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vendredi 25 décembre 2020

«Toute la journée, nous devons lutter» : la lettre de Noël des réfugiés de Lesbos à Ursula von der Leyen

Par Maria Malagardis — 25 décembre 2020

Dans le camp de Kara Tepe, à Lesbos, le 19 décembre.

Dans le camp de Kara Tepe, à Lesbos, le 19 décembre. Photo Anthi Pazianou. AFP

C'est un courrier désespéré mais d'une rare dignité que des réfugiés cantonnés sur l'île grecque de Lesbos ont adressé cette semaine à la présidente de la Commission européenne.

«Chers Européens, chère Madame von der Leyen, nous vous souhaitons un joyeux Noël depuis le nouveau camp de réfugiés de Lesbos.» Ainsi commence la lettre envoyée mercredi par deux organisations regroupant des demandeurs d’asile cantonnés sur l’île grecque de la mer Egée.

Au moment des festivités de fin d’année, alors que le monde entier semble marquer une pause après une année si particulière, ces prisonniers malgré eux, contraints d’attendre sur cette île la fin de l’interminable procédure de leurs demandes d’asile, s’adressent pour la première fois directement à ceux qui tiennent leurs destins entre leurs mains : les dirigeants européens. Et en particulier la présidente allemande de la Commission européenne.

Des responsables qui, depuis 2016 et la conclusion d’un deal controversé avec la Turquie, se déchargent en réalité de la gestion de ces flux migratoires en les contenant, aussi longtemps que possible, aux frontières orientales de l’UE. Et notamment dans les camps installés sur les îles grecques qui font face à la Turquie.

A migrant couple hang out their laundry outside their tent, in the new refugee camp of Kara Tepe, in the island of Lesbos, on December 19, 2020. (Photo by Anthi PAZIANOU / AFP)

Dans le camp de Kara Tepe, à Lesbos, le 19 décembre. Photo Anthi Pazianou. AFP

Promesses en l’air

A Lesbos se trouve le plus grand d’entre eux, et même le plus grand d’Europe. Début septembre, ils étaient encore plus de 12 000 installés sur le site de Moria, devenu au fil du temps un gigantesque bidonville, lorsqu’un incendie s’est déclaré en pleine nuit, réduisant en cendres cet amoncellement de parpaings et de bicoques qui grignotaient chaque jour un peu plus les oliveraies environnantes. Nombreux sont ceux qui, ce soir-là, ont perdu dans les flammes le peu de biens qu’ils possédaient. 

On leur avait cependant promis de les reloger dans des conditions plus décentes. «Et nous étions heureux d’écouter ces promesses», rappelle la lettre des réfugiés. Avant d’ajouter : «Malheureusement rien de cela ne s’est produit».

Car les sinistrés de l’incendie de septembre ont été installés à la hâte sur un ancien terrain militaire qui n’aurait même pas été nettoyé des engins potentiellement létaux qui y traînent encore, comme le révélait un récent rapport de Human Rights Watch (HRW). Une langue de terre balayée par les vents et encerclée par une mer, particulièrement hostile en hiver.

Certes, une partie d’entre eux ont pu échapper à cet enfer et être relogés à Athènes ou envoyés dans un autre pays européen. Ce fut le cas notamment de quelques centaines de mineurs non accompagnés. Mais ces relocalisations s’effectuent toujours au compte-gouttes. Ou selon une logique indéchiffrable, sans qu’on puisse comprendre pourquoi certains mineurs non accompagnés ou certaines familles vulnérables sont encore condamnés à tenter de survivre sous ces tentes blanches plantées sur un sol rocailleux et inondé à la moindre pluie.

La semaine dernière, de nombreuses photos postées sur Twitter ont montré les effets ravageurs des précipitations qui se sont abattues sur Lesbos, transformant brutalement en marais infâme l’intérieur des tentes où pataugeaient des réfugiés désespérés.

