— 19 décembre 2020
Claire, bénévole, accueille Ami et sa fille Nora, à l'association MaMaMa, le 11 décembre à Saint-Denis. Photo Albert Facelly pour Libération
Constatant un angle mort dans l'aide alimentaire d'urgence, l'association MaMaMa, créée durant le premier confinement, lutte contre la précarité infantile en distribuant du lait, des couches ou autres vêtements chauds aux familles en difficulté.
C’est la première fois que Dosso, 24 ans, passe la porte de l’association MaMaMa. Mère sans papier, elle est venue chercher de quoi s’occuper au mieux de son bébé de 13 mois. «Ce colis va me permettre de tenir quelque temps sans avoir à acheter à manger pour mon fils mais aussi d’avoir des vêtements chauds pour l’hiver. L’association MaMaMa me soulage beaucoup», confie la jeune femme. Créée dans l’urgence début mai durant le premier confinement, MaMaMa distribue des colis d’urgence pour les enfants de 0 à 3 ans aux mères et familles en difficulté. «Le lait et les couches sont très chers, souvent je mange moins pour pouvoir acheter ce qu’il faut à mon fils, ou mes voisines m’aident», raconte Dosso, installée dans l’entrepôt de plus de 1 000 m² qui sert de pied-à-terre à l’association à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), mis à disposition par l’intercommunalité Plaine Commune et la mairie.
Bénévoles pour Covidom, la plateforme téléphonique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Magali, Marguerite et Marielle -trois prénoms dont les deux premières lettres formeront bientôt le nom de leur association- recueillent dès le mois de mars les témoignages de femmes en situation de grande précarité et réalisent l’urgence d’agir. Rapidement, elles sont rejointes dans leur initiative par Aïcha, pédiatre. «Des mamans nous racontaient qu’elles faisaient cuire du riz et récupéraient l’eau de cuisson pour nourrir leur bébé à la place du lait», explique Magali, l’une des cofondatrices, photographe de profession.
5 000 colis distribués
D’abord structure informelle, MaMaMa se déclare dans la hâte en association, la veille d’une livraison massive de nourriture infantile. «Sans la pandémie, Blédina n’aurait jamais donné 13 tonnes de nourriture à trois bénévoles à l’AP-HP qui leur envoient un mail. Grâce au confinement, une situation horrible, tout le monde s’est rendu compte de l’urgence et qu’il fallait inventer de nouveaux processus», remarque-t-elle. Si la crise sanitaire a durement frappé les plus démunis, faisant basculer certains dans une grande précarité, en 2019 l’Unicef faisait déjà état de trois millions d’enfants vivant sous le seuil de pauvreté. Magali ajoute :«D’après la fédération des banques alimentaires, plus de 30 000 nourrissons en Île-de-France ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence.»
L’association a déjà livré plus de 5 000 colis. «On a dix fois plus de demandes depuis le reconfinement mais aussi bien plus de personnes qui savent que l’on existe», note Magali. En moyenne, l’équipe, composée d’une cinquantaine de bénévoles réguliers, reçoit trente demandes par jour. Une quinzaine de mères sont accueillies cinq fois par semaine à Saint-Denis et le dimanche à Paris. Le grand entrepôt, situé à l’abri des regards, est partagé en deux espaces. Le premier, chaleureux malgré les températures hivernales, sert de salon d’accueil aux mères. Des jeux, livres et vêtements pour enfants sont à leur disposition autour des canapés. Derrière une porte battante se trouve le cœur du réacteur, accessible uniquement aux bénévoles : des étagères et palettes emplies de lait en poudre, petits pots, couches, savons ou encore serviettes hygiéniques. Dans cette caverne de la solidarité, on retrouve aussi des jouets, vêtements, biberons ou encore des poussettes, une denrée rare. Une partie est fournie par des entreprises partenaires, l’autre par des dons de particuliers.
«La nutrition infantile, c’est du sur-mesure»
«La nutrition infantile est un angle mort de l’aide alimentaire d’urgence car c’est du sur-mesure. On adapte les colis selon le poids, l’âge du bébé, sa diversification alimentaire. Ça prend énormément de temps»,relève Magali. Renaud, 62 ans, a préparé durant la matinée une vingtaine de colis troisième âge. Il s’aide d’une fiche manuscrite écrite la veille à partir de la marchandise disponible. Les ratures rappellent la difficulté à jongler entre les stocks et les dates limites de consommation.
