«Dans un contexte très particulier, en plein deuxième confinement, il est devenu urgent de proposer un autre regard sur l’actualité.» Voilà l’ambition de «Bas les masques», site né fin novembre 2020 (et qui n'a rien à voir avec le collectif du même nom crée par des soignants en mars 2020). Le nouveau média se présente comme « indépendant» et entend proposer «une information libre et objective sur la crise sanitaire que nous traversons». Comme FranceSoir, «Bas les masques» vise un public sceptique quant à la gravité de l’épidémie, et/ou critique vis-à-vis de la gestion de cette dernière par les autorités. Le nouveau site mise clairement sur le rejet des médias mainstream, en prenant soin de réfuter toute dérive conspirationniste. Le site se décrit ainsi comme «ni complice [des autorités, ndlr] ni complotiste». Une position qu’on retrouve dans la critique, plutôt mesurée, que Bas les masques a réservé au documentaire «Hold-Up», donnant à la fois la parole à l’ancien chirurgien et essayiste Laurent Alexandre, qui taxe le film de «complotiste», mais aussi à l’épidémiologiste Laurent Toubiana (intervenant dans le film) qui sans le défendre inconditionnellement, en «salue la démarche».

Figures bien connues des «rassuristes»

Derrière Bas les masques, qui semble pour l’heure encore assez confidentiel, et réalisé avec peu de moyens, on retrouve Stéphane Simon, en qualité de «directeur de publication». Ce serial producteur et entrepreneur est à la tête de plus d’une vingtaine de sociétés, principalement en lien avec les médias numériques. Compagnon de route de Thierry Ardisson, avec qui il a créé Téléparis à la fin des années 90, Stéphane Simon a lancé ces dernières années de nombreuses webtélés, qui, comme Libération le faisait remarquer récemment, penchent, souvent, à droite. On notera, outre Polony TV (devenue Marianne TV), la France Libre TV (avec André Bercoff et Gilles-William Goldnadel) qui se voulait un média de «réinformation» avant de disparaître et renaître (toujours avec Stéphane Simon) sous le nom de Goldnadel TV («la Web TV qui combat l’islamo-gauchisme»), ou encore RéacnRoll (avec le magazine Causeur). Plus récemment, Stéphane Simon a lancé le média Front Populaire avec Michel Onfray.  Il a aussi donné dans l’antispécisme (KomodoTV, avec Aymeric Caron) ou dans le vin (Tellement soif). Le Covid-19 apparaît ainsi comme une nouvelle niche explorée par le producteur.

Parmi les deux autres associés de «Bas les masques», on trouve (à nouveau) Causeur d’Elisabeth Lévy. Dans une des analyses disponibles sur le site de «Bas les masques», Elisabeth Lévy interviewe d’ailleurs Jean-Loup Bonnamy, introduit comme un opposant à l'«hystérie sanitaire». Le dernier «média associé» à la création de Bas les masques est «121 médias» présenté comme un groupe de presse basé à Barcelone.

Histoire de bien camper le décor, le site met en avant plusieurs figures désormais bien connues des «rassuristes». Sur la page «auteurs» figure ainsi Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’université de Paris-Descartes (dont les propos sur le Covid ont déjà été plusieurs fois contredits par CheckNews). A ses côtés, Laurent Mucchielli, sociologue reconnu pour son travail sur la délinquance et directeur de recherche au CNRS. Dès le mois de mars, le chercheur avait fait partie des premiers «pro-Raoult», en prenant la défense du professeur sur le blog de Mediapart. Laurent Muchielli était (déjà avec Toussaint) signataire en septembre d’une tribune publiée dans le Parisien («Nous ne voulons plus être gouvernés par la peur») qui dénonçait l'«exagération systématique du danger» dans les communications institutionnelles. On retrouvait parmi les signataires de ce texte Laurent Toubiana, chercheur à l’Inserm et fondateur de l’Irsan (Institut de recherche pour la valorisation des données de la santé) qui apparaît également dans la liste des auteurs de Bas les masques. Laurent Toubiana s’était illustré à la fin de l’été dans les médias en infirmant l’existence d’une seconde vague.

«Chronique du renoncement à la peur»

Parmi les «auteurs», on trouve aussi la psychologue et psychothérapeute Marie-Estelle Dupont, et Fabien Quedeville, médecin généraliste en Essonne et membre du réseau gouvernemental de veille médicale Sentinelles (et qui échange aussi parfois sur Twitter avec le youtubeur adepte de théories du complot Silvano Trotta, qui prétend notamment que la Lune est «creuse»).

Le tableau des «auteurs» de Bas les masques est complété par Xavier Legay. Sur son profil professionnel LinkedIn, où il se présente comme «responsable éditorial du média d’information en ligne Bas Les Masques», nulle expérience dans la presse, mais la mention d’un passage de plusieurs années en tant que chef de cabinet adjoint à la mairie Les Républicains d’Asnières-sur-Seine jusqu’à 2019, et la publication de quelques livres. Le dernier, sorti en juillet 2020, est décrit comme une «chronique de renoncement à la peur» qui expose une méfiance envers le gouvernement directement inspirée de l’expérience du premier confinement.

