Par Matthieu Goar Publié le 21 mai 2021
Selon le baromètre du Cevipof pour « Le Monde », le nombre de « vaccino-sceptiques » recule parmi la population, mais une majorité de Français restent critiques quant à la gestion globale de la crise sanitaire depuis quinze mois par le gouvernement.
Le temps est-il déjà venu de tirer des conclusions sur la gestion de la crise sanitaire ? Impossible de répondre à cette question, tant l’avenir est soumis à de multiples facteurs : l’apparition et la pénétration de nouveaux variants, la solidité de la couverture vaccinale, le relâchement de Français épuisés par des mois vécus au rythme du virus…
A l’approche de l’été, l’épidémie s’essouffle, mais elle n’est pas terminée. Pourtant, après un premier semestre encore marqué par les mesures restrictives, la France est en train de goûter une nouvelle fois à la « vie d’avant », avec la réouverture, depuis mercredi 19 mai, des « terrasses » et de nombreux commerces et le décalage du début du couvre-feu à 21 heures.
Ce regain d’optimisme est perceptible dans l’humeur de l’opinion scrutée depuis des mois par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), qui a travaillé notamment avec l’institut OpinionWay. En février, après un an de pandémie, Le Monde avait déjà publié les résultats de ce « Baromètre de la confiance politique ». Au pied de la troisième vague, la lassitude et la morosité s’étaient propagées dans toutes les strates de la société.
Le bénéfice collectif mieux compris
Trois mois plus tard, ces deux sentiments sont toujours très présents chez les Français interrogés, mais en baisse (– 1 et – 7), alors que la confiance, la sérénité et le bien-être sont en hausse (+ 6). Un fait inédit depuis les fêtes de fin d’année 2020.
« Avec l’allègement des contraintes et le développement de la campagne vaccinale, il y a une injection de confiance. Mais cela ne suffit pas à endiguer un pessimisme plus structurel sur l’état du pays, tempère Bruno Cautrès, politiste au Cevipof et spécialiste de l’analyse des comportements et des attitudes politiques. L’humeur du pays est toujours à l’inquiétude. »
Ce vent d’optimisme a une cause principale : la vaccination. Clés d’une éventuelle sortie de crise et armes possibles à long terme contre le virus, les vaccins sont de plus en plus approuvés par les Français ; 65 % du panel dit vouloir se faire vacciner ou avoir déjà reçu une dose (+ 16 %). La hausse des individus convaincus s’explique d’abord par un fait logique : la part plus importante de personnes immunisées par l’un des vaccins (+ 27 %), alors que la France a franchi, selon les chiffres communiqués jeudi soir, le seuil des 21,6 millions de personnes ayant reçu la première dose.
Mais les « vaccino-sceptiques » sont aussi en net recul (20 %, – 10 points ; 13 % hésitant encore, par ailleurs), comme si les images des vaccinodromes pleins et la perspective d’un retour à la normale convainquaient une partie des réticents ; 73 % pensent même que « le bénéfice collectif de la vaccination vaut la peine de se faire vacciner contre le Covid-19 ». Des taux beaucoup plus élevés qu’à l’automne.
En octobre 2020, dans une vaste enquête de l’Ipsos, la France, avec 54 % d’intentions vaccinales, figurait en dernière position d’un groupe de quinze pays étudiés, notamment l’Allemagne, le Royaume-Uni, ou encore la Chine.