Habillée d’un petit jogging bleu, Nora, 18 mois, explore tous les recoins des locaux. Sa mère, Ami, 35 ans, vient elle aussi pour la première fois. Hébergée par le Samu social, elle a rempli un formulaire sur le site de l’association avant d’être rappelée par une bénévole. Cet appel permet de cibler les besoins spécifiques de la famille et de prévoir un rendez-vous. «Ils m’ont donné des vêtements, du lait, des couches. Ça me dépanne bien. Lors du premier confinement, on avait eu droit à des chèques-services mais pour le reconfinement je n’ai rien reçudans mon hôtel. C’est dur», regrette-t-elle. Les bénéficiaires sont généralement orientées par des professionnels de la Protection maternelle et infantile (PMI) où des livraisons sont effectuées, par des travailleurs sociaux ou par d’autres structures associatives comme la Maison des femmes de la gynécologue Ghada Hatem, soutien de la première heure de MaMaMa. Le seul critère ? «L’urgence alimentaire», insiste Magali. «On reçoit beaucoup de femmes sans papiers. Beaucoup sont stressées de devoir prouver leur identité. On leur demande seulement un mail, un numéro de téléphone et le nom prénom»,détaille Claire, 28 ans, bénévole.
Un accueil humain
Loin des longues files d’attente des Restos du cœur, MaMaMa assume «proposer un service moins "efficace" puisque d’autres le font déjà». L’accueil est personnalisé et humain. Chaque bénéficiaire est reçue par un bénévole durant au moins une demi-heure. «C’est un effort de demander de l’aide alors quand elles sont sur place on prend du temps pour elles, pour leur parler», souligne Claire. En milieu d’après-midi, le hangar retrouve un certain calme. Une femme vient de partir avec un lit quasi neuf pour son bébé. Quelques minutes plus tard, Sarra, 30 ans, entre avec son mari et leur fille de 15 mois. Le couple, qui attend la naissance de leur deuxième enfant, a été orienté ici par le Samu social. «Dans notre hôtel, on dirait qu’on est dehors, il y a des cafards, des souris. Avant le confinement, mon mari travaillait dans les marchés mais maintenant il ne trouve plus de travail.» Elle se désole : «Beaucoup de mamans ont du mal à nourrir leur bébé» tout en faisant comprendre d’un hochement de tête que c’est son cas. «L’association m’a donné tout ce dont j’ai besoin comme si c’était ma maman», note-t-elle dans un sourire.
Le contenu du colis est réadapté à leurs besoins. «Est-ce que vous avez de petites moufles ? […] On a souvent les mamans seules, c’est bien que le papa soit là»,remarque Claire. Si l’association s’est dans un premier temps focalisée sur les besoins impérieux, le champ de leur action s’est rapidement élargi. «L’accès aux livres, aux jouets d’éveil est aussi essentiel. Il ne suffit pas de nourrir les bébés»,pointe Magali. Une récente étude de l’Ined montre d’ailleurs que la précarité ne se mesure pas qu’en termes monétaires mais aussi par les conditions de vie.
Photo Albert Facelly pour Libération
«La précarité n’a pas de limite. Alors on essaie d’être prévoyant, d’avoir des choses pour les enfants un peu plus âgés que 3 ans, on a aussi des vêtements pour les mamans. On reçoit des femmes en claquettes en plein hiver, raconte Nadia, bénévole de 34 ans. Je suis passée par là étant enfant, ma mère a bénéficié de l’aide d’associations. Je voulais contribuer à mon tour». Une action à la résonance particulière pour Michaël également : «Ces femmes auraient pu être ma mère à une autre époque, quand elle est arrivée du Vietnam avec mon frère.» Il regrette de voir peu d’hommes s’impliquer : «S’occuper des enfants ne devrait pas être qu’un problème de femmes, et intéresser tout le monde.»
Le projet MaMaMa veut s’inscrire dans la durée. Plusieurs projets construits avec d’autres associations sont dans les tuyaux, comme le développement du coin lecture et la mise en place d’une permanence psychologique. «On nous a dit qu’on était trop ambitieuses mais tout a du sens», lâche Magali. Pour continuer à aider ces familles en difficulté, MaMaMa a besoin d’argent, de dons et de bénévoles : «Il faut qu’on ait des fonds propres pour être autonomes et sécuriser nos actions qui reposent exclusivement sur l’énergie des bénévoles.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire