par un collectif de personnels de l'éducation publié le 18 février 2021
Un paradoxe frappe notre jeunesse : d’un côté, les enfants ne sont pas ou très peu victimes directes du Covid-19, de l’autre, ils sont très touchés par ses conséquences, mais en silence. «Un grand nombre est en grande souffrance psychologique et disent avoir envie de mourir», viennent d’alerter les sociétés savantes de pédiatrie. En mai 2020 déjà, un groupe de pédiatres et de spécialistes de santé publique soulignait dans une tribune que les conséquences psychiques et sociales du Covid-19 sur l’enfance nécessitaient un suivi et une coordination des politiques sanitaires. A raison : l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) signalait que fin octobre les hospitalisations en pédiatrie pour raisons psychiatriques étaient en hausse de 50 % par rapport à l’an dernier à la même date. Olivier Véran lui-même, ministre de la Santé, affirmait vouloir éviter une troisième vague de la santé mentale.
Ces chiffres du désespoir se conjuguent avec une autre réalité : la sédentarité excessive de nos enfants. Déjà problématique avant la pandémie, le phénomène a largement empiré en un an. De seulement 19 % des enfants et jeunes à respecter les recommandations de l’OMS sur l’activité physique quotidienne, ils sont passés à moins de 5 % pendant le confinement en 2020, selon la troisième édition du Report Card, publiée fin janvier. Les effets délétères du confinement touchent jusqu’au développement de la vision des enfants. «Pourquoi le confinement abîme les yeux des enfants», titrait le Figaro début février suite à une étude chinoise sur le sujet. En cause, l’usage croissant des écrans et le manque de lumière naturelle. Les plus touchés ? Les enfants de 6 à 8 ans.
L’extérieur, le nouvel horizon
Comment redonner à notre jeunesse ce qui manque à sa santé, à son bien-être autant physiologique que psychologique ? Un peu partout en France, des enseignants cherchent des solutions qui convergent toutes vers un nouvel horizon : l’extérieur. Et si donner cours dehors permettait à la fois de limiter les risques de contagion, et donc une nouvelle fermeture des écoles, de lutter contre la sédentarité et contre les symptômes dépressifs infantiles, tout en apportant à nos enfants l’horizon qui leur manque ?
Florence, qui enseigne en REP + à Beauvais, en est convaincue. Des études par centaines, publiées depuis plusieurs décennies, ont aussi largement prouvé l’intérêt de cette démarche et ses bénéficesautant sur la santé globale que les apprentissages et la conscience environnementale. Depuis septembre, comme douze de ses collègues, elle emmène ses élèves chaque jeudi dehors, dans un lieu public en face de son établissement. Pas besoin d’un grand parc ou d’une forêt, affirme-t-elle, on peut trouver des espaces de nature proches de l’école. Comme Florence, depuis la fin du premier confinement, des centaines d’enseignants entraînent régulièrement leurs élèves dehors. Pour eux, c’est la meilleure façon de respecter le protocole sanitaire tout en répondant aux besoins des enfants. Aujourd’hui, cette pratique encore rare s’impose comme une évidence sanitaire. D’autant plus dans cette période anxiogène, car le contact avec la nature permet d’éprouver de la liberté et de la joie. C’est fondamental pour notre équilibre psychologique.
Si sa diffusion s’est accélérée avec le Covid-19, le mouvement de l’école dehors n’est pas nouveau. En France, certains font classe à l’extérieur depuis déjà dix ans, la pratique est autorisée, voire officiellement «encouragée» depuis la publication du protocole sanitaire de juin 2020. Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, l’a également affirmé fin août : faire classe en plein air compte parmi les initiatives «qui sont très bonnes actuellement», évoquant même sa «vertu pédagogique».
Dans de rares académies, des formations au sein de l’Education nationale ou portées par des réseaux d’éducation à l’environnement ont été créées cette année pour répondre à une demande croissante. Des maires encouragent l’école dehors, financent des formations aux enseignants et éducateurs et prévoyaient même, en mai, des menus froids à la cantine pour faciliter jusqu’aux repas dehors. Même à l’université, des professeurs d’histoire ou de chimie réussissent à donner cours à l’extérieur.
Entretenir un contact avec la nature
Comment expliquer que cette pratique, ou plutôt ce nouvel espace d’enseignement demeure marginal en France ? Et qu’en petite enfance, les enfants sortent encore si peu ? Si elle commence à être légitimée à demi-mot par le gouvernement, elle n’est pas encore officiellement encouragée et soutenue. Aucune circulaire n’a été publiée ni aucune mention des bénéfices multiples d’un contact régulier avec la nature pour les enfants, pourtant déjà largement prouvés, et des inspecteurs de l’Education nationale peuvent encore interdire les sorties sans avoir à se justifier.
Alors, chers maires : facilitez l’accès régulier au-dehors pour tous les enfants de vos communes. En mettant à disposition des terrains communaux pour les écoles, en valorisant l’action des enseignants, des éducateurs et des parents qui emmènent déjà les enfants dehors, en encourageant ceux qui aimeraient le faire mais n’osent pas encore, en organisant l’achat de fournitures et vêtements adaptés pour sortir, en verdissant les cours de récré, en prévoyant des jardins pour les structures d’accueil de petite enfance, etc. Limiter la contagion ne s’opère pas en enfermant les enfants, dans les salles de classe ou les appartements, la solution est bien dehors.
Premiers signataires : Etienne Butzbach Vice-président de la Ligue de l’enseignement, François-Marie Caron Pédiatre, François Carré Professeur émérite, université Rennes-1, cardiologue, médecin du sport, Maryse Chrétien Présidente de l’Ageem, Pascal Clerc Professeur des universités en géographie, CY Cergy-Paris-Université, laboratoire Ecole, mutations, apprentissages, Dimitri de Boissieu Educateur à l’environnement, Dynamique Sortir !, Philippe de Saint-Louvent Animateur nature et formateur (Belgique), Julie Delalande Professeure des universités en sciences de l’éducation à l’université de Caen-Normandie, chercheuse au Cirnef, Martine Duclos Professeure des universités et praticienne hospitalière, CHU Clermont-Ferrand et université Clermont-Auvergne, Onaps, Moïna Fauchier Delavigne Journaliste et autrice, membre de Tous dehors France, Crystèle Ferjou Conseillère pédagogique départementale, coordinatrice classe dehors et autrice de Emmenez les enfants dehors ! , Luc Gwiazdzinski Géographe, professeur HDR. Laboratoire LRA, Roland Gérard Auteur, conférencier et cofondateur du Réseau école et nature, Yannick Guillodo Médecin du sport et cofondateur de l’UCPS-UBO, Alexandre Jost Fondateur de la fabrique Spinoza, Geneviève Lessard Professeure-chercheure Université du Québec en Outaouais en sciences de l’éducation (Canada), Hervé Lefebvre Maire de Samatan, président EPCI, Gäelle Le Ster Professeure des écoles, Pompaire, Florence Moureaux Professeure des écoles, Beauvais, Laure Pillot Professeure des écoles, Angers, Alexandre Ribeaud Professeur des écoles, Paris, Julie Ricard Pédagogue par la nature, cofondatrice du Réseau de la pédagogie par la nature (RPPN), David ThivelMCU-HDR, université Clermont-Auvergne, Onaps, Marie-Laure Viaud Maître de conférences en sciences de l’éducation, université Lille-Nord de France, Sarah Wauquiez Psychologue, enseignante, formatrice à l’école du dehors… Pour voir l’ensemble des signataires.
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