«Les animaux ont plus de droits que nous»

Dans ce nouveau camp, ils sont encore plus de 7 000, dont plus d’un tiers d’enfants, à endurer ce calvaire. «Nous attendons toujours une quantité suffisante de douches chaudes», explique la lettre, qui se garde d’évoquer les détails les plus sordides. Pendant plusieurs semaines après leur installation dans ce lieu hostile, ces candidats à l’asile ont dû se contenter de se laver dans l’eau de mer (exploit plus compliqué pour les femmes). Et aujourd’hui encore, l’usage des douches reste limité à une fois par semaine pour chaque réfugié.

«Nous n’avons pas de chauffage pour nous tenir au chaud, pas d’école ou de garderie», énumèrent encore les représentants des réfugiés qui évoquent également les longues files d’attente pour se faire soigner et une nourriture «qui n’est pas saine».

A migrant man stands in front of his tent, in the new refugee camp of Kara Tepe, in the island of Lesbos, on December 19, 2020. (Photo by Anthi PAZIANOU / AFP)

Photo Anthi Pazianou. AFP

En réalité, la situation se révèle pire que celle de l’ancien camp de Moria. «Nous pouvions nous organiser. Nous avions mis en place des petites écoles, des magasins et beaucoup d’autres activités. Dans le nouveau camp, rien de cela n’est possible», déplorent les réfugiés, alors que même la promesse d’accélérer les procédures des demandes d’asile n’a pas été tenue.

«Toute la journée nous devons lutter pour avoir de l’eau potable, de la nourriture, un endroit chaud et nous vivons tous dans la peur et la détresse», soulignent-ils, comparant leur sort à celui des animaux : «Nous avons étudié les lois protégeant les animaux en Europe et nous en avons conclu qu’ils ont plus de droits que nous.»

La déshumanisation qui s’impose dans ces conditions de survie quotidienne conduit parfois au pire. Mi-décembre, une fillette afghane de 3 ans a été retrouvée à moitié consciente et ensanglantée, vraisemblablement violée, dans une des toilettes du camp. La lettre n’évoque pas ce drame sordide qui reste une exception. Mais on sent bien que les réfugiés sont conscients des dérives possibles de la situation où on les maintient, lorsqu’ils évoquent une étude faisant état de la multiplication des cas de dépression et des tentations suicidaires décelées chez un tiers de ceux cantonnés sur les îles grecques.

Dignité

L’Union européenne et le ministère grec des Migrations ont récemment conclu un accord pour construire un nouveau camp en 2021, qui permettrait d’héberger au moins 5 000 personnes. Reste que plus de 2 milliards d’euros ont déjà été déboursés depuis 2015 pour faire face à l’afflux migratoire en Grèce. Sans évoquer ce montant, la lettre s’interroge : «Où est passé cet argent ? Pourquoi n’est-il pas arrivé jusqu’à nous ?»

Mais c’est là où cette missive adressée à Bruxelles révèle la dignité de ceux qui se sentent oubliés de tous pendant cette période de Noël. Loin de se contenter de se plaindre de leur sort, les auteurs de la lettre soulignent qu’ils sont eux-mêmes «prêts à travailler dur, si seulement on [les] laissait faire et si on [leur] faisait confiance pour améliorer cet endroit».

Rappelant qu’il y a parmi eux des «ingénieurs, électriciens, médecins», ils dressent une liste des actions les plus élémentaires qui pourraient améliorer leur quotidien : «Réparer les installations sanitaires, mettre en place un drainage adéquat pour que notre camp ne soit pas inondé après la pluie, fournir le chauffage et l’électricité, avoir des espaces dédiés aux enfants, éclairer les rues principales du camp», etc. «Nous considérons que c’est notre camp et nous voulons avoir le soutien nécessaire pour l’améliorer»,écrivent-ils. C’est leur vœu pour Noël.

Sera-t-il entendu, voire exaucé ? Dans l’immédiat, les autorités grecques ont bouclé le camp pour tout le week-end. Même les rares sorties quotidiennes jusqu’à présent accordées leur sont désormais interdites jusqu’à lundi. Ce n’est pas Noël pour tout le monde en cette fin d’année 2020.


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