Au-delà de Xavier Legay, qui est crédité du titre de «rédacteur en chef» du site, le statut des autres «auteurs», et leurs liens précis avec le site, ne semblent pas tout à fait clairs. Malgré sa «petite dent contre Libération» (due à un article publié par CheckNews en septembre), Laurent Toubiana a accepté (contrairement à Jean-François Toussaint et Laurent Mucchielli) de répondre à nos sollicitations afin de détailler son rôle au sein de Bas les masques. Surprise : lui-même nous a affirmé qu’il ignorait être présenté comme «auteur» du jeune média. Laurent Toubiana explique simplement avoir été mis en contact, à la mi-novembre, «via des amis de confiance» avec «un journaliste, qui m’a paru de confiance lui aussi». Il dit «avoir été interrogé par le journaliste pour Bas les masques, comme vous le faites pour Libération», et ajoute qu’il n’est «jamais allé» sur le site et n’en connaît donc pas bien le fonctionnement. Laurent Toubiana ignorait donc aussi que le site avait repris et résumé, dans la rubrique «Analyses»un article qu’il avait co-écrit avec Jean-François Toussaint et Laurent Mucchielli, et publié mi-novembre dans le club de Médiapart. Les trois sont dûment mentionnés comme auteurs du texte, mais l’article est présenté comme l’œuvre de la «rédaction». L’épidémiologiste n’y voit pas malice, ni matière à protester. «Je ne savais pas qu’une synthèse de notre travail avait été faite et publiée. Mais je suis en contact avec Mucchielli, Toussaint. Donc ça ne me pose aucun problème tant que je n’ai rien à redire sur le fond.» Il explique, pour les mêmes raisons, n’avoir pas de problème avec le statut d’auteur dont il a été nanti.

Critiques envers les mesures sanitaires

Marie-Estelle Dupont fait également part de son«étonnement» face à l’apparition de son nom parmi les «auteurs» de Bas les masques, site sur lequel elle concède aussi n’être encore jamais allée. La psychologue confie aussi à CheckNews ne pas être rémunérée pour ses interventions, et n’en réaliser «que si un sujet [l]’intéresse et que si [elle a] le temps». Elle explique ne pas avoir rencontré les autres contributeurs du site, mis à part «le journaliste Xavier Legay, qui pose les questions». Sollicité à maintes reprises par CheckNews, notamment à propos du flou autour de ce statut d’auteur, Xavier Legay s’est dit «trop occupé» pour répondre à nos questions.

Le site dit également s’appuyer sur «des médecins spécialistes, des généralistes, des personnels soignants et autres professionnels de santé, mais aussi des citoyens libres». Mais là encore, il s’agit en général plus d’interviews ressemblant à des tribunes dans lesquelles les intervenants donnent leur avis sur la situation sanitaire que d’articles signés de leur main. Bas les masques donne ainsi la parole à la comédienne Clémence de Vimal ou au président de l’Umih Paca (syndicat des hôteliers et restaurateurs) Bernard Marty, porte-voix de deux secteurs qui se sentent délaissés par le gouvernement.

En naviguant sur cette plateforme à mi-chemin entre un blog et un site d’informations, on découvre des rubriques. «France» et «International» proposent des articles et des vidéos sur des thèmes invariablement liés à la crise sanitaire, comme un grand entretien en plusieurs volets avec Fabrice Di Vizio, avocat de Didier Raoult. Sans surprise, les publications y sont très souvent critiques envers les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre le coronavirus, sous le double prisme de l’atteinte aux libertés publiques et la mauvaise gestion sanitaire de l’épidémie. Une vidéo du 3 décembre écorche par exemple les restrictions de la pratique des sports d’hiver d’«absurdes et sans fondement scientifiques».

Appel aux dons

Un peu plus loin, la rubrique «Analyses» expose des prises de position, décryptages ou opinions plus détaillées, pour la plupart en vidéo. Enfin, la page «Questions/réponses» propose, un peu sur le modèle de CheckNews, aux internautes de poser des questions, auxquelles les «auteurs» du site répondent en vidéo. A ce jour, on trouve une dizaine de réponses à des questions. En vrac : «Quelle source donne des chiffres fiables sur la situation ?» ou «L’hydroxychloroquine est-elle une arnaque ?» ou encore «Quand aura lieu la troisième vague ?» La réponse a cette dernière question est apportée par Jean-François Toussaint, qui en profite pour mettre en doute l'utilité du confinement, sans aborder vraiment la question posée. C’est ce même Toussaint qui répond à la plupart des questions.

Sur Bas les masques, impossible pour un visiteur lambda d’accéder à tous les contenus. Il faut s’identifier avec un compte pour avoir accès à tout le site, en renseignant une adresse mail. Les articles et vidéos semblent à première vue rester dans des cercles assez restreints. A ce jour, aucun ne passe la barre des 5 commentaires. Ce sont sur les réseaux sociaux (et surtout sur Facebook) que les publications de Bas les masques trouvent une (un peu plus grande) résonance. Une vidéo sur la comptabilisation des décès a été vue plus de 1 300 fois sur Facebook, dans des groupes pro-Didier Raoult ou anti-mesures du gouvernement.

A la différence d’autres médias lancés par Stéphane Simon, le site est gratuit. Pour l’heure, il est en effet possible de créer son compte Bas les masques sans payer. Mais il est également proposé à l’internaute de faire un don, unique ou mensuel. Impossible cependant de savoir combien de dons ont déjà été récoltés chaque montant étant laissé au choix de l’utilisateur. Impossible aussi d’avoir une idée de l’audience du média, ni de son modèle économique, ou encore de l’usage qui est fait des mails récoltés. Malgré les nombreuses sollicitations de CheckNews, Stéphane Simon ne nous a pas répondu.

Cordialement