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vendredi 19 février 2021

Reportage Vaccination des personnes handicapées : la délicate équation du consentement

par Elsa Maudet   publié le 17 février 2021

Considérés prioritaires, les résidents d’établissements spécialisés commencent à recevoir leurs doses, notamment à Créteil, dans le Val-de-Marne. S’ils ont eu des explications simplifiées en amont, il leur est difficile de bien saisir les enjeux du moment.

Après près d’un mois d’attente, les injections ont finalement pu débuter. Le coup d’envoi de la vaccination a été donné, ce mardi, au foyer d’accueil médicalisé (FAM) de la Pointe du lac, à Créteil (Val-de-Marne). L’annonce avait été faite le 7 janvier, par Jean Castex : les adultes handicapés accueillis dans des FAM et des maisons d’accueil spécialisées (MAS) pourront être vaccinés en priorité contre le Covid-19, quel que soit leur âge. L’opération devait démarrer le 18 janvier. En théorie. La plupart des établissements patientent toujours, en attente de doses.

Immense source de stress

«Ça me paraissait logique que ce soit notre tour, après les Ehpad. En internat, ce sont des personnes plus fragiles. Et c’est comme une grande famille: s’il y en a un qui le chope…» explique Thierry Crosnier, directeur du FAM de la Pointe du lac, accueillant des personnes autistes. Pas question de perturber la routine et les habitudes de résidents pour qui l’inconnue peut être une immense source de stress. La vaccination se fait donc dans la chambre de chacun, un lieu familier, où ils ont leurs repères. Un lieu, aussi, où aucune personne extérieure à l’équipe professionnelle n’a le droit d’entrer depuis près d’un an. Pas même les proches. «Les familles attendent ça depuis qu’on sait qu’il y a des vaccins, elles demandent si leurs enfants sont prioritaires», indique Anne Ribau, cheffe de service.

Car face à des adultes ayant une déficience intellectuelle, les familles ont leur mot à dire. Le FAM leur a communiqué en amont des informations sur le vaccin, afin qu’elles puissent en discuter avec leurs enfants et faire leur choix en toute connaissance de cause. D’ailleurs, alors qu’il était initialement question de vacciner avec les doses de Pfizer, l’ARS (Agence régionale de santé) a finalement décidé, un peu au dernier moment, de fournir des injections d’AstraZeneca. Des familles qui avaient donné leur accord pour le premier l’ont retiré pour le second, face aux interrogations sur son efficacité ou ses effets secondaires. Reste que c’est au résident que revient la décision finale. Car même si sa famille a donné le feu vert et si lui-même a affirmé son consentement au préalable, il a le droit de renoncer une fois devant l’aiguille.

Explications étape par étape

Brewenn Merlin, le psychologue du FAM de la Pointe du lac, a pris le temps, ces derniers jours, de préparer les résidents. De leur réexpliquer ce qu’était le virus, comment on s’en protège et d’aborder la vaccination. Des explications étape par étape, avec l’aide de pictogrammes pour rendre l’information la plus intelligible possible.

Thierry, 51 ans, n’a pas souvenir de cette préparation. Il croit qu’il vient de se faire vacciner contre la grippe et que c’est aussi pour lutter contre elle qu’il porte un masque. Le psychologue, à la voix et au comportement particulièrement doux, l’interroge : «C’est quoi le virus?» «Le cancer», répond Thierry. «Il sert à quoi le liquide qu’ils t’ont mis dans le bras?» poursuit avec toujours autant de délicatesse Brewenn Merlin. «Je sais pas moi, je suis pas médecin», lâche Thierry, le regard détourné, le corps fermé.

Kévin, 29 ans, croit aussi que le virus qui circule donne le cancer. Cancer, Covid, les sonorités s’emmêlent. Le jeune homme assure tout à la fois que le vaccin est «obligatoire» et que lui-même«voulai[t] le faire, pour se protéger du virus». Le masque, le gel, l’espacement au réfectoire : «C’est pour pas l’attraper», répète-t-il à chacune de nos questions. Comprend-il les effets du virus, le fonctionnement du vaccin ou du masque ? «Moyen, pas trop», confie-t-il régulièrement, en secouant la main pour signifier l’approximation.

Pour les familles comme pour les professionnels, la vaccination est un soulagement. Lors du premier confinement, les internes – le FAM a aussi un externat – n’ont pas pu retourner chez leurs parents durant deux mois et demi. Manquant souvent de mots, ils ont exprimé leur mal-être par des cris, des pleurs, de la violence envers eux-mêmes ou contre les autres. Pas question de recommencer.

Protéger leurs parents âgés

Et même sans aller jusqu’aux règles drastiques du printemps dernier, les mesures actuelles (interdiction aux familles de monter dans les chambres, plus de sorties à la piscine, restaurants et bars fermés…) pèsent. «Notre travail est d’aller vers plus d’interactions sociales, donc quand on les laisse confinés, on est à l’inverse du projet de vie», regrette Thierry Crosnier, le directeur. Par ailleurs, la vaccination, «c’est aussi protéger leur aidant familial. Leurs parents sont souvent âgés et ils ne sont pas forcément encore vaccinés», précise Réjane Silard, directrice des accompagnements à Apogei94, qui chapeaute le FAM. De quoi apaiser les retours en famille.

Ce mardi, le foyer d’accueil médicalisé de la Pointe du lac a vacciné trente personnes. Un bon calcul, pour Thierry Crosnier, car chaque flacon d’AstraZeneca contient dix doses. Le compte est rond. Résidents comme salariés recevront leur deuxième injection dans un délai de neuf à douze semaines.

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