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mardi 16 février 2021

«La Fabrique de l’ignorance», la science à l’épreuve de la triche industrielle

par Olivier Monod   publié le 16 février 2021

«Libération» diffuse le documentaire d’Arte sur les stratégies de création du doute employées par certains industriels pour cacher la vérité sur les effets de leurs produits.

«Plus les industries empêchent l’émergence d’un consensus scientifique, plus il leur est facile de lutter contre les poursuites judiciaires et contre la réglementation» : en une phrase, le médecin américain Stanton Glantz pose l’enjeu du documentaire la Fabrique de l’ignorance, diffusé sur Arte le 23 février, et que Libération rend disponible en avant-première sur son site à partir de ce mardi. Ses auteurs, Franck Cuvelier et Pascal Vasselin, y décortiquent méthodiquement les stratégies des industriels pour maintenir de manière artificielle le doute et l’ignorance dans leurs secteurs.

«Ils utilisent la méthode scientifique contre la science»

Tout commence en 1953 aux Etats-Unis. Les entreprises du tabac se trouvent confrontées à un essor de publications scientifiques prouvant le danger de la cigarette. Le «Big Tobacco» répond alors à la science par la science, en lançant un programme de recherche visant à «produire du savoir qui va à l’encontre d’autres faits établis. [Ils] utilise[nt] la méthode scientifique contre la science établie»,explique le sociologue Yves Gingras dans le documentaire. Pour arriver à leurs fins, ces industriels vont enquêter sur les causes du cancer du poumon autres que le tabac, semant ainsi la confusion dans l’esprit du public, mais aussi des décideurs.

Cet exemple sert de cas d’école. A partir de ce point de bascule, d’autres industriels affinent des stratégies pour maintenir le doute quant à la dangerosité de leurs produits. L’utilisation du bisphénol A dans les plastiques, le rôle des insecticides dans la disparition des abeilles ou encore le lien entre les activités humaines et le changement climatique, la Fabrique de l’ignorance plonge dans les grandes affaires de notre époque. Et décrit comment certaines entreprises s’attachent les services de scientifiques pour porter leur fausse parole et trouver des relais, rémunérés ou non, dans l’opinion publique. Une autre tactique régulièrement employée consiste à dénoncer «la fausse science». Les sciences environnementales ou l’épidémiologie ont ainsi connu des campagnes de dénigrement visant à disqualifier leurs résultats. Le glyphosate est sûrement un des cas les plus connus.

Bataille sur la définition de la science

Cette volonté délibérée de maintenir les sociétés dans l’ignorance et cette bataille sur la définition même de la science est devenue un champ de recherche à part entière. En première ligne, on retrouve l’historienne des sciences Naomi Oreskes, coautrice de l’excellent livre les Marchands de doute (Le Pommier, 2012). En France, le philosophe Mathias Girel s’intéresse, lui aussi, à l’agnotologie, soit la science de la production d’ignorance. On l’a vu lors de la crise du Covid, la première attaque entre scientifiques lorsqu’un débat apparaît, consiste, chez certains, à refuser à leur contradicteur le statut de scientifique sérieux.

Ces débats aboutissent à la création de communautés de personnes toutes d’accord entre elles sur les réseaux sociaux, comme l’analyse le directeur de l’Institut des systèmes complexes, David Chavalarias, dans le documentaire. Selon le chercheur, dont l’équipe enquête sur la twittosphère climatosceptique, le nombre de personnes impliquées sur ce sujet est limité, mais leur activité est démultipliée. «Sans les réseaux sociaux, les communautés de cette taille-là ne pourraient pas survivre à des faits qui démentent de manière aussi cinglante leur croyance», affirme-t-il.

Ce sujet est bien politique. Le climatoscepticisme scientifique est né chez des physiciens ultralibéraux pour qui les écologistes ont remplacé les communistes dans le rôle d’ennemi, a démontré Naomi Oreskes. L’histoire le prouve, la science est un espace de remise en cause du dogme dominant. Elle ne se heurte plus à l’Eglise, mais à l’économie de marché. Tout comme la religion d’Etat en son temps, l’économie libérale peut interdire une recherche, en ne la finançant pas, tout simplement.



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