« Il y a eu un doute très fort vis-à-vis des vaccins et de la stratégie en France, se souvient Bruno Cautrès. N’oublions pas qu’en janvier-février on ne parlait que du retard et des difficultés à prendre un rendez-vous… Le changement s’est fait avec les images des vaccinodromes où tout semble bien se passer et par les relations interpersonnelles : on est d’autant plus en confiance quand un frère, une mère, un voisin a déjà reçu une dose. »
Alors que, jeudi, le premier ministre Jean Castex a annoncé l’élargissement de la campagne de vaccination à tous les adultes à partir du 31 mai et non plus à partir du 15 juin comme initialement prévu, 75 % des personnes interrogées se disent également favorables à une vaccination « sans ordre de priorité » (22 % y sont opposées). Les opinions sont, par contre, beaucoup plus mitigées sur la question de rendre le vaccin obligatoire pour les personnes résidant en France (51 % favorables, 46 % opposées) ou sur le fait d’accepter de recevoir « n’importe quel vaccin autorisé » (43 % d’approbation, 54 % de refus), sans doute à cause du scepticisme persistant à l’égard du vaccin d’AstraZeneca.
Et même si l’inquiétude vis-à-vis des variants est toujours très prégnante (71 % des sondés sont pessimistes sur la maîtrise future de l’épidémie à cause de ces nouveaux variants, 26 % optimistes), 53 % des Français pensent que les vaccins permettront de « sortir rapidement de la crise ».
Réticence aux politiques
Cette piqûre d’optimisme ne profite pas forcément à l’exécutif ; 38 % des sondés apprécient la gestion globale de la crise par le gouvernement (58 % d’avis opposés), un taux qui reste stable (+ 1 %) durant cette période où le président de la République a pris un double pari : d’abord, ne pas reconfiner jusqu’au point de rupture des services de réanimation, puis déconfiner contre l’avis de nombreux épidémiologistes. Enfin 37 % éprouvent de la fierté sur la façon « dont la France a géré la crise » (59 % ont un avis inverse).
Salué pour de nombreuses mesures – la mise en place du chômage partiel et des aides aux entreprises, 63 % et 61 % d’approbation –, le bilan de l’action du gouvernement est plus mitigé en matière sanitaire ou sur certaines restrictions (l’information sur la crise sanitaire, 45 % ; la situation dans les écoles, 42 % ; la vaccination, 38 % ; l’ouverture des commerces, 31 %).
De plus en plus rétives aux représentants politiques, les personnes interrogées saluent, en revanche, un autre domaine peu documenté encore : la façon dont la société ne s’est pas disloquée ; 50 % du panel estime ainsi que « les Français font preuve de civisme » durant cette crise. Et 30 % pensent qu’ils sont« responsables de l’amélioration de la situation » (23 % pour les scientifiques et 22 % pour les ministres concernés).
En première ligne lors du conseil de défense quasi hebdomadaire et lors de ses allocutions, Emmanuel Macron ne récolte que 10 % d’opinions positives sur cette question. Au contraire, 25 % des sondés affirment que le chef de l’Etat a contribué à « dégrader la situation », quelques points derrière les ministres (29 %) et les citoyens eux-mêmes (27 %).
Difficile encore de savoir à quel point le climat politique des mois à venir, notamment lors de la campagne présidentielle, sera corrélé à ce long épisode sanitaire. Mais les quinze derniers mois ont d’ores et déjà laissé des traces ; 77 % des personnes interrogées pensent qu’il y a eu « des fautes de la part de certains membres du gouvernement dans la gestion de cette crise », 73 % estiment qu’il« faudra que le gouvernement rende des comptes sur sa gestion de la crise ».
Et la méfiance se lit aussi à travers certaines idées complotistes ou rumeurs qui se répandent. Ainsi, 55 % des sondés estiment « probable » que les « dirigeants aient connaissance de choses très importantes concernant l’épidémie de Covid-19 dont les citoyens ne sont pas informés ».
D’autres avis non étayés font leur lit dans l’opinion – « les médias traditionnels répandent de fausses informations sur le Covid-19 »(51 %) ; « la crise sanitaire fournit l’occasion au gouvernement de surveiller et de contrôler les citoyens » (47 %) ; « le gouvernement utilise la crise sanitaire pour manipuler les prochaines élections »(43 %). Une autre façon de mesurer la défiance et donc de relativiser cette poussée d’optimisme.
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