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lundi 21 décembre 2020

Comment l’épidémie de Covid-19 chamboule nos relations amicales

Par Marie Slavicek   Publié le 20 décembre 2020

Pour s’épanouir, l’amitié a principalement besoin de temps et de proximité physique. Deux éléments mis à mal pendant le confinement.

Avec le deuxième confinement, voir ses amis a, une nouvelle fois, viré au casse-tête. Nos amitiés sont pourtant essentielles à notre équilibre personnel. Ces relations privilégiées permettent de se confier, se soutenir et s’entraider – bien avant le fait de s’amuser ensemble, qui relèverait plutôt du simple copinage. Le vrai ami, c’est notre « valeur refuge », la personne avec qui on peut partager les joies et les coups durs de l’existence.

« Nous sommes des êtres sociaux et nos amitiés tiennent une place majeure dans notre sociabilité. Elles permettent de tisser des liens particulièrement denses, tournés vers l’extérieur et sans lesquels nous serions enfermés dans notre sphère privée, résume l’historienne Anne Vincent-Buffault, autrice de L’Exercice de l’amitié. Pour une histoire des pratiques amicales aux XVIIIe et XIXe siècles (Seuil, 1995)Dans la Grèce antique, l’amitié était même le ciment des relations sociales et le ferment de la citoyenneté. »

Rien d’étonnant donc à ce que certains d’entre nous aient mal vécu cette période de sevrage amical. « On ne peut pas dire que le confinement nous “prive” de nos amis. En revanche, il nous prive de nos rapports physiques avec eux », note Anne Vincent-Buffault.

Pour être viable, une relation amicale a besoin de deux choses : du temps et de la proximité physique. Dès l’Antiquité, Aristote (384-322 av. J.-C.) a mis cela en avant. Il faut, écrit le philosophe grec, que les amis aient pu « consommer ensemble un boisseau de sel », autrement dit qu’ils aient partagé un certain nombre de repas et de moments privilégiés. Des conditions difficiles à remplir ces dernières semaines.

« Nos rapports amicaux sont empêchés par les mesures de distanciation physique. Dans La Dimension cachée, l’anthropologue américain Edward T. Hall s’intéresse à la notion de proxémie – comment la distance physique entre deux interlocuteurs intervient dans le processus de communication, détaille Anne Vincent-Buffault. Il montre que la “distance intime” qui sépare deux amis est en moyenne d’environ 50 centimètres, tandis que la “distance sociale”, dans un cadre professionnel par exemple, tourne davantage autour de 1,50 mètre. »

« Exercice de tact amical »

Certains en ont fait l’étrange expérience à la sortie du premier confinement : voir un ami sur un banc public à plus de 1 mètre de distance peut se révéler extrêmement frustrant. Etre amis, c’est être proches, même si on ne se touche pas.

En revanche, il est certain que le confinement a donné lieu à un véritable « exercice de tact amical », estime l’historienne : « L’absence de contact physique nous a privés de tous les signaux faibles qui permettent de mieux lire les sentiments de l’autre et de s’ajuster à ses réactions. Au téléphone ou sur Skype, ce qui est perceptible est beaucoup plus restreint que lorsqu’on voit quelqu’un en chair et en os. » De ce point de vue-là, nos amitiés ont été rendues plus compliquées ou, en tout cas, ont demandé davantage d’efforts de part et d’autre.

Une étude menée par une équipe de chercheurs de plusieurs laboratoires du CNRS et publiée en mai a tenté d’analyser l’impact du premier confinement sur nos relations. Pendant cette période, nos rapports amicaux ont bien sûr été contraints par les mesures sanitaires, mais ils n’ont pas été drastiquement réduits grâce aux modes de communication en ligne. Les 75 ans et plus déclarent même avoir été plus souvent en contact avec leurs amis que d’habitude. Fait notable : plus les répondants sont jeunes, plus ils déclarent avoir été moins souvent en contact avec leurs amis qu’à l’ordinaire.

Pour Guillaume Favre, l’un des sociologues ayant participé à l’étude, ce constat est assez logique. « Les plus jeunes – entre 18 et 30 ans , en particulier les étudiants, sont ceux qui, en général, ont les réseaux les plus dynamiques. Quand on est à l’université par exemple, il suffit de changer de cours pour que de nouvelles relations se créent », explique-t-il.

Des relations plus affinitaires

Si nos relations amicales se sont réduites, elles sont devenues dans le même temps plus affinitaires, plus choisies. « En supprimant la plupart des contextes dans lesquels nous évoluons – le travail, les activités culturelles, sportives etc. , le confinement nous a aussi libérés des contraintes qui pesaient habituellement sur nos rapports sociaux. Résultat : nous nous sommes recentrés sur certaines personnes. Cela a même conduit certains à exercer un “tri” dans leurs relations », poursuit Guillaume Favre.

Une tendance qui, a priori, a pu jouer en faveur d’une plus grande importance accordée aux relations amicales. Le sociologue détaille :

« Les relations homophiles, c’est-à-dire avec des personnes qui nous ressemblent, sont celles qui ont été le plus renforcées durant cette période. Ces formes d’entre-soi, qu’on observe déjà en temps normal, ont été particulièrement marquées durant le confinement. Par exemple, les célibataires ou les personnes vivant sans enfants se sont davantage rapprochés d’amis dans le même cas et qui rencontraient potentiellement les mêmes difficultés. »

Le sociologue pense que ce mécanisme a pu être d’autant plus renforcé par Internet, qui permet une plus grande sélection sociale. Mais là encore, ces formes de relations amicales ont montré leurs limites. Les rendez-vous « skypéro » et autres visios sur WhatsApp ne sont pas la panacée mais bien un moindre mal, une sorte d’alternative un peu bancale. « Evidemment, c’est moins sympa », résument les adeptes de ces apéritifs virtuels.

La période de confinement serait donc synonyme d’amitiés « au rabais » et dépourvues de toute profondeur ? Pour Anne Vincent-Buffault, l’éloignement physique entre deux amis n’affaiblit pas forcément l’affection qu’ils se portent mutuellement. « L’étude de correspondances épistolaires montre bien que nous avons toujours pu entretenir des amitiés très fortes à distance. A la Renaissance, Montaigne et La Boétie offrent un modèle parfait d’amitié. Pourtant, les deux hommes se sont très peu vus. Plus tard, au XVIIIe siècle, on se livre l’un à l’autre par courrier avec beaucoup d’effusion et de ferveur. La dimension affective de ces échanges est indiscutable »,souligne l’historienne.

Le sociologue italien Francesco Alberoni parlait de la structure « granulaire » de l’amitié qui, contrairement à l’amour conjugal, est conçue comme une relation sans contrat. On peut affirmer une amitié dans la durée, mais on reste libre de la dénouer à tout moment. C’est aussi ce qui fait qu’on peut ne pas avoir vu un ami pendant longtemps et retrouver une proximité immédiate quand on se revoit, « comme si on ne s’était jamais quittés », dit-on dans ces cas-là. « Ce phénomène est vraiment propre à l’amitié », insiste Anne Vincent-Buffault.




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