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mardi 22 décembre 2020

«Les mesures de lutte contre la pauvreté fondées sur les revenus passent à côté de plein d’enfants»

Par Elsa Maudet — 19 décembre 2020

En France, en 2014, 19,8% des enfants vivaient sous le seuil de pauvreté. Photo d'illustration.

En France, en 2014, 19,8% des enfants vivaient sous le seuil de pauvreté. Photo d'illustration. Photo Mansi Thapliyal. Reuters

En ne se concentrant que sur l'argent gagné par leurs parents, les études sur le niveau de vie des plus jeunes occultent une partie du problème, estime l'Ined dans un récent rapport consacré aux bébés.

En France, en 2014, 19,8% des enfants vivaient sous le seuil de pauvreté (1). Mais quelle réalité se cache derrière ce chiffre ? «Un enfant peut vivre dans un ménage pauvre sur le plan monétaire sans pour autant être considéré comme pauvre en conditions de vie» et inversement, indique une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) parue début décembre, qui s’est attachée à décortiquer le niveau de vie de très jeunes enfants, à 2 mois puis à 1 an.

Parmi les critères pris en compte : la capacité à chauffer son logement, à payer ses factures à temps, à s’acheter des vêtements neufs ou encore la récurrence des interactions entre parents et enfants (chanter des chansons, lire des histoires, avoir des contacts peau à peau…). Autant de critères primordiaux pour le bien-être des bébés, mais qui passent sous les radars des mesures de lutte contre la pauvreté classiques. Entretien avec Lidia Panico et Marion Leturcq, chercheuses à l’Ined, deux des trois autrices de l’enquête : «La pauvreté des enfants à la naissance en France».

Pourquoi avez-vous souhaité évaluer la pauvreté en sortant des seuls critères monétaires ?

Lidia Panico : Ça permet de centrer sur les besoins de l’enfant. On peut être dans un ménage financièrement pauvre, mais où les parents redistribuent les ressources vers l’enfant. Je pense à des parents qui dorment sur le canapé pour pouvoir laisser la chambre ou qui ne mangent pas de viande pour que leur enfant en ait. Tout ça, c’est assez caché quand on ne regarde que les mesures monétaires.

Et puis, ça ne permet pas de prendre en compte tout ce qui n’est pas monétaire : les crèches, les bibliothèques, les parcs… Ça ne rentre pas dans les revenus des parents, mais ils peuvent utiliser ces services pour offrir à leur enfant un cadre de vie meilleur. On sait que les interactions, le fait de lire des livres le soir, l’allaitement, sont des choses hyper importantes.

Quelles conclusions majeures tirez-vous de votre étude ?

Marion Leturcq : Les enfants qu’on va identifier comme pauvres en conditions de vie ne sont pas forcément les mêmes que ceux qu’on va identifier comme vivant dans un ménage pauvre monétairement. Pour avoir un exemple précis, les familles monoparentales – donc principalement les femmes qui élèvent seules leur enfant – sont très fréquemment pauvres financièrement, mais ça ne signifie pas que la qualité de la relation entre la mère et l’enfant soit moins bonne que dans une autre famille. On va retrouver à peu près le même niveau de loisirs, d’activités faites ensemble, qui sont aussi des éléments cruciaux.

L.P. : Les familles monoparentales sont très pauvres financièrement mais pas très privées du point de vue du logement, notamment parce qu’il y a beaucoup de politiques publiques en France qui visent les parents seuls. Tandis que chez les migrants, le logement ressort comme un vrai problème.

Pourquoi s’intéresser à des enfants aussi jeunes ?

L.P. : On sait, dans la littérature scientifique, que c’est une période très importante dans le développement des enfants et qui peut avoir une influence très forte sur les trajectoires de vie. On commence déjà à trouver des inégalités socio-économiques dans la petite enfance, avant l’entrée en scolarité. Le cerveau est très malléable, comme une éponge, il absorbe tout ce qui est positif et négatif. Plus un enfant est stimulé de manière positive, plus il va se développer rapidement et bien. Au contraire, s’il est dans un environnement assez pauvre en stimulis, il aura une chance de développement neurologique correcte moindre.

En quoi ces connaissances peuvent-elles influencer les politiques publiques ?

L.P. : Les mesures juste fondées sur les revenus passent à côté de plein d’enfants qu’on pourrait considérer comme pauvres en conditions de vie. On a du mal, dans les politiques publiques, à avoir une approche globale, holistique, par faute peut-être de données mais aussi parce que, souvent, les services sont répartis dans différents ministères. Or, [l'approche globale] est la meilleure manière pour appréhender qui sont les enfants dans le besoin.


(1) Données du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, 2018.


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