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mardi 22 décembre 2020

Au CHU de Nantes, avec l’unité d’accueil des enfants en danger

Chaque année, les professionnels de ce service spécifique installé dans l’hôpital reçoivent et écoutent un millier d’enfants à la suite de suspicions de violences. 

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Publié le 22 décembre 2020

« Papa m’a tapé parce que j’avais fait une bêtise. 

– Quelle bêtise ?

– J’avais fait tomber des petits pois de mon assiette en mangeant. »

Nathalie Vabres, pédiatre coordinatrice de l’unité d’accueil des enfants en danger du centre hospitalier universitaire de Nantes, a gardé en mémoire l’échange avec B., ce petit garçon de 8 ans conduit dans son service par les gendarmes, pendant le premier confinement. En janvier, l’école, soupçonnant des maltraitances au sein de la famille, avait fait un signalement au parquet. Deux mois plus tard, alors que les établissements scolaires ferment leurs portes en raison de la crise sanitaire, l’enseignante, inquiète de savoir son élève cloîtré chez lui avec ses parents, sans soutien extérieur, relance la justice.

Les forces de l’ordre interviennent au domicile de l’enfant, évitant peut-être un drame ; à l’époque, à chaque « bêtise », un nouveau coup tombe. « Avant le confinement, il pouvait se réfugier chez la voisine quand les tensions devenaient trop fortes. Mais à partir de mars, son père lui a dit qu’il allait mourir du Covid s’il sortait de la maison », raconte Nathalie Vabres.

L’enfant est fréquemment puni, enfermé dans sa chambre, avec interdiction d’aller aux toilettes. « Forcément, il souille sa chambre, ce qui entraîne un nouveau cycle de violences. » Extrait de son foyer en urgence, l’enfant est conduit à l’unité d’accueil des enfants en danger pour être entendu et examiné. « Preuve que, malgré le confinement, les institutions ont continué de fonctionner », relève Mme Vabres, qui gère ce service créé il y a vingt ans et considéré, depuis, comme un modèle de prise en charge des enfants maltraités. Alors qu’une soixantaine d’unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger existe sur l’ensemble du territoire, le gouvernement prévoit que chaque département en soit doté d’ici à 2022. L’une d’elles ouvrira à l’été 2021 à Paris, à l’Hôtel-Dieu.

400 enfants auditionnés par an

L’une des spécificités de celle du CHU de Nantes est l’installation, depuis 2010, d’une salle d’audition filmée, à l’initiative de l’association La Voix de l’enfant, pour recueillir les témoignages des mineurs victimes de violences, lors d’une enquête pénale. Dans cette petite pièce sans fenêtre, dotée d’une vitre sans tain permettant aux membres de l’unité d’accueil des enfants en danger de suivre l’entretien, les enfants sont longuement entendus par un gendarme spécialisé. Pour tout mobilier, deux fauteuils couleur crème et deux petites tables basse ; l’une jaune, l’autre verte. Une maison de poupée en bois remplie d’accessoires ainsi que des poupons sont posés sur une étagère.

Environ 400 enfants (433 en 2019) sont auditionnés ici chaque année, dans le cadre de réquisitions judiciaires. Le procureur et les gendarmes travaillent main dans la main avec la puéricultrice, Catherine Echelard, qui se charge, dans la foulée de l’audition, de l’examen médico-psychologique. « L’idée est que l’enfant dépose son histoire en une fois, qu’on lui évite de répéter les violences qu’il a subies, et ce dans un cadre plus protecteur », explique la professionnelle. En tout, ces prises en charge peuvent durer près de trois heures.

En mars, B. est l’un des rares à avoir été auditionné ainsi. Pendant le premier confinement, la fermeture des tribunaux et l’arrêt précipité des procédures, hors situation d’urgence, ont de fait conduit à un ralentissement très net de ces entretiens sur réquisition judiciaire. Celui de ce petit garçon est l’un des 50 effectués pendant le premier confinement, contre 127 l’année précédente à la même époque.

En dehors de la voie judiciaire, plusieurs chemins conduisent en temps normal à la dizaine de professionnels (pédiatres, pédiatres légistes, assistante sociale, puéricultrice, psychologues, secrétaire…) de ce service mobile installé au sein du CHU depuis vingt ans. Sur les 1 000 enfants reçus chaque année, certains arrivent là orientés par un médecin généraliste qui soupçonne des maltraitances et adresse son patient pour un diagnostic. D’autres franchissent la porte coulissante des urgences pédiatriques, le service voisin, à la suite d’une agression ou pour un tout autre motif.

