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lundi 15 février 2021

Témoignages Covid-19 : «Dès qu’un proche est hospitalisé, les familles ne sont plus maîtres de rien»


par Julie Richard   publié le 14 février 2021

«Libération» a recueilli les témoignages d’une dizaine de femmes dont les proches ont étés hospitalisés après avoir contracté le virus. Toutes ont souffert de l’impossibilité de maintenir le lien avec leur proches à l’hôpital.

«Dès l’instant où mon mari est sorti de la maison, je ne l’ai jamais revu.» Derrière le combiné, Jacqueline peine à contenir son émotion. Son mari, décédé en décembre dernier, compte parmi les 80 803 personnes tuées par le Covid-19 en France depuis le début de la pandémie. Comme la plupart des familles de victimes, cette habitante des Vosges en est sortie traumatisée.

Son cauchemar commence en novembre dernier, quand son mari, âgé de 77 ans, est admis à l’hôpital pour être opéré du pied. C’est là qu’il aurait été infecté par le Covid-19. Jacqueline est alors informée qu’elle ne peut plus lui rendre visite. «J’ai appelé de nombreuses fois pour avoir de ses nouvelles. Je voulais m’assurer que le personnel soignant avait mis le téléphone portable de mon mari à charger pour que je puisse le joindre moi-même», explique Jacqueline, qui se rappelle avoir eu beaucoup de mal à joindre les médecins. «Le service Covid sonnait occupé presque tout le temps. Au moment où j’ai finalement eu quelqu’un au bout du fil, on m’a répondu avec agacement : ’'Madame, vous pensez qu’on a que ça à faire de gérer les téléphones des gens ?’'». Finalement, les soignants lui donneront des nouvelles laconiques de temps en temps mais elle ne parviendra jamais à avoir son mari directement au bout du fil.

«Ça sonnait dans le vide»

Jacqueline n’est pas la seule à avoir pris de plein fouet la gestion des services d’hôpitaux débordés par les évènements. Au plus fort de la première vague, Colette en a aussi été victime. Hospitalisé fin mars dans un établissement bourguignon, son mari, âgé de 70 ans, est, comme celui de Jacqueline, décédé seul. «Les services étaient débordés, je ne leur jette pas la pierre. Mais j’ai eu beau insister, insister, l’hôpital ne m’a jamais laissé être auprès de lui, même juste avant sa mort.» Dans l’hôpital du Gard où son père était hospitalisé, Léocadie s’est, elle aussi, vue refuser l’entrée dans sa chambre au motif qu’elle était cas contact. «Je n’ai même pas pu l’accompagner dans ces derniers instants. Ça me brise le cœur quand je pense à ce qu’il a vécu», sanglote-t-elle.

Gisèle de son côté reconnaît n’avoir eu aucun lien avec les médecins de son père (84 ans) décédé du Covid-19 en mars dernier : «Une seule personne pouvait appeler les infirmières deux fois par jourpour ne pas saturer la ligne téléphonique. Avec ma mère et mon frère, on devait se coordonner et se faire passer les informations entre nous. Heureusement les infirmières étaient gentilles avec nous mais je n’ai jamais pu avoir de contact direct avec lui», explique-t-elle.

«A partir du moment où un proche est hospitalisé, nous les familles, ne sommes plus maîtres de rien», résume Pascale, dont le père a contracté la maladie il y a un peu plus d’un mois à Lyon. Un an après la première vague, la Lyonnaise regrette que les protocoles de certains hôpitaux soient encore aussi stricts. «L’hôpital où était mon père était un vrai blockhaus. Tout était barricadé et on ne pouvait même pas dépasser l’accueil», dit-elle.

Pendant les cinq premiers jours de son admission, ni Pascale, si sa mère ne peuvent avoir de nouvelles. «Quand je téléphonais, je tombais sur un standard automatique. Il fallait communiquer la raison de notre appel. Et la machine, qui ne comprenait qu’une fois sur deux, nous dirigeait vers le service Covid où ça sonnait dans le vide», raconte Pascale. Quand au bout d’une énième tentative elle parvient à avoir une infirmière au bout du fil, elle se heurte aux refus de celle-ci de donner des informations médicales sur l’état de santé de son père, au motif que seuls les médecins sont habilités à communiquer ce type d’information. Si son père s’en est finalement sorti, Pascale confie avoir eu très peur : «Quand on est dans le stress, cinq jours sans nouvelles c’est extrêmement long [] A la fin, on allait sur le trottoir pour espérer lui faire coucou par la fenêtre.»

«Uniformiser les protocoles de visites»

Endeuillée depuis le décès de son père, Muriel, elle, semble avoir été mieux épaulée par les soignants. Fin mars, celui-ci, placé en Ehpad, contracte le Covid. Alors que son état se dégrade, il est hospitalisé à Valence. «Je ne remercierai jamais assez les soignants de l’hôpital qui se sont montrés très disponibles et ont fait preuve d’une grande humanité», confie celle qui a bien conscience d’être «sans doute parmi les mieux lotis». Elle s’étonne néanmoins : «J’ai l’impression que chaque hôpital a sa propre politique, chacun fait ce qu’il veut dans son service car l’ARS [Agence régionale de santé, ndlr] n’est pas fichue d’imposer des consignes claires pour uniformiser les protocoles de visites pour les familles.»

Interrogée par Libération, l’ARS Île-de-France confirme qu’il n’existe, à l’heure actuelle, aucune directive de leur part ou du ministère de la Santé pour les visites dans les établissements de Santé, qu’ils soient publics ou privés : «Seule la direction de l’établissement décide d’appliquer les mesures qui tiennent compte à la fois de la conception architecturale et des circuits de soin mais aussi de la nature du service et de l’état de santé des personnes.»

Jugés «trop durs» et «déshumanisants», les protocoles des hôpitaux sont remis en cause par beaucoup de proches de victimes. Dans une pétition lancée le 28 janvier, Stéphanie Bataille, la fille du comédien Etienne Draber, décédé du Covid-19, exige que les familles puissent rendre visite aux malades hospitalisés. Sur le plateau de BFM TV lundi soir elle a témoigné : «Ni mon frère, ni ma mère ni moi n’avons plus eu le droit de le voir. On a assisté, derrière une tablette numérique, à sa dégradation.» Pour l’heure, sa pétition a récolté près de 13 000 signatures.

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