Par Florence Rosier Publié le 18 février 2021
Quatre groupes de chercheurs sont parvenus à communiquer dans les deux sens avec des rêveurs lucides. Une fois sur cinq, ceux-là ont répondu de façon correcte à des questions précises.
Encore embrumé, vous émergez d’un rêve. Ne vous fuit-il pas déjà ? « Le rêve est le phénomène que nous n’observons que pendant son absence. Le verbe “rêver” n’a presque pas de présent », observait Paul Valéry dans Tel quel (1941).
La science, pourtant, est en voie de faire mentir l’écrivain. Des chercheurs sont parvenus à échanger en temps réel avec des personnes endormies et en plein rêve. Les expérimentateurs leur posaient des questions précises, et, en retour, il s’est avéré que ceux qui se prêtaient à l’expérience y ont correctement répondu dans près de un cas sur cinq. Une faible proportion ? « Elle est bien plus grande que si ces bonnes réponses résultaient du hasard », souligne Delphine Oudiette, chercheuse à l’Inserm et à l’Institut du cerveau (ICM), à Paris, et qui cosigne cette étude, parue dans la revue Current Biology jeudi 18 février.
Fait inédit, cet exploit se double d’une « jolie histoire », raconte Delphine Oudiette. Les quatre équipes qui cosignent l’article (une américaine, une allemande, une néerlandaise et une française) poursuivaient, chacune de son côté, ses propres travaux sur le même sujet. « Plutôt que d’entrer en compétition, nous avons décidé d’unir nos forces en publiant ensemble nos résultats. Reproduits quatre fois de façon indépendante, ceux-ci devenaient plus convaincants ! »
Code de communication
Toutes les expériences ont été réalisées sur des « rêveurs lucides » : ils avaient conscience d’être en train de rêver, durant la phase de sommeil dit « paradoxal ». Une capacité plus ou moins répandue : si la moitié des personnes interrogées disent avoir fait au moins un rêve lucide dans leur vie, moins de 0,5 % en fait au moins un par semaine (il est cependant possible de s’y entraîner).
Au total, 36 rêveurs lucides ont participé à ce travail : 22 aux Etats-Unis, 10 en Allemagne, 3 aux Pays-Bas, 1 en France. Le patient français aura pour sa part vu 65 expériences être réalisées sur lui, sur un total de 158 pour les quatre groupes. Le patient en question avait pour particularité d’être atteint de narcolepsie, une maladie chronique rare qui se traduit par des endormissements irrépressibles à tout moment de la journée.
Mais comment les chercheurs sont-ils entrés en communication avec ces rêveurs ? Côté expérimentateurs, par des sons (parole ou bips sonores), des flashs lumineux ou des stimuli tactiles (en tapotant le dos de la main un nombre précis de fois). Côté rêveurs, il a fallu ruser : des capteurs enregistraient leurs mouvements oculaires ou les contractions de leurs muscles faciaux.
Un code de communication était défini à l’avance. En réponse à une consigne donnée, par exemple, le rêveur devait bouger les yeux de gauche à droite d’un mouvement très ample – très différent du mouvement habituel des yeux durant le sommeil paradoxal. Pour dire « deux », par exemple, il devait faire deux fois ce mouvement. Autre canal d’échanges : en réponse à une question, il devait sourire deux fois pour dire oui et froncer les sourcils deux fois pour dire non. Les groupes américain, allemand et néerlandais ont soumis ces rêveurs à des problèmes mathématiques très simples, du type « Combien font 8 – 6 ? » Le groupe français, lui, a posé des questions du type « Aimez-vous le chocolat ? », ou « Quel est le nombre de tapotements effectués sur votre main ? »
« Accès direct »
Résultat : sur les 158 expériences, 29 (18,4 %) ont donné lieu à des réponses correctes, 5 (3,2 %) à des réponses incorrectes, 28 (17,7 %) à des réponses ambiguës et 96 (60,8 %) à une absence de réponse. Sur les 36 rêveurs testés, 6 ont fourni au moins une bonne réponse. « Il n’est donc pas si facile de dialoguer avec un rêveur lucide. Mais notre étude apporte la preuve que c’est possible »,résume Delphine Oudiette. Au-delà, « elle remet en cause la notion que le sommeil est un état de perte de conscience où l’on est coupé du monde ».
Ces expériences ont été soumises à une batterie de contrôles. A chaque fois, trois ou quatre experts notaient les réponses du rêveur. De plus, trois experts du sommeil ont vérifié que chaque rêveur se trouvait bien en phase de sommeil paradoxal. Pour cela, ils ont analysé les tracés des enregistrements du sommeil de ces derniers, tracés qui étaient réalisés à l’aide d’électrodes placées sur le scalp, les yeux et le menton. Ils ont ainsi vérifié que le cerveau de chaque dormeur présentait un rythme « thêta » (des ondes de 4 à 8 cycles par seconde), que ses mouvements oculaires étaient rapides et que son tonus musculaire chutait.
Ce travail donne donc vie à un vieux rêve de chercheur : « Avoir un accès direct à ce qui se passe dans la tête du rêveur », souligne Delphine Oudiette. Jusqu’à présent, en effet, on se contentait d’étudier le rêve tel qu’il était raconté après avoir été vécu durant le sommeil : « Un souvenir souvent biaisé, distordu par la conscience de l’éveil. »
Cette nouvelle possibilité ouvre une multitude de portes. « On pourrait tester l’hypothèse que le rêve favorise la créativité. Pour cela, on demanderait à des rêveurs de résoudre des énigmes sur lesquelles ils ont buté durant leur éveil », rêve déjà la chercheuse. Ou encore, on pourrait rechercher des signatures cérébrales des rêves selon leur contenu…
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