Si, au cours de la consultation, des signaux alertent les urgentistes, ils font appel à l’expertise de leurs collègues, trois couloirs plus loin. « A force, toute l’équipe est vigilante sur ces questions, ça commence dès la prise en charge par l’infirmier à l’accueil. C’est un travail collectif, et d’ailleurs on ne fait jamais un diagnostic de violences sur un enfant seul », explique Margaux Lemesle, pédiatre et médecin légiste, qui consacre une journée par semaine aux urgences pédiatriques et le reste à l’unité d’accueil des enfants en danger.

Davantage de violences physiques

Comme l’ensemble des structures dévolues aux soins, ce service a été percuté de plein fouet par la crise sanitaire liée au Covid-19. En mars, les urgences pédiatriques ont vite été quasiment désertées avec 30 à 40 passages quotidiens, contre 120 habituellement.

« On a enregistré une chute de 70 % de passages lors du premier confinement, ici comme à l’échelle nationale », explique Christèle Gras-Le Guen, chef des urgences pédiatriques du CHU de Nantes et présidente de la Société française de pédiatrie. « Ce changement a généré un sentiment d’augmentation des cas de maltraitance, due au fait que les autres motifs d’arrivée habituels se sont interrompus », ajoute Mme Gras-Le Guen.

Y a-t-il eu pendant ces quelques semaines une hausse de la maltraitance infantile ? Pour tenter d’évaluer l’impact du confinement sur l’activité de son service, Nathalie Vabres a réalisé une étude rétrospective partant de mars jusqu’à la fin août, qu’elle a comparée aux deux années précédentes. Outre la forte baisse des activités judiciaires évoquée plus haut, il apparaît que le nombre d’évaluations pour suspicion de maltraitance effectuées par ce service spécifique est resté stable, et ce malgré la baisse de fréquentation générale.

« L’hôpital est resté un recours pour les enfants, et aussi pour les parents », analyse positivement la pédiatre. Autre enseignement : pendant la période, « le nombre de cas graves est en augmentation par rapport aux années précédentes », avec davantage de violences physiques. En témoignent la hausse d’informations préoccupantes et de signalements effectués (respectivement + 25 % et + 33 % en moyenne par rapport à 2018 et 2019), et les hospitalisations de longue durée, de plus de cinq jours, qui ont bondi de 68 %.

« Nous avons vu davantage d’enfants plus jeunes, de 5, 6, 7 ans », se souvient aussi Anne Bulteau, l’assistance sociale de l’antenne nantaise, qui a également relevé un flux important d’enfants après le premier déconfinement. « D’habitude, ça baisse en août, là ça n’a pas été le cas. »

Depuis septembre, avec la reprise de l’école, qui joue le double rôle d’échappatoire pour les enfants victimes et de repérage, « c’est assez stable ». Mi-décembre, l’équipe a cependant observé une arrivée importante d’adolescents et de préadolescents ayant fait une tentative de suicide. Sachant que certaines situations graves de maltraitances, comme les violences sexuelles, sont souvent révélées plus tardivement, les professionnels de cette unité s’interrogent : « Va-t-il y avoir un pic l’an prochain ? »

Un « parcours de soins coordonnés » pour les enfants protégés

Particulièrement en pointe dans le repérage et la prise en charge des victimes de maltraitance, l’unité d’accueil des enfants en danger installée au sein du CHU de Nantes a été choisie pour une expérimentation concernant les mineurs faisant l’objet d’une mesure de protection administrative ou judiciaire. Sous l’appellation « santé protégée », il s’agit de fédérer un réseau de professionnels de santé de ville (médecins généralistes, pédiatres, psychologues, psychomotriciens et ergothérapeutes) en revalorisant les consultations pour le public cible. Objectif : que tous les enfants protégés bénéficient d’un suivi médical régulier, organisé autour d’un bilan de santé annuel, prévu théoriquement par la loi mais dans les faits peu réalisé. L’expérimentation, prévue pour quatre ans, est aussi lancée dans la Haute-Vienne et dans les Pyrénées-Atlantiques. En Loire-Atlantique, 80 professionnels de santé ont déjà répondu à l’appel.



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