Par William Audureau Publié le 22 décembre 2020
ENTRETIEN Pascale Duval, porte-parole de l’Unadfi, observe une convergence inquiétante entre marché du bien-être, crise sanitaire, théories du complot et dérives sectaires.
L’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi), association française reconnue d’utilité publique depuis 1996, lutte contre les différentes formes d’emprise mentale.
En 2020, en raison de la pandémie, l’association a dû, en plus des habituels groupes sectaires organisés, traiter des mouvances complotistes au cheminement de pensée similaire : des influenceurs bien-être aux groupes de discussion QAnon, en passant par le documentaire Hold-Up.Sa porte-parole, Pascale Duval, explique au Monde les passerelles entre mouvements sectaires traditionnels et complotisme en ligne.
Alors que les théories du complot semblent de plus en plus présentes dans le débat public, observez-vous une augmentation des signalements ?
Oui. On a de plus en plus de personnes qui nous sollicitent pour des membres de leur famille qui sont absorbés et sous l’emprise de théories du complot, avec les mêmes dégâts que les emprises sectaires. C’est le même processus, celui d’une radicalisation à la croyance, à un dogme, qui amène une rupture parfois très brutale avec l’environnement. Et les mêmes effets : une rupture avec la société, une méfiance des institutions, quelles qu’elles soient. L’utilisateur s’enferme dans sa bulle sur Internet, comme il s’enfermerait dans une secte.
Qui sont aujourd’hui les influenceurs YouTube dont le discours s’apparente le plus à ces schémas ?
Jean-Jacques Crèvecœur [conférencier en médecine parallèle, visé par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires], Thierry Casasnovas [vidéaste crudivoriste poursuivi pour mise en danger d’autrui ] et Christian Tal Shaller [médecin suisse adepte du chamanisme]sont les plus influents, et ils ont gagné en influence cette année. Par ailleurs, ils ont l’intelligence de ne jamais entrer en concurrence entre eux. Ils forment un réseau, ce qui accroît leur pouvoir d’influence, et ne se contredisent jamais. Ils donnent ainsi l’impression qu’une majorité de personnes pensent comme eux, ce qui est faux. C’est un biais cognitif classique que de penser qu’une vérité se mesure au nombre de personnes qui y croient, et eux l’ont bien compris.
Quelles sont leurs motivations ?
Il peut y avoir une question d’ego, qui se nourrit du nombre de vues, etc. Des gens comme Crèvecœur et Casasnovas vendent aussi des produits, des stages, etc. La crise est arrivée à un moment où le marché du bien-être était déjà en pleine explosion, avec une surenchère sur les produits et pratiques de santé non conventionnels de charlatans en tous genres. Aujourd’hui, la santé représente 50 % de nos appels.
Comment expliquer l’explosion des théories du complot et la sympathie de tant d’internautes envers ces théoriciens ?
Ils mettent en avant le fait qu’ils agissent forcément pour votre bien. Ils répondent à un besoin légitime de réconfort par une proposition en apparence honnête, qui souvent cache des intérêts économiques. Mais il faut parfois des années pour voir et accepter que l’on s’est fait balader. L’emprise est là, quand on a l’impression d’être entièrement dédié à une personne à qui on fait toute confiance.
Peut-on parler d’un renouveau du conspirationnisme sectaire ?
Non, car il était déjà là avant. Par exemple, Guylaine Lanctôt, une ancienne médecin canadienne, que l’on suit depuis 1994, et qui a publié La Mafia médicale. On a été surpris de découvrir en 2020 que des personnes aujourd’hui influentes sur YouTube étaient passées dans ses vidéos et avaient rejoint le clan des antivaccinations. Ça n’a donc rien de récent ! La mouvance new age, qui représente 40 % des mouvances sectaires, a toujours eu un discours anti-institutions, antisciences, anti-Etat. On ne parlait pas de complotisme à l’époque, mais il y a une continuité évidente.
Le new age est une idéologie qui émane de vieux mouvements de la fin du XIXe et qui a été théorisée par Marilyn Ferguson, dans un livre, avec un dogme et une doctrine. Depuis, plein de gens y adhèrent, tout en autorisant chacun à faire ce qu’il veut. Comme la scientologie, la doctrine du new age continue à vivre, et survit au gourou.
A partir de quand faut-il s’inquiéter de voir un proche basculer dans les théories du complot ?
On dit souvent qu’une secte, c’est un territoire, une communauté et un chef ; aujourd’hui le territoire est virtuel, la communauté en ligne et le chef, sur YouTube. A partir du moment où la personne s’enferme dans cette bulle et commence à percevoir ceux qui pensent comme elle comme une élite et les autres comme ses ennemis, on est dans une logique sectaire. Mais il faut éviter d’en arriver là.
Que peut-on faire pour aider un proche pris dans le piège du conspirationnisme ?
C’est important de maintenir du lien. Il faut éviter de parler de ce qui fâche, mais parler de ce qui rapproche, des bons souvenirs, de l’amour. Ça ne sert à rien de chercher à les convaincre. La déradicalisation, ça ne marche pas, car plus quelqu’un cherche à vous en éloigner, plus cela renforce le lien avec la croyance.
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