L’exposition croisée Tracey Emin-Edvard Munch à la Royal Academy of Arts a été interrompue par l’épidémie de Covid-19. Elle concluait une année marquée par la maladie pour la star de l’art international.
C’était un des rares événements culturels de cette fin d’année à Londres : inaugurée mi-novembre, l’exposition croisée Tracey Emin-Edvard Munch à la Royal Academy of Arts, intitulée « The Loneliness of the Soul » (« la solitude de l’âme ») a dû fermer mardi 15 décembre, après que la capitale britannique a été classée dans la catégorie « alerte maximale », l’épidémie de Covid-19 y étant fortement repartie à la hausse.
Dans trois pièces sombres en enfilade, l’enfant terrible des arts britanniques a choisi vingt-cinq de ses œuvres – principalement des toiles – et dix-huit peintures du maître norvégien de l’expressionnisme. Elles représentent presque exclusivement des femmes, de tous les âges, souffrant et saignant beaucoup dans le cas d’Emin. L’émotion et la solitude dominent – deux caractéristiques de l’œuvre de ces artistes, nés à exactement cent ans d’intervalle, en 1863 pour Munch, en 1963 à Croydon, dans le sud de Londres, pour Emin.
La Britannique admire le Norvégien depuis ses tout débuts. Sa première visite à Oslo date de 1998. « Je venais de faire une fausse couche, j’étais dans un chaos total », raconte-t-elle dans un documentaire diffusé début décembre sur la BBC. Sur place, elle a réalisé une vidéo d’elle, sur un ponton au bord de l’eau (celui-là même qu’avait si souvent représenté Munch sur ses toiles). Elle est recroquevillée comme un fœtus, puis elle se met à hurler, en référence, évidemment, à la célèbre toile de Munch (Le Cri). La vidéo est également exposée à la galerie londonienne White Cube, avec 50 selfies géants de l’artiste, 57 ans, surprise dans ses nuits d’insomnie. Cette deuxième exposition (« Tracey Emin : Living Under the Hunters Moon ») a, elle aussi, dû fermer ses portes, jusqu’à nouvel ordre. « Je suis amoureuse de Munch, non pas de son art, mais de l’homme. Je l’aime depuis que j’ai 18 ans », assureencore Emin au Guardian.
Hantée par la maladie, la mort et éclairée par une lueur d’espoir
Ces expositions arrivent à un moment grave pour la Britannique. Elle s’est confiée dans plusieurs longues interviews, la première auSunday Times fin octobre. Ses propos sont crus, regorgent de détails dérangeants, mais sont également très émouvants, à l’image de son œuvre – provocante mais profondément honnête. Son drame personnel a beaucoup été commenté dans les médias nationaux : Emin jouit d’une renommée internationale, elle est une star de l’art contemporain. Mais pas seulement. Son parcours personnel ressemble à une parabole de l’année 2020 pour les Britanniques : elle est hantée par la maladie, la mort et, sur la fin, éclairée par une lueur d’espoir.
Emin raconte qu’elle avait des problèmes urinaires depuis plusieurs années, qu’elle allait de moins en moins bien, consultait sans succès. Le diagnostic tombe enfin en juin, à la sortie du premier confinement en Angleterre : cancer massif de la vessie. Sa mère est morte en 2016 du même type de mal. A peine un mois plus tard, elle passe plus de six heures sur la table d’opération, douze chirurgiens lui prélèvent sa vessie, une partie du colon, mais aussi, les uns après les autres, tous ses organes reproductifs : l’utérus, l’urètre, les ovaires, une partie du vagin. Pour l’artiste, qui a toujours accordé une grande importance au sexe dans ses œuvres (elle s’est fait connaître grâce à My Bed et à sa Tent affichant les noms de tous ceux avec qui elle avait couché), l’ironie de sa nouvelle situation est terrible.
Emin porte désormais une poche intestinale. « J’ai demandé au chirurgien quelle était l’alternative au sac, il m’a répondu “la mort”, alors j’ai dit : “O.K. pour le sac” », confie-t-elle, mi-grave mi-drôle, à la chaîne américaine CNN. Dans son tout premier entretien, au Sunday Times, le 28 octobre, elle expliquait que parvenir à rester en vie « jusqu’au-delà de Noël serait une bonne chose ». L’espoir pointe dans les interviews suivantes. L’artiste est presque gaie dans celle accordée au Guardian, le 9 novembre. Elle y regrette d’avoir trop fumé, « le monoxyde de carbone se fixe dans la vessie », d’avoir perdu du temps, de n’avoir pas assez peint quand elle était plus jeune, mais dans les années 1990, « il y avait ce sentiment que la peinture était obsolète ».
Mais il n’est plus question de mourir à Noël. « Je veux me projeter dans l’avenir, ne plus penser au passé. Les regrets n’aident personne. J’ai du temps maintenant, peut-être trente ans. Je veux l’utiliser pour pratiquer mon art le mieux possible. » Tracey Emin est en rémission, elle a déménagé dans une lumineuse demeure géorgienne du quartier central de Marylebone, elle a quitté l’East End et le quartier de Spitalfields où elle vivait depuis des années. Elle a déplacé ses studios à Margate, la ville de bord de mer (dans le Kent) où elle a passé son enfance et où vit son jumeau. La fatigue est là mais l’artiste a repris le chemin de son studio, à en croire le documentaire que vient de lui consacrer la BBC.
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