par Marie Klock publié le 12 février 2021
A Paris, une exposition rassemble les œuvres d’artistes où la peinture en bombe et autres techniques de pulvérisation se répondent dans un dialogue vif et élégamment chorégraphié.
Si, là, tout de suite, quelqu’un prononce le mot «aérosol», on aurait assez spontanément tendance à retenir sa respiration et à jeter des regards fiévreux autour de soi en vérifiant si l’on a bien ajusté son masque. Parce que, en février 2021, après un an d’angoisse, l’aérosol, c’est avant tout la «diffusion par aérosol» de l’abominable virus, un cauchemar de microgouttelettes potentiellement létales vaporisées à tout-va par l’ennemi public numéro un : autrui. Avec l’expo «AÉROSOLthérapie», la galerie parisienne Topographie de l’art offre un palliatif au flip en rappelant que la brumisation, c’est chouette, pour peu qu’elle véhicule des particules de couleur plutôt que de grippe.
Dans cette grande halle aérée où le regard peut toucher le bois brut de la charpente, le couple d’artistes et commissaires C.N. Jelodanti, anagramme de Clara Djian et Nicolas Leto, a sélectionné des travaux de quinze peintres et dessinateurs utilisant la peinture en bombe et autres techniques de pulvérisation voisines (sans oublier la brosse à dents) dans leur œuvre. Parti pris : le street art a été sciemment exclu de l’expo, même si son spectre n’est pas loin et que certains comme Jean Faucheur, cofondateur du collectif Frères Ripoulin, sont passés par le graffiti.
Devant les grands formats tels ceux la Suissesse Renée Levi, boucles et gribouillis taille surhumaine, on est pris d’une envie de se trémousser, comme une chorégraphie secrète calquée sur les gestes des artistes, car le spray a cela de fascinant qu’il permet de saisir ces derniers en trois dimensions, non seulement le mouvement sur la surface plane, mais aussi la distance de l’artiste par rapport à son support : éloignez la bombe de la toile, le flou s’accroît, les gouttelettes se clairsèment, rapprochez-la, le jet, de plus en plus net, devient aplat.
L’accrochage, lui aussi, invite à la danse en créant des courants d’air surprenants entre les œuvres qui dialoguent entre elles sous cape. Ainsi le duo Hippolyte Hentgen présente un triptyque de «Poodles», femmes-caniches engagées dans quelque chorégraphie tribale. La couleur, pschitée sur des corps féminins, dessine des silhouettes aux contours brumeux, oreilles touffues et long museau, affairées dans une abondante végétation minutieusement peinte selon la même technique, comme un photogramme. Les mains, vaporisées de près, convoquent des souvenirs rupestres préhistoriques. A côté, Jean Faucheur a bombé un portrait de femme, non en creux, mais en plein ; sur le mur d’en face, sa cousine la regarde dans les yeux ; entre les deux, sur un long présentoir qui fait pont, un leporello de Bruno Bressolin où se découpent à la queue leu leu les silhouettes fantomatiques d’objets qui pourraient très bien avoir été semés là par les femmes-chiens. Suivez leur chemin, et c’est la collision avec un immense et acerbe Orsten Groom qui dévoile sous les peintures de Lascaux –horreur !– des croix gammées plus anciennes encore, bombées là (de traviole, comme il se doit dans toute profanation réussie) par des cons d’aïeux qu’on est prié de ne pas vénérer. Cul par-dessus tête sur cette frise chronologique en accordéon, on finira de virevolter entre d’étonnantes raretés de Roland Topor, des tumeurs amusantes de Frédéric Fleury et des fantômes de Shoboshobo qui semblent faits de suie en suspension. Puis on époussettera ses vêtements : on s’en est mis partout.
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