées à plusieurs reprises depuis quatre ans de la situation de ce quartier niché au sein du centre de détention charentais de 193 places. Le médecin généraliste a démissionné début avril, « ne pouvant plus accepter éthiquement les conditions d’hébergement et de soins de ses patients détenus », apprendront les lecteurs du JO. Le planning de l’unité sanitaire de la prison révèle que « très souvent », une seule infirmière est présente pour l’ensemble de l’établissement.
Dans ces conditions, Mme Simonnot s’étonne de la réticence des juges de l’application des peines à accorder une suspension de peine pour raison médicale ou un aménagement de peine, prévus par la loi. Elle cite l’exemple d’un homme « qui n’a plus de jambes », pour lequel une place en Ehpad avait été trouvée, à qui cela a été refusé en 2020, contre l’avis du médecin, en raison de sa « dangerosité » et du « risque de récidive ».
Les ministres de la santé et de la justice, qui disposaient de trois semaines pour faire part de leurs observations avant la publication au JO de ce terrible constat, ont adressé leur réponse lundi soir. Dans ce courrier, Olivier Véran et Eric Dupond-Moretti réaffirment la volonté des deux ministères, dans le cadre d’une feuille de route dévoilée en 2019, d’améliorer la prise en charge sanitaire des personnes détenues. Mais un problème reste à ce jour sans solution : la tarification des actes du personnel paramédical, incompatible avec le temps que prend l’entrée en prison par rapport à une intervention à domicile.
Sur la situation de Bédenac, ils reconnaissent l’insuffisance du personnel soignant. Des crédits ont bien été débloqués pour l’agence régionale de santé, mais les recrutements ne sont pas faits. Les ministres admettent que deux détenus ont un niveau de dépendance « qui dépasse les compétences de l’administration pénitentiaire ». Ils regrettent eux aussi, mais à mots couverts, que les juges n’appliquent pas davantage la suspension de peine pour raison médicale.
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