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jeudi 11 juin 2020

Qui doit gouverner à l’hôpital : les médecins, les directeurs ou les agences régionales de santé ?

La répartition du pouvoir entre administratifs et soignants est un débat vieux comme l’hôpital. La crise sanitaire a fait bouger les lignes.
Par  Publié le 10 juin 2020
Une infirmière, dans un couloir de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, le 28 mai.
Les maux de l’hôpital (3/6). « Un hôpital, c’est fait pour soigner des patients. Du coup, quand tout le monde est focalisé là-dessus, ça râle beaucoup moins », plaisantait, mi-avril, un directeur d’établissement hospitalier de l’est de la France, en pleine crise due au Covid-19. Il se disait surpris par « la diminution des dissensions et par la synergie autour d’un objectif commun » : lutter contre l’épidémie.
Paradoxalement, cette période de crise sanitaire a souvent constitué un moment d’union et d’apaisement des tensions dans une communauté hospitalière structurée par l’éternelle opposition entre soignants et administratifs. Une question « archaïque » pour Jérémie Sécher, président du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), qui veut croire que le problème n’est plus là. « C’est le dixième ou le vingtième épisode d’un faux nez », estime-t-il.

Forte pression financière

La répartition du pouvoir entre administratifs et soignants est en effet un débat vieux comme l’hôpital, qui a balancé au fil des époques. Depuis les réformes de 2005 et de 2009, la structure hiérarchique d’un hôpital public est partagée entre médical et administratif.

D’un côté, une direction administrative, chapeautée par un directeur nommé par le ministre et soumis aux consignes des agences régionales de santé (ARS) et du ministère. Le directeur siège au sein d’un conseil de surveillance, composé d’élus locaux, de représentants du corps médical, du personnel et des publics. Il préside également le directoire.
De l’autre, la commission médicale d’établissement (CME), qui représente le corps médical et dont le président élu siège lui aussi au directoire. La CME est composée des chefs de pôle, de service et de représentants, pour partie élus, des divers pôles et corps de métiers médicaux.
Les tensions sociales à répétition au sein des hôpitaux se sont accompagnées d’une volonté de redonner plus de pouvoir aux médecins face aux administratifs
Le climat austéritaire de la décennie écoulée, avec une forte pression financière exercée sur les directions hospitalières, a conduit à un mouvement de balancier vers ces dernières, parfois mal vécu par les médecins. « Tout est toujours vu par ce prisme de la contrainte budgétaire », soupire ainsi Rémi Salomon, qui préside la CME de l’Assistance publique-Hopitaux de Paris (AP-HP), pour qui la crise démontre qu’un fonctionnement apaisé est avant tout affaire de moyens.
Les tensions sociales à répétition au sein des hôpitaux se sont accompagnées d’une volonté de redonner plus de pouvoir aux médecins face aux administratifs. « Ces derniers mois, on ne parle pas de moyens en plus, mais de comment médicaliser la gouvernance », notait déjà un directeur en novembre 2019. Un mois plus tard, Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, chargeait le professeur Olivier Claris, président de la CME des Hospices civils de Lyon (HCL), d’une mission autour de la « médicalisation de la gouvernance », suscitant l’inquiétude des directions hospitalières. « Macron veut nous pendre. On va devenir consultant à 1 500 euros par jour pour les médecins qui deviendront directeurs », plaisantait alors un directeur.
Ce sujet de la gouvernance, pourtant, ne figure pas en tête de la pile des questions sur la table du Ségur de la santé, la grande concertation lancée par le gouvernement pour « refonder » l’hôpital. « Pendant la crise, ces règles de gouvernance n’ont pas posé de réelles difficultés. Ma conviction profonde est que la réponse réside bien plus dans le mode de management que dans les règles de gouvernance », a souligné le premier ministre, Edouard Philippe, le 25 mai.
Quelques signes ont cependant été adressés, comme la nomination, au sein de l’AP-HP, d’une directrice adjointe issue du corps médical, la professeure et anesthésiste-réanimatrice Catherine Paugam-Burtz. Un symbole de la volonté que « “l’après” ne soit pas comme “l’avant” », notait le patron de l’AP-HP, Martin Hirsch, dans un mail adressé au personnel. « Les directeurs sont souvent les boucs émissaires », regrette Jérémie Sécher. Pourtant, rappelle-t-il, « diriger un hôpital est un métier, c’est une responsabilité juridique et pénale. De fait, il faut plus de concertation, mais cela ne peut pas fonctionner comme une coopérative ».
Les questions de gouvernance semblent toucher en priorité les grandes structures de soins que sont l’AP-HP, avec ses 13 000 médecins et ses équivalents, les HCL ou l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille. Pour M. Sécher, la question n’est pas tant celle du partage du pouvoir que celle des moyens : « On sort de dix années d’une politique d’une hypocrisie sans nom, où l’Etat impose aux ARS, qui imposent aux hôpitaux, des plans d’économie entraînant des suppressions de postes. »

