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mercredi 17 février 2021

Surpopulation en prison : l’impossible équation d’Eric Dupond-Moretti

Par    Publié le 15 février 2021

Confronté à une nouvelle hausse du nombre de détenus, le ministre de la justice a exhorté, lundi, magistrats et directeurs pénitentiaires à mettre en œuvre la réforme des peines.

A la maison d'arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis).

Eric Dupond-Moretti sera, ne lui en déplaise, l’homme de la reprise de l’inflation carcérale. Le ministre de la justice a été nommé le 6 juillet 2020, au moment où le nombre de détenus venait de connaître une chute historique sous le double effet du quasi-arrêt des juridictions pendant le confinement du printemps et des mesures de libération exceptionnelle en fin de peine, prises pour limiter le risque épidémique en détention.

La population des prisons françaises ne pouvait que repartir à la hausse. Cela n’a pas tardé. « On dénombre aujourd’hui plus de 63 800 détenus avec une densité carcérale qui frôle désormais les 120 % en maisons d’arrêt au plan national », s’est inquiété le garde des sceaux, lundi 15 février, lors d’une réunion en visioconférence.

Dans un format inédit, pour mieux marquer sa volonté politique au sujet de la surpopulation en prison, M. Dupond-Moretti avait convié les hauts magistrats (présidents de cours d’appel et de tribunaux judiciaires, procureurs généraux et procureurs de la République) et les dirigeants pénitentiaires (directeurs interrégionaux et directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation) au sujet du « bloc peine ».

« Il faut agir »

M. Dupond-Moretti a exhorté les magistrats à mettre en œuvre cette réforme sur l’efficacité et le sens de la peine, votée dans loi de programmation de la justice en mars 2019, mais entrée en vigueur le 24 mars 2020. « Nous sommes en difficulté sur l’appréhension de ce texte entré en vigueur en plein confinement, le ministre a voulu remobiliser tout le monde sur le sujet », reconnaît le premier président d’une importante cour d’appel.

« Il faut agir, car nous ne pouvons pas perdre cette opportunité d’une population carcérale maîtrisée sur la durée qui offrirait à la fois de meilleures conditions de détention, dans le respect des exigences de la Cour européenne des droits de l’homme [CEDH] et de meilleures conditions de travail pour les personnels pénitentiaires », a martelé, lundi, M. Dupond-Moretti. Il a appelé ses interlocuteurs à « un travail conjoint ». Mais il est déjà bien tard.

Les prisons françaises comptent plus de 5 000 détenus de plus que lors de l’arrivée de l’ex-avocat au gouvernement. A ce rythme, elles retrouveraient avant la fin de l’année leur niveau de début 2020 (70 651 détenus). « La chance historique » évoquée par le ministre et celle qui l’a précédé place Vendôme, Nicole Belloubet, au sujet de la baisse observée pendant le premier confinement n’aura été qu’un mirage de courte durée.

De nombreux procureurs ont invoqué au second semestre 2020 un effet « sortie du confinement » avec une hausse des violences aux personnes, qui peuvent difficilement échapper à la case prison

Symptôme de la surpopulation, 700 matelas sont aujourd’hui posés au sol de cellules déjà bondées, soit 66 % de plus qu’au 1er juillet. De nombreuses maisons d’arrêt, ces établissements pour les détenus non encore jugés et les personnes condamnées à de courtes peines, affichent de nouveau des taux de suroccupation affolants comme à Nîmes (193 %), Toulouse-Seysses (170 %), Villepinte (157 %) ou Nanterre (140 %).

De nombreux procureurs de la République ont invoqué au second semestre 2020 un effet « sortie du confinement » avec une hausse des violences aux personnes, qui peuvent difficilement échapper à la case prison. Mais pour le ministre, les outils créés par la réforme pour réduire les courtes peines de prison, celles qui sont à la fois les plus nombreuses et les plus désocialisantes, ne sont pas assez utilisés. Les peines comprises entre un et six mois ferme, particulièrement visées par la réforme, restent très largement prononcées : 7 000 de ces peines ont été prononcées en moyenne chaque mois entre septembre et décembre 2020, contre 8 500 un an auparavant.

Le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, à la maison centrale de Saint-Maur (Indre), le 1er février.

Quant aux aménagements de peine de prison ferme désormais interdits pour les condamnations supérieures à un an (contre deux ans auparavant), ils doivent être la règle pour les peines inférieures à six mois et encouragés entre six mois et un an. Et ce, ab initio, c’est-à-dire dès le prononcé de la sanction par le tribunal. Or, si le nombre d’aménagements ab initio a explosé (886 par mois en moyenne contre 238 un an auparavant), il ne concerne que le dixième des condamnations éligibles.

L’autre combat engagé par le ministre, comme sa prédécesseure, sans le moindre résultat jusqu’ici porte sur la détention provisoire. Elle concerne près d’un tiers des détenus. Or, l’assignation à résidence sous surveillance électronique proposée le temps d’une information judiciaire, plutôt qu’un emprisonnement avant jugement, reste l’exception : elle est décidée dans moins de 2,5 % des cas éligibles.

Eric Dupond-Moretti avait bien annoncé dans sa circulaire de politique pénale générale du 1er octobre 2020 la diffusion prochaine d’une circulaire sur la « régulation carcérale » pour aborder précisément ces sujets. Elle n’est pas venue.

Cela remet la question des conditions de détention à l’ordre du jour. Or, le ministère tergiverse. « La France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, a redit M. Dupond-Moretti, mercredi 3 février, au Sénat. On peut lire dans les décisions de la CEDH les mots “inhumains”, “dégradants”. »

Nouvel affront à venir

Pourtant, la date butoir du 1er mars donnée le 2 octobre 2020 par le Conseil constitutionnel au gouvernement pour introduire dans la loi un recours pour les détenus en cas de conditions de détention contraires à la dignité humaine ne sera pas respectée. La censure constitutionnelle tirait les conséquences de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme en janvier 2020, en raison de la surpopulation structurelle de certaines prisons. Et surtout en raison de l’absence de recours effectif qui permettrait à un détenu de faire constater par un juge des conditions de détention contraires à la dignité humaine, afin d’y mettre fin.

Certes, le délai imposé par le Conseil constitutionnel était serré. Et sa nouvelle jurisprudence, stricte sur les cavaliers législatifs, a empêché le gouvernement d’introduire un amendement sur cette question en décembre 2020 dans le projet de loi sur le parquet européen.

En attendant, le gouvernement devrait subir un nouvel affront sur ce sujet. Le 27 janvier, le Conseil d’Etat a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur l’absence de recours des condamnés sur les conditions carcérales. La censure pour « atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution » ne fait guère de doute après celle du 2 octobre 2020 qui ne concernait que les prévenus.

Ce nouveau droit attendra. Eric Dupond-Moretti compte profiter de ce délai pour préparer d’autres articles de loi sur la condition carcérale, créant, par exemple, de nouveaux droits sociaux sur le travail en prison.



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