par Un collectif, de pédopsychiatres publié le 18 février 2021
Les centres de consultations pour enfants suffoquent sous la pression, manquent de moyens. Il faut investir dans la santé psychique des plus jeunes, demande un collectif de soignants.
Déferlement de demandes dans les services de pédopsychiatrie. Aux parents, inquiets, souvent la même réponse : nous vous rappellerons quand nous aurons de la place, merci de patienter. Dans les coulisses, faute de moyens, on doit opérer un tri dans la liste d’attente. Prioriser les situations urgentes. Privilégier les enfants en bas âge avec des troubles précoces du développement et auxquels il faut prodiguer des soins au plus vite en saisissant l’ouverture offerte par la plasticité cérébrale des premières années de la vie. Favoriser les enfants «épidermiques» qui cassent les oreilles des professeurs, les meubles, les pieds des camarades, la dynamique de classe et qui débordent une école. Il y a, au mieux les ados décrocheurs terrés chez eux, solitaires derrière leur écran ; au pire, les adolescents qui passent à l’acte, suicidaire ou explosif. Obligeant à l’action, ces situations mobilisent une partie des moyens humains et techniques, insuffisants, dont nous disposons.
Mais tous les autres ? Les discrets qui peinent en silence, les enfants «limaçons» dans les apprentissages et souffrant de leurs difficultés, les mineurs maltraités physiquement et /ou psychiquement, et tant d’autres dont la symptomatologie ne crie pas au secours mais qui, en souterrain et à leur insu, conçoivent des «bombes» qui s’exprimeront demain sous forme de dépression, de passages à l’acte auto ou hétéroagressifs, de troubles enkystés. Pour tous ceux-là, pas de moyens octroyés aux secteurs – les services de psychiatrie infanto-juvénile de proximité – par les pouvoirs publics. Sont prévus seulement le remboursement des consultations privées sur quelques séances, des guichets uniques, des plateformes expertales, à distance du bassin de vie de l’enfant – l’école, le collège, le domicile, l’arrondissement – et qui le voient ponctuellement pour une évaluation et un diagnostic avant un adressage sur le service de psychiatrie infanto-juvénile de proximité, saturé ! L’on doit alors se tourner vers le privé, démarche périlleuse. Les psychiatres, pédopsychiatres, orthophonistes sont des espèces en voie de disparition. Et voilà madame pourquoi votre fille est muette ! Il y a lieu ici de s’inquiéter sur le sous-financement chronique de la pédopsychiatrie.
A la fois dentellières et fourmis
A côté de cette gestion désolante qui chaque année rabote en silence la psychiatrie, il y a tous ces enfants déjà suivis par nos services pour des troubles variés nécessitant des soins complexes. Alors faisons-nous au mieux, des consultations de guidance – chargées notamment des évaluations, des diagnostics, des projets de soins et de leur organisation – aux approches multidimensionnelles associant plusieurs professionnels de nos équipes en partenariat, et de plus en plus, avec les secteurs privés et associatifs. Tandis qu’il nous arrive de nous faire dentellières avec des parents en grande difficulté ; ou bien souvent fourmis tricotant, pour bon nombre d’enfants, les liens nécessaires et de proximité, avec les écoles, collèges et lycées, la protection de l’enfance, les réseaux associatifs de proximité, les maisons départementales du handicap. Ces MDPH, ainsi fait l’acronyme, octroient sur certificat médical et formalités administratives, lourdes, pour tel enfant des assistances humaines en milieu scolaire, des forfaits pour des soins dans le privé, pour tel autre une prise en charge par un Institut médico-éducatif, un Sessad (1), un Itep (2), eux-mêmes surchargés.
Nos centres de consultations bien souvent ressemblent à des ruches bourdonnantes et très vivantes où se côtoient des enfants et familles d’Europe, d’Afrique et d’Asie, certains parmi eux en grande précarité. Mais nous suffoquons de la pression liée au manque de moyens. «Par quel bout prendre les choses ?» nous demandait récemment un personnage influant interpellé par un journaliste dans un arrondissement populaire de Paris. Mal lotis en moyens relativement aux besoins, immenses, ces arrondissements sont un miroir grossissant de la situation en France pour les enfants au psychisme troublé, situation critique.
Il y a lieu d’agir conjointement sur plusieurs fronts et à différents niveaux.
Certes nos centres de consultations – les centres médico-psychologiques, les centres médico-psycho pédagogiques – ne sont pas, dans leur libellé, des centres d’expertise. Sans attendre le «label» du diagnostic par une plateforme dédiée, ils soignent les enfants d’aujourd’hui, adultes de demain. Cette cause est-elle suffisamment digne d’intérêt pour justifier qu’on lui délègue des moyens, humains et financiers, au prorata des besoins en augmentation, à la mesure du malaise social grandissant et de ce que nécessiterait la croissance démographique dans certaines régions ou arrondissements des grandes villes ?
Une réforme du financement de la psychiatrie, censée être mise en œuvre début 2022 prévoit, à terme, une tarification des prises en charge ; les calculs excluent la tarification des réunions d’équipe autour d’un enfant, parmi les éléments essentiels des soins ; ils pénaliseront très vite les prises en charge trop longues, au-delà de dix-huit mois. C’est problématique quand on sait qu’il faut parfois des années pour construire ou reconstruire un lien avec un enfant et /ou sa famille. La dotation de financement accordera une place à la qualité. On s’attendrait à la qualité de soins. Il s’agit de la qualité des procédures dont on sait le pouvoir chronophage.
Du chiffre ou du soin
Il est un moment où l’on doit se questionner sur ce qu’on fait : fait-on du chiffre ou fait-on du soin ? Options difficilement conciliables a priori, le soin pense d’abord à ce qui est juste et judicieux pour chaque enfant et tente de l’accompagner vers son être adulte. Le chiffre gère, une pénurie en l’occurrence.
Les psychiatres de terrain connaissent les chiffres. Ils sont prêts à s’investir dans des réflexions en économie de la santé, sur des bases humanistes et dans une visée à long terme, où prévention et soins au juste coût pour tous sont des objectifs communs. Ainsi faudra-t-il prendre en compte les effets sur la santé des perturbateurs endocriniens, des jeux vidéo, des réseaux sociaux, des écrans dont l’effet addictif a un impact sur le cerveau immature de l’enfant jusqu’à induire des troubles d’allure autistique. Ainsi faudra-t-il questionner les facteurs générateurs de précarité dont on connaît l’impact sur la santé psychique des adultes comme de leurs enfants. Ainsi faudra-t-il questionner la place faite aujourd’hui à la culture et à l’enseignement supérieur relevant du secteur public. Nous sommes prêts à travailler avec tous ceux qui ont compris qu’investir dans la santé physique et psychique des enfants est non seulement souhaitable humainement mais aussi indispensable pour l’avenir d’un pays.
Signataires : Dr C. Zittoun, Dr C. Libert, Dr J.Fortineau, Dr C.Desobry, Dr J. Chambry, Dr P. Belamich, pédopsychiatres, AFPP, association francilienne des pédopsychiatres, API, association des pédopsychiatres des intersecteurs, Collège de pédopsychiatrie de la FFP, Fédération française de psychiatrie, FDCMPP, Fédération des centres médico-psycho-pédagogiques, SIP, Société de l’information psychiatrique, SFPEADA, Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées.
(1) Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile
(2) Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique, anciennement instituts de rééducation
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