L’oubli des soignants

Les ARS, justement, reviennent souvent dans les critiques, tant des administratifs que des médecins. « Ce qui ne fonctionne pas bien, c’est l’écart entre les acteurs de terrain et les gens qui prennent des décisions qui, du coup, ne sont pas toujours adaptées », ajoute Rémi Salomon, qui prend pour exemple les nombreuses demandes de quantification et de suivi administratif qui encombrent les journées des soignants : « On remplit des tableaux pendant des mois et, au final, il ne se passe rien. »
Autre question, celle du rôle des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PUPH), qui associent la direction de services et l’enseignement aux étudiants en médecine. « Un chef de service doit être un bon manageur, mais ce n’est pas toujours le cas. Et on choisira souvent un bon universitaire plutôt qu’un bon manageur », reconnaît Rémi Salomon. « C’est difficile, en vingt-quatre heures, d’être à la fois chercheur, médecin et manageur », confirme Jérémie Sécher, pour qui « beaucoup de jeunes médecins ne se retrouvent plus dans ce système ». Le président du Syndicat des manageurs publics en santé plaide pour une « professionnalisation » et un meilleur accompagnement administratif de ces professeurs, afin de « laisser aux chercheurs du temps pour chercher ».
Céline Laville, présidente de la Coordination nationale infirmière : « Les soignants au plus proche du terrain subissent toutes les réorganisations depuis dix ans au lieu d’être moteurs, c’est cela dont on ne veut plus »
Au-delà de cette dichotomie médecins-administratifs, une autre question revient souvent, celle de la représentation des autres corps médicaux : infirmiers, pharmaciens, aides-soignants… « La décision à l’hôpital se fait aujourd’hui en dyarchie entre médecins et administratifs, or les soignants sont au cœur du système hospitalier, qui ne fonctionnerait pas sans eux. Ça implique de les associer davantage à la gouvernance », reconnaît Jérémie Sécher. « Ils doivent être mieux associés », renchérit Rémi Salomon.
Mais des paroles aux actes, il y a parfois un monde. « On n’est pas du tout conviés, les paramédicaux sont très peu représentés dans le Ségur », déplore Céline Laville, présidente de la Coordination nationale infirmière. Pour elle, « lorsqu’on regarde les différentes strates de l’hôpital, vous avez tout en haut la direction générale, qui chapeaute tout avec la CME et les ARS. Vient ensuite une seconde strate, avec les chefs de pôle et des cadres infirmiers qui ont souvent bien oublié le terrain ». Au dessous, « il n’y a plus de décision prise, on est sur une organisation uniquement descendante où ce sont ceux du dessus qui prennent les décisions. On ne nous demande pas notre avis, et il est là, le problème », insiste-t-elle : « Les soignants au plus proche du terrain subissent toutes les réorganisations depuis dix ans au lieu d’être moteurs, c’est cela dont on ne veut plus. »
La crise épidémique a conduit à une inversion de ce système : « Au moment du confinement, les directions n’ont pas eu d’autre choix que de laisser faire les agents de terrain, car ça devait être très rapide. Si on avait procédé comme d’habitude, tout aurait pris six mois », assure Céline Laville. Un constat partagé, au cœur de la crise, par plusieurs directeurs d’hôpitaux, admiratifs de l’agilité des personnels à trouver des solutions pour augmenter rapidement le nombre de lits de réanimation. « Chez nous, à Poitiers, on a tout réorganisé en une semaine grâce aux agents de terrain. Pourquoi on n’utilise cette intelligence collective qu’en cas de catastrophe ? », s’interroge Mme Laville.

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